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Rute Beuf

Le document présente un relevé métrique des œuvres de Rutebeuf, préparé pour des agrégatifs de Lettres en 2005/2006, et inclut des observations sur la structure rythmique et rimique de ses poèmes. Il souligne la prévalence de formes périodiques et de strophes géminées dans la poésie de Rutebeuf, tout en notant des exceptions. Le texte est destiné à un usage académique et pourrait être complété par des analyses supplémentaires.

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Rute Beuf

Le document présente un relevé métrique des œuvres de Rutebeuf, préparé pour des agrégatifs de Lettres en 2005/2006, et inclut des observations sur la structure rythmique et rimique de ses poèmes. Il souligne la prévalence de formes périodiques et de strophes géminées dans la poésie de Rutebeuf, tout en notant des exceptions. Le texte est destiné à un usage académique et pourrait être complété par des analyses supplémentaires.

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Sur la versification d e Rutebeu f

Hors le présent alinéa de présentation et quelques aspects de formatage du fichier, ce qui


suit est, sans retouche, la rédaction, dans son état de juin 2006, d’un exposé présenté en
2005/2006 à des agrégatifs de Lettres à l'Université de Nantes et à des agrégatifs de l'École
Normale Supérieure (Lettres et Sciences Humaines) de Lyon. Non destiné à publication, ce
fichier préparé pour mise en ligne en décembre 2013 devrait (noter le conditionnel) être
complété par prise en compte de la seconde partie du corpus Rutebeuf (qui n’était pas au
programme d’agrégation !), et mis au point… Réactions toujours bienvenues (à :
benoit.de.cornulier at gmail.com).
Remarque terminologique : Au terme de groupes « géminés » employés dans le §2, je préférerais
aujourd’hui celui de groupes « équi-composés ».

1. Re lev é métr iq ue

1.1 Rel evé m étr iq ue d e R ute beu f j u sq u’ à l a C ha nson d es ordres


da ns l’ o rd re d e l’ éd iti on Mic hel Zi nk 2 001

Identif.pièce S. Lien
N° Texte Page Mb Mèt pér.Rime rime stanc.? Clôt. Mus.

1 Cordeliers p50 6+6 - aa aa - st


2 Pet p64 8 - aa - -
3 plaies dou monde p72 8 - aa - -
4 De l’estat du monde p82 8 - aa - -
5 Anceel de l’Isle p96 8 - abab abab - st
6 Li Testament asne, p. 104 8 - aa - -
7 Jacobins/Universitei, p116 8 - abab abab - st
8 Geoffroy de Sergines p124 8 - aa - -
9 D’Ypocrisie p136 8/ 884 - aab e - aa
10 G de StA escilliez, p146 8 - aa - -
11 Complainte GSA, p146 8/ 884 - aab e - aa
12 des regles p 168, 8 - aa - -
13 De sainte Esglise p182 8 - aab aab bba bba - st
14 griesche d’yver p196 8/ 884 - aab e - ax
15 La griesche d’estei p204 8/ 884 - aab e - aa’ ?
16 Ribaux de greive p214 8 1 ab ab ab ab ab ab -
17 Diz de la mensonge p218 8 - aa - -
18 Dis des Jacobins p236 6+6 - aa aa - st
19 Les Ordres de Paris p246 8 - aab aab bba bba - st
20 Diz des Béguines p264 7 2 ab ba abaaba unis. st +
21 Mariag. Rutebuef p268 8/ 884 - aab e - aa
22 Renart leBestornei, p282 8/ 884 - aab e - aa
23 Ypocrisie-Umilitei p296 8 - aa - -
24 Complainte oeul, p318 8/ 884 - aab e - aa
25 Repentance R., p332 8 - aab aab bba bba - st
26 Voie d’Umilitei, p344 8 - aa - -
27 Coustantinoble, p402 8 - aab aab bba bba - st
28 Denize Cordelier, p420 8 - aa - -
29 Chanson ordres, p442 6 - aaabxb - st. +

