Dioscures (Première Guerre mondiale)
Le terme Dioscures désigne, durant la Première Guerre mondiale, le duo formé à l'OHL par Erich Ludendorff et Paul von Hindenburg, en référence aux Dioscures de la mythologie grecque. Ces deux militaires, auréolés de leurs succès face aux Russes, exercent la totalité des pouvoirs militaires dans le Reich à partir de 1916. Le renvoi de Theobald von Bethmann-Hollweg le constitue une étape dans l'ascension des deux militaires, qui imposent progressivement à l'empereur Guillaume II leur vision de la gestion du conflit, lui soumettant de fait la mise en place d'une dictature militaire maquillée par les institutions du Reich[a].
Circonstances de la création du duo
modifierSuccès sur le front de l'Est
modifierDès la fin de 1915, les deux responsables du front de l'Est apparaissent comme de possibles successeurs crédibles à Erich von Falkenhayn au poste de chef d'état-major général de la Kaiserliche Heer[1]. En effet, leurs victoires de 1914 leur confèrent le prestige des « sauveurs de la patrie »[2].
Cependant, les relations s'enveniment rapidement entre, d'une part, Hindenburg et Ludendorff, alors responsables du front de l'Est, et, d'autre part, le chef d'état-major Erich von Falkenhayn. En effet, les deux commandants du front de l'Est érigent ce front en principal front du conflit pour les puissances centrales, mais Falkenhayn pense que la victoire allemande ne peut venir que de la décision face à la France. Traduisant ses conceptions en termes d'effectifs déployés sur le terrain, il n'alloue au front de l'Est que le strict nécessaire au maintien des positions acquises[3].
Offensive alliée en été 1916
modifierÀ la conférence de Chantilly, fin 1915, les Alliés ont planifié des offensives concertées face aux puissances centrales, en Galicie, en France, en Italie[4]. Ces offensives avaient alors failli emporter la décision lors de leurs offensives concertées de l'été : la première, lancée sur le front de l'Est le , donne d'importants résultats face aux troupes austro-hongroises, rapidement débordées, mais, faute de moyens aériens en suffisance, elle est arrêtée aux abords des Carpates[5].
À cette offensive succède la poussée franco-britannique sur la Somme, lancée sur un front allemand affaibli par les prélèvements opérés au profit du front de l'Est, alors sur le point d'être éventré. Cette gigantesque bataille d'usure a enlevé à l'armée allemande ses cadres les plus expérimentés[6].
Ces deux offensives sont appuyées par une attaque italienne sur l'Asiago, lancée le , crevant le front austro-hongrois le , mais qui échoue dans sa phase d'exploitation, ne parvenant pas à transformer en déroute la poursuite des unités austro-hongroises[7].
Réaction des puissances centrales
modifierFace à cette offensive concertée, les militaires allemands rééditent le souhait d'une réorganisation du commandement du front de l'Est. Le , le nord du front est placé sous le responsabilité de Hindenburg, secondé par Ludendorff, et le sud du front est nominalement confié au Kronprinz austro-hongrois, Charles[8].
Nomination
modifierFace à la situation militaire préoccupante des puissances centrales au milieu de l'été 1916, la position d'Erich von Falkenhayn apparaît chaque jour plus précaire. Ses choix stratégiques sont remis en cause, et ses positions favorables à des mesures sociales à destination des ouvriers des industries incitent les industriels à diffuser leurs critiques envers sa politique en matière de munitions. Ces griefs incitent l'empereur à remettre en cause la position de son chef d'état-major et à mettre en avant les deux responsables allemands du front de l'Est : Paul von Hindenburg et son adjoint, Erich Ludendorff[9].
Ces deux soldats sont ainsi conviés par Guillaume II à Pless, alors siège de l'état-major général, le . Erich von Falkenhayn, n'étant pas informé par son souverain de cette invitation, en déduit une disgrâce et, en tirant les conséquences, il demande à être relevé de ses fonctions[9].
Action pendant le conflit
modifierAussitôt nommés, les deux militaires s'attellent à la tâche, obtenant rapidement pour l'empereur Guillaume II le commandement suprême des troupes de la Quadruplice.
Responsables de l'OHL
modifierDans l'obligation de tenir compte de leur popularité dans la population du Reich, Guillaume II nomme Hindenburg et Ludendorff respectivement chef de l'état-major général et premier quartier-maître général, titre créé pour l'occasion[10].
Coordination des actions offensives des puissances centrales
modifierAussitôt nommés, les Dioscures initient des négociations avec les responsables civils et militaires austro-hongrois, bulgares et ottomans afin d'obtenir le commandement effectif des armées de la Quadruplice.
Ainsi, le , Guillaume II est nommé commandant en chef des armées allemande et austro-hongroise, en vertu d'une convention ratifiée par François-Joseph, en accord avec le chef d'état-major austro-hongrois Franz Conrad von Hötzendorf[11]. Cependant, cet accord des militaires n'est pas donné avec enthousiasme puisque Conrad, appuyé par le Kronprinz Charles, expose ses réserves, le barrage de la langue de commandement[b] et le mépris porté par les Allemands aux troupes de la double monarchie. Ces réserves lui permettent de négocier la place de l'Armeeoberkommando austro-hongrois dans le processus de planification et de mise en œuvre des offensives de la Quadruplice[12].
Peu de temps après, les dispositions de cette convention sont étendues aux unités bulgares en campagne dans les Balkans et aux armées ottomanes aux prises avec les Russes, les Serbes, les Français et les Britanniques[13].
Rôle politique dans le Reich et chez ses alliés
modifierS'étant rendus rapidement indispensables dans le Reich, les deux militaires formant le couple des Dioscures pèsent de plus en plus sur la vie politique allemande.