BdC Rutebeuf agreg ens-lsh, p. 1


Lect ure d u ta bl ea u. – Dans la première ligne, la pièce est identifiée par son numéro
d’apparition dans l’édition utilisée (n° 1), son titre abrégé (“ Cordeliers ”) et la page où elle
commence (p. 50). Sous “ Mb ”, “ 6+6 ” signifie qu’il y a un mètre de base et que c’est 6+6,
où “ + ” précise que les hémistiches sont métriquement autonomes (pas de césure à
l’italienne). Sous “ Rime ”, “ aa aa ” montre qu’il s’agit de quatre vers rimant ensemble
(uniformité rimique) et, par une espace, qu’ils forment deux distiques. Sous “ stanc ? ” pour
stance ? ”, “ st ” indique que dans l’édition ils sont formatés graphiquement comme des
stances, ces quatrains étant individualisés par des interlignes ; à la ligne suivante, pour la
pièce suivante, un tiret (au lieu de “ st ”) indique que les périodes rimiques, en l’occurrence
distiques de rimes suivies, ne sont pas formatées comme des stances (ne sont pas distingués
graphiquement).
Pour la pièce 9, “ 8/ ” signifie qu’il y a un mètre de base, 8, mais qu’il y a aussi au moins
un mètre contrastif ; le schéma complet de mètres de la période rimique est donné ensuite
sous “ Mèt ” (8 8 4). Le schéma rimique de la période rimique “ aab ” signifie que, dans le
tercet, les deux premiers vers riment entre eux : le troisième aurait donc aussi bien pu être
noté par exemple “ x ” (au lieu de " b ”) comme en métrique anglaise. Sous “ Lien rime ”,
“ e ” signifie que ces tercets ont rimiquement enchaînés, le dernier vers de chacun rimant
avec le premier du précédent. Sous “ Clôt . ”, “ aa ” signifie que cette chaîne rimique de
tercets, dont le dernier pourrait ne pas rimer par son dernier vers, est stoppée par un
distique rimé en “ aa ” (sans nouveau suspens rimique).
Pour la pièce 20, sous “ S. pér. ” pour “ suite périodique ( ?) ”, “ 2 ” indique qu’il s’agit
d’une suite de seulement deux périodes rimiques rimées selon le schéma rimique indiqué
ensuite. Pour les autres pièces, un simple tiret indique que ce nombre est supérieur à 2 (vraie
périodicité). Sous “ Lien rime ”, “ unis. ” précise que les périodes rimiques ou strophes
successives sont unissonantes (sur les mêmes timbres rimiques dans le même ordre).
Pour la pièce 29, dans le schéma rimique “ aabxb ”, les italiques correspondent à des
“ vers ” qui se répètent périodiquement de strophe en strophe (refrain). Le “ vers ” noté
“ x ” n’est pas rimé. Sous “ Mus. ”, “ + ” signifie qu’on a connaissance que le texte est
associé à un air de musique (chantable) ; on peut, bien sûr, être très incomplètement
renseigné sur ce dernier critère 1.
La seule justification des abréviations outrancières est de permettre de rassembler des
informations assez nombreuses dans chaque ligne horizontale du tableau.
Voici maintenant, extrait du précédent et classé, un tableau des types métriques (tels que
caractérisés ci-dessus) constatés dans le même corpus. Chaque type est représenté par son
premier exemplaire dans l’édition de Michel Zink.

1 Michel Zink écrit à ce sujet (p. 33 de son introduction) que dans sa poésie Rutebeuf
“ parle et ne chante pas. Certains soutiennent cependant que les poèmes en tercets coués
[en 8 8 4] peuvent avoir été chantés. Mais les manuscrits n’offrent aucun indice à l’appui de
cette hypothèse ”.

BdC Rutebeuf agreg ens-lsh, p. 2


1.2 Cla s se me nt d es typ e s mét riq u es d e R u tebe uf
(extrait du relevé métrique précédent, donc jusqu’à la Chanson des ordres)

Fo r me s do mi nant e s
Identif.pièce Lien
Effectif N° Texte Page Mb Mèt sp Rime rime stanc. Clôt. Mus.
4 sainte Esglise p182 8 aab aab bba bba - st
2 Anceel de l’Isle p96 8 abab abab - st
2 Cordeliers p50 6/6 aa aa - st

11 Pet p64 8 aa - -

5 D’Ypocrisie p136 8/ 884 aab e - aa


1 Griesche d’yver p196 8/ 884 aab e - ax
1 Griesche d’estei p204 8/ 884 aab e - aa’ ?

Ca s si nguli er s
1 Béguines p264 7 2 ab ba abaaba unis. st +
1 Chanson ordres, p442 6 aaabxb - st
1 Ribaux de greive p214 8 1 ab ab ab ab ab ab -

2. Mét r iq ue d e R ute be uf 2
Commentaire du tableau des types métriques

Ce classement est représentatif de l’ensemble de l’œuvre connue de Rutebeuf quant aux


formules dominantes3 (rappelons simplement, pour dater ces formes, que Rutebeuf semble
être actif vers le troisième quart du XIIIe siècle).
On constate d’abord la généralité du caractère périodique des formes de dimension
supérieure au vers : ces pièces sont généralement des suites périodiques de groupes de vers.
Deux exceptions ( ?) seulement :

1) Le Dit des Béguines, à la limite de l’exception, puisque comprenant deux strophes


seulement (mais c’est une chanson).
2) Le Dit des Ribaux de Greive : ce n’est pas une suite périodique si on le considère
comme formé d’une seule espèce de groupe de vers qui serait rimé en (ab ab ab ab ab ab) ;
mais peut-être faudrait-il envisager de le considérer comme une suite deux (ab ab ab), ou de
trois (ab ab), ou même plutôt, simplement, comme une suite périodique de six modules ab
unissonants, à comparer aux modules aab enchaînés ci-dessous.

Que les formes périodiques soient traitées en stances (périodes rimiques de plus de trois
vers, sémantiquement séparables et graphiquement individualisées dans l’édition) ou en
continuité (comme les distiques de rimes plates), toutes ont un mètre de base (le plus
souvent mètre unique) qui est donc le mètre (de base) unique de la pièce.

2
Les termes marqués d’un astérisque sont définis dans l’Art poëtique ou dans le Petit
Dictionnaire de métrique cités en références.
3 On trouve plus tard deux autres formules lyriques : chanson sur Notre Dame p. 822 en
suite périodique de (ab ab ccb bc), quatrain en 4-6v et quintil en 5v, et chanson de Puille p.
828, en suite périodique de (abab cccb) de 8v.

BdC Rutebeuf agreg ens-lsh, p. 3


2.1 F o r me s do mi n ant e s.

A) “ St ro p he s ” (o u gr oup es) c om p os ée s gém i né es .

Identif.pièce Lien
Effectif N° Texte Page Mb Mèt sp Rime rime stanc. Clôt. Mus.
4 sainte Esglise p182 8 aab aab bba bba - st
2 Anceel de l’Isle p96 8 abab abab - st
2 Cordeliers p50 6/6 aa aa - st

Sous “ Effectif ” figure le nombre de pièces réalisant le type (y compris l’exemple fourni).
Chacune de ces strophes est composée* 4 : c'est un groupe composé de deux groupes
rimiques (GR)5 du type (aab aab), (ab ab) ou (a a). Chacun de ces GR est formé de la réunion
de deux modules rimant ensemble et réunis par équivalence rimique, modules d'un vers dans
(a a), deux vers dans (ab ab) ou trois vers dans (aab ccb).
Chacun de ces groupes composés (donc de ces strophes composées) est, plus
spécifiquement, géminé* en ce sens que les deux GR qui les composent sont de même
structure, à la différence d'une strophe dissymétrique qui serait composée, par exemple, d'un
(ab ab) et d'un (aab ccb) comme dans une tradition littéraire ultérieure 6.
Il ne faut pas confondre le fait, spécifique, que les deux GR formant la strophe soient du
même type (strophe ou groupe géminé) et le fait que les deux modules d’un GR soient
généralement semblables comme les deux [ab] dans un quatrain (ab ab), phénomène plus
commun. La strophe composée géminée est caractéristique de la tradition orale et du chant ;
à ce titre, elle est assez commune au Moyen Age ; et, à l’époque classique, elle est peu
commune dans la poésie littéraire (émancipée de la tradition orale) et commune dans le chant
ou en style métrique de chant.
Au sein de chacune de ces strophes géminées de Rutebeuf, entre les deux GR
composants, il y a un lien rimique : le ou les timbres rimiques7 ne se renouvellent pas
complètement d’un GR à l’autre comme ce serait le cas dans un double sixain (aab aab ccd
eed), dans un double quatrain (abab cdcd), ou dans un double distique (aa bb) ; au lieu de
ces strophes géminées à rime renouvelée, on a ici : les mêmes timbres dans les mêmes
positions dans les paires de quatrains (unissonance) ; les mêmes timbres permutés dans les
paires de sixains (type dit strophe d’Hélinand) (permutation) ; les mêmes timbres, forcément
dans les mêmes positions, dans les paires de distiques (aa aa). Il pourrait être pertinent que
dans le type à permutation (double sixain), le premier vers du second sixain rime avec le
dernier du précédent (enchaînement* rimique, comme dans un huitain qui serait géminé en
abab bcbc (comme ce sera le cas dans le Testament de Villon).

Conséquences en analyse stylistique.


Il faut analyser (parfois même interpréter) le poème en tenant compte de cette structure
métrique, qui cadre le discours et sa rhétorique. Par exemple, dans les (abababab) du texte

4 Je marque d’un astérisque des notions pour lesquelles on peu se reporter à l’Art
poëtique, au Petit Dictionnaire de métrique et à l’article sur “ Rime et contre-rime ” indiqué
en références.
5 Un groupe rimique est un groupe de modules réunis par équivalence rimique : ainsi (a a),

(ab ab) ou (aab ccb), GR résultant de la réunion par équivalence rimique de deux modules de
un, deux ou trois vers.
6 La notion de groupe (ou strophe) géminé est un cas particulier de celle de groupe (ou
strophe) qu'on pourrait dire symétrique (si ce terme n'avait déjà reçu un sens différent chez
Martinon 1912), car un groupe (abab cdcd efef) composé de trois, et non seulement deux GR
de même structure paraîtrait encore caractéristique du style métrique de chant ; mais il en
serait déjà caractéristique par son caractère ternaire.
7 Les timbres rimiques sont les formes catatoniques* rimantes.

BdC Rutebeuf agreg ens-lsh, p. 4


sur monseigneur Ancel, on doit tenir compte de la division non seulement en quatrains (abab
abab) (chose scolairement connue), mais des quatrains en modules distiques (chose le plus
souvent ignorée).
En particulier, les quatrains géminés sont généralement analysés comme de purs quatrains
monorimes (y compris par Faral et Bastin, à l’analyse de la versification desquels Michel Zink
(p. 37) renvoie comme “ définitive ”) ; le second quatrain y est généralement
sémantiquement consistant. Il importe de tenir compte de leur composition en distiques pour
cadrer l’analyse rhétorique.