Leur nomination entraîne une baisse de l'influence de l'empereur dans la politique du Reich. Déjà écarté de la gestion militaire du conflit, Guillaume II tente d'influer sur la politique du Reich en guerre. Il est cependant informé quotidiennement de l'évolution de la situation militaire par les Dioscures, déférents l'un comme l'autre vis-à-vis de l'empereur, mais le cantonnant à un rôle de figuration et de validation des décisions déjà prises[14].
Non contents d'imposer leurs choix à l'empereur, Hindenburg et Ludendorff constituent un pôle d'influence non négligeable dans la vie politique du Reich. Cette influence se manifeste d'abord dans le choix des ministres. Ainsi, le , peu de temps après leur nomination, Ludendorff obtient du chancelier Theobald von Bethmann Hollweg[c] le renvoi du ministre prussien de la Guerre, Adolf Wild von Hohenborn, acteur méconnu mais essentiel de la gestion de la guerre dans le Reich durant les deux premières années du conflit[15].
Dissolution de l'association
modifierLa défaite de 1918
modifierLe , alors que la situation militaire du Reich et de ses alliés de la Quadruplice se dégrade à chaque heure davantage, les Dioscures se réunissent et aboutissent à la conclusion qu'il est nécessaire pour le Reich d'ouvrir le plus rapidement possible des négociations avec les Alliés en vue de cesser les hostilités[16].
Cette décision prise, elle est imposée aux responsables politiques du Reich, regroupés le lendemain pour une rencontre avec les militaires. La conférence de Spa est supposée aboutir à la mise en œuvre d'une ligne politique claire en vue d'une sortie rapide du conflit. Dans les faits, elle constitue surtout l'occasion d'imposer au gouvernement civil la demande d'armistice d'un Reich défait[17].
Démission de Ludendorff
modifierUne fois l'idée de l'armistice avec les Alliés et le principe de la réforme de l'organisation politique du Reich admis, Ludendorff multiplie les allégations mensongères auprès des membres du gouvernement.
Il incrimine d'abord les Bulgares, qui, en se retirant du conflit, auraient obligé les Allemands à constituer en urgence une armée en Serbie pour tenter d'arrêter les armées des Alliés[18].
Ensuite, il s'en prend aux partisans d'une paix de compromis avec les Alliés, les socialistes, les catholiques et les progressistes, regroupés depuis 1917 au sein d'une coalition parlementaire majoritaire au Reichstag[19].
Notes et références
modifierCitations originales
modifierNotes
modifier- Entre la proclamation de l'Empire allemand en 1871 et sa dissolution, en 1945, le nom officiel de l'État allemand est Deutsches Reich, désigné par le terme légal de Reich.
- Les officiers de la double monarchie commandent leurs hommes dans la langue de ces derniers et communiquent entre eux en allemand.
- Le chancelier et le premier quartier maître général se sont alliés à cette occasion contre le ministre prussien de la guerre.
Références
modifier- Laparra et Hesse 2011, p. 80.
- Laparra et Hesse 2011, p. 95.
- Laparra et Hesse 2011, p. 84.
- Renouvin 1934, p. 367.
- Renouvin 1934, p. 368.
- Renouvin 1934, p. 370.
- Renouvin 1934, p. 371.
- Schiavon 2011, p. 143.
- Laparra et Hesse 2011, p. 93.
- Bogdan 2014, p. 204.
- Ortholan 2018, p. 484.
- Schiavon 2011, p. 144.
- Ortholan 2018, p. 485.
- Bogdan 2014, p. 205.
- Laparra et Hesse 2011, p. 194.
- Le Naour 2016, p. 328.
- Le Naour 2016, p. 329.
- Le Naour 2016, p. 330.
- Le Naour 2016, p. 331.
Voir aussi
modifierBibliographie
modifier- Henry Bogdan, Le Kaiser Guillaume II : Le dernier empereur d'Allemagne, Paris, Tallandier, , 304 p. (ISBN 979-10-210-0517-4).
- Fritz Fischer (trad. Geneviève Migeon et Henri Thiès), Les Buts de guerre de l’Allemagne impériale [« Griff nach der Weltmacht »], Paris, Éditions de Trévise, , 654 p. [détail des éditions]
- Pierre Jardin, « La fin de la guerre en Allemagne », Revue Historique des Armées, no 251, , p. 35-46 (la pagination des citations dans l'article correspond à celle du document PDF généré à la demande) (lire en ligne).
- Jean-Claude Laparra et Pascal Hesse, L'envers des parades : Le commandement de l'armée allemande : réalités et destins croisés 1914-1918, Paris, 14-18 éditions, , 388 p. (ISBN 978-2-916385-77-8).
- Jean-Yves Le Naour, 1918 : L'étrange victoire, Paris, Perrin, , 411 p. (ISBN 978-2-262-03038-4).
- Henri Ortholan, L'armée austro-hongroise : 1867-1918, Paris, Bernard Giovanangeli éditeur, , 526 p. (ISBN 978-2-7587-0180-4).
- Pierre Renouvin, La Crise européenne et la Première Guerre mondiale, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Peuples et civilisations » (no 19), , 779 p. (BNF 33152114).
- Max Schiavon, L'Autriche-Hongrie dans la Première Guerre mondiale : La fin d'un empire, Paris, Éditions SOTECA, 14-18 Éditions, coll. « Les Nations dans la Grande Guerre », , 298 p. (ISBN 978-2-916385-59-4).
- Georges-Henri Soutou, L'or et le sang : Les Buts de guerre économiques de la Première Guerre mondiale, Paris, Fayard, , 963 p. (ISBN 2-213-02215-1).