Dans sa thèse sur les strophes depuis la Renaissance, Philippe Martinon écrit (1912 : 89) :

Dans le quatrain, les rimes sont naturellement couplées [i.e.: en abab, abba ou aabb].
Le Moyen âge a connu évidemment des formes à rimes non couplées, mais depuis
l’époque classique elles sont infiniment rares, et nous avons peu de choses à en dire. Il
y a d’abord le quatrain monorime, usité particulièrement du XIIIe au XVe siècle, et, chose
curieuse, en alexandrins, à une époque où l’alexandrin est presque inusité (1). Mais ce
n’est pas là une strophe. La fantaisie de quelques poètes modernes a pu s’y amuser un
instant, de préférence avec des octosyllabes. Mais la poésie lyrique classique n’en a
jamais fait son instrument, depuis le jour où la Renaissance élimina de sa lyrique le vain
cliquetis de la rime quadruple, si chère au Moyen âge.

Note (1) de Martinon:


Ce quatrain, qui était surtout didactique, a été popularisé par le Testament de Jean
de Meung. On en trouvera de nombreux exemples dans Rutebeuf, et toujours en
alexandrins. Rutebeuf d’ailleurs n’emploie jamais l’alexandrin en dehors de ce quatrain,
car on ne concevait pas à cette époque l’alexandrin autrement que monorime, même
dans un quatrain. (…)

La structure composée du quatrain (aaaa) en (aa aa) semble donc avoir échappé à
Martinon, ordinairement plus perspicace. Son analyse semble reposer sur une appréciation
esthétique (vain cliquetis), qui à son tour peut dériver du fait que son esprit (son oreille,
comme on dit), formé à versification classique qui ignore l’enchaînement, entend les
quatrains géminés comme des strophes simples de quatre vers. Mais l’observation sur le lien
de ce quatrain à l’alexandrin reste pertinente.

Pour une justification de l'analyse composée binaire des (aa aa), voir Annexe ci-dessous.

B) S uite s pé ri od iq ue s d e str op h es s im pl es (G R ) o u de m o d ule s.

Identif.pièce Lien
Effectif N° Texte Page Mb Mèt sp Rime rime stanc. Clôt.
Mus.

11 Pet p64 8 aa - -

5 D’Ypocrisie p136 8/ 884 aab e - aa


1 Griesche d’yver p196 " " " " " ax
1 Griesche d’estei p204 " " " " " aa’ ?

(Les deux “ griesches ” ne diffèrent du type précédent que par la clôture rimique)

Il s’agit de suite périodiques continues :


- soit de groupes (paires) de modules d’un vers chacun (a = a, distique de rimes
plates) ;
- soit de modules (de trois vers, tercets), comme dans la “ terza rima ” de la Divine
Comédie (environ 1307-21) : la rime principale, celle qui est unique dans chaque
module, est terminale dans aab (type Rutebeuf), avant-dernière dans aba (type

BdC Rutebeuf agreg ens-lsh, p. 5


Dante). En paire de modules équivalents, ces modules donneraient respectivement
(aab aab) qu’on trouve en composants de la strophe d’Hélinand 8, ou (aba aba) ; en
chaîne par enchaînement rimique, la rime principale d’un module étant initiale du
suivant, cela donne :

aab bbc ccd dde…, type Rutebeuf


aba bcb cdc ded…, type Dante

Il s’agit donc de suites périodiques de modules en chaîne. La saturation rimique (si tout vers
doit rimer) implique une variation finale pour clôture de la chaîne rimique : un (aa) terminal
chez Rutebeuf (type yzy zz), un seul vers dans la Divine Comédie : type … yzy z)
Le fait que les tercets formant ces suites périodiques ne soient pas traités de manière
discontinue (comme des stances) paraît lié à la simplicité de leur schéma rimique : groupes
de modules minimaux dans le type aa, simples modules (et non groupes de modules) dans le
type aab. Par leur métrique minimale, il peuvent convenir à la continuité discursive de récits
parfois longs (Pet de 38 distiques, Vie de sainte Elysabel en plus de mille) et parfois pour la
parole en dialogues (Miracle de Théophile, dans l’autre moitié de l’œuvre de Rutebeuf).
Je m’interroge sur l’absence de clôture rimique ou son caractère approximatif pour deux
chaînes de tercets : problème d’édition ou d’analyse ? ou simple absence de clôture d’une
suite qui, de toute manière, doit subir une variation finale ?

2.2 F o r me s mi ne u re s.
Hors des formes largement majoritaires ainsi caractérisées, restent seulement trois types
particuliers d’un seul exemplaire chacun, les deux premiers (au moins) associables à une
musique (“ lyriques ”).

Identif.pièce Lien
Effectif N° Texte Page Mb Mèt sp Rime rime stanc. Clôt. Mus.

1 Béguines p264 7 2 ab ba abaaba unis. st +


1 Chanson ordres, p442 6 aaabxb - st +

1 Ribaux de greive p214 8 1 ab ab ab ab ab ab -

La strophe des Béguines semble commencer par un quatrain ab ba (il semble donc bien
s’agir d’une espèce de strophe composée). La suite est moins évidente car il n’y en a que
deux que le sens ne semble pas partager de la même manière ; il faudrait connaître la
musique.
Pour la Chanson des Ordres de Paris, on peut imaginer une organisation en deux groupes
rimés de modules :

Modules Groupes rimiques


St.1 Dou siecle vuel chanteir eir
Que je voi enchanteir. eir (eir = eir)
Teis vens porra venteir
Qu’il n’ira pas ainsi. i
5 Papelart et beguin
6 Ont le siecle houni i (i = i)

8Le jeune Rimbaud connaissait-il ces suites de tercets de Rutebeuf quand il a décrit, en
tercets 884 traités comme des stances*, les « Effarés » qui souffrent eux aussi de l'hiver, du
froid, du vent, du manque de vêtements?

BdC Rutebeuf agreg ens-lsh, p. 6


Soit une strophe composée de deux GR : un (aa) ici en eir dont les modules sont des vers
(chanteir - enchanteir) ; puis un second (aa) toujours en i à cause de la répétition périodique
du second module (refrain) dont les modules sont des distiques (ainsi - houni). Dans cette
analyse (hypothétique), le vers 5 en beguin ne rime pas, mais il fait partie d'un distique qui
rime, de sorte qu'à un niveau supérieur il y a saturation rimique : le dernier distique (“ vers ”
5-6) rime avec le second par ainsi = houri.
Ces deux GR rimés de deux et quatre vers sont enchaîné rimiquement : le premier vers du
second GR (ainsi - houni) rime par son premier vers (venteir) avec le dernier vers du premier
GR (enchanteir). La quasi-répétition chanteir = enchanteir s’inscrit donc dans la structure
binaire du groupe initial de la strophe (et du poème). On constate des variations de ce
schéma dans plusieurs strophes (liberté liée au type chanson ? altérations en tradition orale
ou de copiste?).
Remarque sur la lecture moderne : aujourd'hui, non accoutumé à sentir (rythmiquement)
ou reconnaître (intellectuellement) l'enchaînement rimique, on peut être porté spontanément
à couper de 4-2V (quatrain plus distique) en 3-3V (deux-tercets). Résultat, une discordance
systématique uniquement due à ce contresens rythmique : les vers 3-4 correspondent à une
phrase qui enjamberait du premier tercet dans le second sans aller jusqu'au bout de celui-ci,
ainsi le vers 4 serait en rejet à l'initiale du tercet conclusif. Rythmée à l'ancienne, la strophe
est bien mieux concordante.

Ces deux formes lyriques se distinguent des dominantes par leur mètre court pour un vers
littéraire, mais non de chant, plus court que le 8v, plus grand vers simple (sans césure).

Les Ribauds de Greive ont déjà été évoqués en tête de ce commentaire. L’analyse en
simple suite périodique de ab me semble a priori la moins improbable ; il s’agirait alors d’une
suite périodique de modules rimés, comparable aux suites périodiques de modules
rimiquement enchaînés que sont les chaînes de tercets ci-dessus (on peut, peut-être, la
comparer aux “ commandements de Dieu ” en tradition orale du XVIe (au moins) au XXe
siècle, simples suites de modules distiques rimés en –as / -ent9).

2.3 « Al ex and ri n » à so us-v er s di sjo i nts (à cés ure lâ che).


Dans des pièces telles que le Dit des Cordeliers, on épingle souvent, comme particuliers
même en leur contexte, des vers du type suivant (strophe 1, vers 3) :

Son cors a grant martire contre les anemis

Le premier hémistiche, de rythme anatonique* 6, présente une cadence féminine, et sa


voyelle féminine 7e ne peut ni s’élider devant le mot suivant, celui-ci étant disjonctif (martire-
re contre), ni contribuer au rythme de l’hémistiche suivant (qui fournit lui-même les six
voyelles de son rythme anatonique). Forcé de constater cette voyelle surnuméraire à la
césure, on classe souvent ces vers à part en disant qu’ils ont une césure épique.
On peut observer cependant que lorsque le premier hémistiche (sous-vers) est
potentiellement féminin comme dans ce cas, Rutebeuf commence indifféremment le suivant
par un mot jonctif ou disjonctif, comme ci-dessous (strophe 2, vers 4) :

Qu’ils sont saint de la corde et s’ont tuit lor pié nu

Il est donc plausible que dans de tels cas la voyelle féminine ne s’élidait pas plus que dans
les autres, et, plus généralement, que, dans tous les alexandrins des poèmes où la césure

9 Un seul Dieu tu adoreras / Et aimeras parfaitement. / Dieu en vain tu ne jureras / Ni


autre chose pareillement / Les dimanches tu garderas / En servant Dieu dévotement. / Tes
père et mère honoreras / Afin de vivre longuement. / Homicide point ne seras / De fait ni
volontairement. Etc.

BdC Rutebeuf agreg ens-lsh, p. 7


“ épique ” est banale, elle n’a rien de particulier, et est simplement un symptôme du fait que
les hémistiches n’étaient pas cosyllabés (ou du moins, banalement, ne l’étaient pas).
On peut parler de vers à hémistiches disjoints (syllabiquement) ou à composition lâche :
dans ce système, un hémistiche initial féminin n’est pas plus particulier métriquement qu’un
vers féminin, et, par conséquent n’appelle pas de commentaire métrique particulier.
Rappelons, à ce propos, qu'à l’époque de Rutebeuf la cadence des vers (féminins ou
masculins) n’est pas réglée littérairement et indépendamment de la musique : ils sont
librement féminins ou masculins. Il en va de même de chacun de leurs hémistiches
syllabiquement disjoints ; et ainsi un alexandrin lâche – on pourrait dire “ épique ” – a de
douze à quatorze syllabes (avec un rythme métrique 6-6) selon qu’il a zéro, un, ou deux
hémistiches féminins.

Conséquence stylistique -. Il serait donc plutôt recommandable de prononcer ces espèces


d’alexandrins, que leur premier sous-vers soit féminin ou non, en deux sections syllabiques
disjointes avec pause à la césure10. L’impression produite par des vers ainsi disjoints était
vraisemblablement bien différente de celle de l’alexandrin classique qui, dans sa continuité
syllabique et rythmique, est un vers long, le plus long ; elle pouvait le rapprocher du rythme
des vers de rythme 6 ; on peut s’aider à se rapprocher de cette impression en les redisposant
comme des 6-voyelles (traduction à droite 11) :

Cordeliers, st. 16 L’evesques ot conseil L’évêque tint conseil


Par trois jors ou par quatre ; pendant trois jours ou quatre.
Mais fames sont noiseuses, Mais les femmes sont querelleuses,
Ne pot lor noise abatre, il ne put les apaiser,
Et vit que chacun jor Et il vit que jour après jour
Les convenoit combatre, il fallait les combattre :
Si juga que alassent il jugea qu’ils iraient
En autre leu esbatre. Ailleurs s’ébattre.

Ainsi présentée, la strophe ressemble à un huitain géminé (type banal en texte de chant)
dont les quatrains, comme souvent en tradition chantée, seraient rimés en (xa xa) au lieu de
l’être en (ab ab), c’est-à-dire, en fait, sont rimés en (aa) au niveau des distiques. L’effet de
lourdeur (?) que peuvent aujourd’hui produire ces sortes de quatrains (me semble-t-il)
pourrait être largement dû à la distorsion historique qui nous induit à les lire à peu près (sauf
peut-être cas de césure épique) comme des alexandrins continus – vers d’une seule coulée,
longs surtout pour cette époque.
On peut donc dire, malgré l'origine savante du mot, que ces vers ne sont pas vraiment et
tout à fait des alexandrins au sens moderne de ce mot. Une analyse historique superficielle de
la versification française peut donner l'impression que l'alexandrin a eu son heure
d'importance, puis qu'il est déchu, puis qu'il est revenu en force pour dominer après le milieu
du XVIe siècle. Mais du point de vue de la longueur des suites syllabiquement continues, il y a
une plus grande continuité, les grands vers (composés) syllabiquement continus apparaissant
vers le XVIe siècle, et le plus grand, l'alexandrin, n'apparaissant qu'à la fin de cette période,
qui réalise progressivement une littérarisation du vers.

10 Remarque : dans un vers classique comme Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle
(dans Andromaque), le premier hémistiche n’est normalement pas féminin puisque, le vers
étant normalement syllabé en continuité, retrouv(e) n’a que deux voyelles devant le mot
jonctif un. On peut seulement dire qu’il s’agit d’un alexandrin potentiellement féminin. Cela
dit, on sait que la réalisation pouvait être moins rigoureuse que le système théorique et que
des pauses étaient parfois faites à l’intérieur du vers, y rendant possibles des e féminins non
numéraires.
11 La traduction est adaptée de celle de Michel Zink en s’ajustant à la structure en
distiques et à la succession des 6v.

BdC Rutebeuf agreg ens-lsh, p. 8


2.4 L'a le xa n dri n à cé s ur e l âc he e n q uat rai n gém iné.
L'analyse métrique en 6-6 à hémistiches disjoints et l'analyse strophique en quatrains
composés (aa aa) ont des implications stylistiques convergentes.
On peut essayer de comparer l'effet produit par une enfilade de quatre longs vers
monorimes (lecture moderne A) et huit petit vers rimés en deux quatrains (lecture supposée
à l'ancienne B) en s'aidant du formatage suivant. Pour favoriser l'impression d'alexandrins en
longs vers, j'ai forcé graphiquement l'élision des césures normalement féminines:

A L’evesques ot conseil par trois jors ou par quatre ;


Mais fames sont noiseus', ne pot lor noise abatre,
Et vit que chacun jor les convenoit combatre,
Si juga que alass' en autre leu esbatre.

B L’evesques ot conseil
Par trois jors ou par quatre ;
Mais fames sont noiseuses,
Ne pot lor noise abatre,

Et vit que chacun jor


Les convenoit combatre,
Si juga que alassent
En autre leu esbatre.

Cette expérience d'édition/lecture peut aider à prendre conscience que la réinterprétation


rythmique en longs quadruplets de longs vers (A) d'espèces de petits vers assemblés en
petit quatrains appariés en strophe géminée (B) transforme profondément, dans notre
réception moderne, l'effet esthétique de ces strophes de Rutebeuf.

3. Ar gu me ntat io n r yth m iq ue
3.1
Voici la strophe 22 du Dit des Cordeliers12 avec sa traduction juxtaposée dans l’édition de
Michel Zink (p. 60 ; caractères gras ajoutés ici) :

La deüst estre mire s la ou sont li plaié Le médecin devrait être là où sont les malades,
Car par les mires sont li navré ap aié car les médecins apaisent les souffrances des blessés.
Me nor sont mire et nos sons par eus ap aié Les Mineurs sont des méd. qui nous donnen t la paix :
Por ce sont li Me nor en la vile avoié c’est pourquoi ils ont pris le chemin de la ville.

La distinction de deux distiques à l’intérieur du quatrain, donc de sa structure géminée (aa


aa) et non simplement (aaaa), permet d’abord d’observer qu’un système de répétition s’y
carre dans la structure métrique symétrique. Le mot mires, sujet d'une forme (simple ou
modalisée) du verbe être, apparaît dans les deux hémistiches initiaux (h1) du distique 1 (D1),
le mot Menor, sujet de sont, allitérant en m avec mires, dans les deux h1 de D2 : dans chaque
distique, il y a ainsi une équivalence lexicale entre ses vers ; et au niveau supérieur, entre les
deux distiques, il y a une équivalence structurale (du second degré), par homologie de cette
équivalence de base.
Cette organisation disparaît dans la traduction avec le remplacement de la répétition par
l'anaphore Mineurs > ils du vers 3 au vers 4. Du même coup disparaît une relation
d’enchaînement entre les deux distiques constitutifs du quatrain. En effet comparons le
dernier vers de D1 et le premier de D2 en adaptant l’ordre des constituants :

12 Cet exemple unique est extrait de ceux exposés en janvier 2006.

BdC Rutebeuf agreg ens-lsh, p. 9


Agent auxil.passiv. GNs participe
Par les mires sont li navré apaié
Par eus sons nos apaié (ordre modifié)

La correspondance est systématique : complément d’agent en par + GN (où j’entends, par


GN, une unité non-clitique) ; un verbe passif ; un sujet GN (non clitique). Que nos n’est pas
clitique dans nos sons (nous, nous sommes, plutôt que nous sommes) est confirmé par le fait
que ce pronom est conclusif de h1 (voyelle 6). Ce parallélisme disparaît dans la traduction,
qui rend le sujet non-clitique nos par un complément clitique nous (dans nous donnent) et le
GN (non-clitique) eus par un pronom quasi-clitique dans (qui … donnent).
Cette organisation rhétorique répétitive métriquement scandée a une valeur
argumentative. Du vers 1 au vers 2, la répétition scande une justification explicitée par car ;
du vers 3 au vers 4, elle scande une conséquence explicitée par por ce ; du premier distique
au second, l’enchaînement par parallélisme et l’équivalence structurale de répétition scandent
l’argumentation qui transpose une fonction sociale des médecins aux Mineurs. C’est pourquoi
on peut parler à ce sujet d’argumentation rhétorique et rythmique. Comme on le voit par
l’analyse du quatrain monorime en paire géminée de distiques, une analyse métrique correcte
est nécessaire à sa reconnaisance.
Cette rhétorique n’est pas conservée dans la traduction. On a déjà fait la même remarque
à propos de la traduction du Voir Dit de Guillaume de Machaut (vers 1365) par Paul Imbs
dans la même collection éditoriale des Lettres gothiques13.

3.2
Dans le Testament de l'âne, suite de 8v rimés en (aa), p. 104, accusé de quelque chose,
un prêtre dialogue avec son évêque (p108, V.109s, distiques numérotés ici selon leur
position dans l'extrait) :

1 Dist li prestres: –Biax tres dolz sire, Le prêtre répondit: – Mon très cher seigneur,
Toute parole se lait dire. tous les propos peuvent circuler.
2 Mais je demant jor de conse il Mais je demande un jour de réflexion
Qu’il est droit que je me conse il car il est juste que je réfléchisse
3 De ce ste c hoze, ] c’il vos plait ] à cette affai re, s’il vous plaît
(Non pas que je i bee en plait). (non pas que je sois friand de procédure).
4 - Je wel bien le conseil aiez - Je consens à ce que vous ayez ce délai de réflexion,
Mais ne me tieng pas apaiez mais je ne vous tiens pas quitte
5 De ce ste c hoze, ] c’ele est voire.] de la chose, si elle est vraie.
– Sire, ce ne fait pas a croire. – Mgr, il ne faut pas y ajouter foi

Dans D2 (distique 2), le retour rimique de la notion de conseil (réfléchir, substantif >
verbe pronominal) scande la justification (demande de réfléchir justifiée par le droit de
réfléchir). Il s’agit de réfléchir sur cette chose, conseil de ceste choze. Bonne raison, donc
demande accordée par l’évêque, mais en précisant que cet accord concerne seulement le
conseil, pas la chose : il reprend en les dissociant les deux termes (conseil et de ceste
choze), ce qui scande sa réserve. Il y a enjambement discordant entre les deux premiers
distiques, incluant le fait que le constituant [ je me conseil / De ceste choze ] franchit la
frontière du D2 sans aller jusqu'au bout du suivant ni même de son premier vers. La division
métrique discordante de ce constituant correspond à la progression suivante :

A) — je demant jor de conseil


B) … que je me conseil / De ceste choze
C) — … le conseil… mais… pas… de ceste choze

13 Voir Cornulier, “ Rime et répétition dans le Voir Dit de Machaut (vers 1365) ”,
polycopié, Université de Nantes, consultable sur le site de l’Université de Rennes-2 :
<http://www.uhb.fr/alc/medieval/machaut/cornulier.PDF>

BdC Rutebeuf agreg ens-lsh, p. 10


Il y a déjà du sens à la fin de D2 (demande de réflexion); cela étant, par rapport à la notion de
conseil, la mise en le rejet du complément De ceste choze le fait apparaître comme une
spécification ajoutée pour la seconde occurrence et le focalise différentiellement.
Il y a de nouveau une discordance dans D4/D5: un constituant, Mais ne me tieng pas
apaiez / De ceste choze, enjambe leur frontière sans aller jusqu'au bout de D5, et il enjambe
encore par De ceste choze (mis en rejet). Mais cette fois la séparation métrique fait plus que
focaliser une spécification; elle scande une séparation sémantique et syntaxique entre ce que
l'évêque accorde, le conseil (réflexion), et ce dont il ne se tient pas apaiez : (De) ceste
choze. Ainsi l'évêque sépare, comme en rebondissant sur la rhétorique de son interlocuteur
pris au mot, ce que celui-ci à séparé, et la métrique scande, par discordances parallèles, cet
effet de réplique.
La traduction variant à cette affaire > de la chose ne rend pas ce rebond.
En fait, dans le propos du prêtre, il y avait même un rejet à double détente : deux
conditionnelles parallèles, c'il vos plait et c'ele est voire en rejet prolongé, renforcent les
parallélismes métriques précédents.

3 De ce ste c hoze, c ’il vos plait à cette affai re, s’il vous plaît

Mais ne me tieng pas apaiez mais je ne vous tiens pas quitte


5 De ce ste c hoze, c ’ele est voire. de la chose, si elle est vraie.

Ce ne sont là que deux exemples…, mais le texte fourmille, chez Rutebeuf comme chez
Machaut, de ces répétitions métriquement articulées qui nous paraissent aujourd’hui bizarres
ou naïves, et qui, dans une culture ancienne, supportaient une argumentation ou des effets
de sens par le rythme. Comme il serait encore plus facile de respecter un peu cette
organisation rhétorique que de la dissoudre, on dirait que certains traducteurs modernes non
seulement ignorent, mais évitent ces répétitions comme des maladresses. Mais, puisqu’il
s’agit ici (comme il y a quelques années pour Machaut) du programme du concours
d’agrégation, on peut recommander aux candidats de parier qu’un jury apprécierait un effort
explicitement justifié de reconnaître cette rhétorique métrique et de la transposer, au moins
comme preuve d’un souci de vraie fidélité à la lettre et au rythme du texte et à leur
puissance de sens.

Benoît de Cornulier
UMR 7023 (Poétique et Métrique)
et Centre d’Etudes Métriques (Nantes)

BdC Rutebeuf agreg ens-lsh, p. 11


Ré fére n ces
(les indications en petits caractères sont spécialement destinées aux agrégatifs).

CORNULIER (de), Benoît, 1995, Art poëtique, Presses de l’Université de Lyon. Notions pour
l’analyse modulaire des strophes p. 127 s.
1999, Petit Dictionnaire de métrique, polycopié, Centre d’Etudes Métriques,
Université de Nantes. Sur les notions de module, mètre de base, enchaînement et chaîne.
2005, “ Rime et contre-rime en tradition orale et littéraire ”, p. 125-178 de Murat & Dangel
2005.
DOUTRELEPONT , Charles, 1992, « Rime et rhétorique au XIIe siècle: Répétition, antonymie et
antanaclase chez Chrétien de Troyes », dans les Actes de la Société Canadienne pour
l'étude de la rhétorique, vol. 4.
ELWERT, Theodor, 1965, Traité de versification française, Klicnksieck. Bien renseigné
historiquement, encore très utile à consulter, notamment sur l’histoire et l’emploi de l’alexandrin.
MARTINON, Philippe, 1912, Les Strophes, Champion.
MURAT, Michel, et D ANGEL , Jacqueline, 2005, Poétique de la rime, Champion.
RUTEBEUF, Œuvres complètes, 2001 (<1989-1990), collection Lettres Gothiques, Livre de
poche. Sur la poétique, voir l’introduction de Michel Zink, p. 23-36.

______________________

Anne xe
Sur les quatrains monorimes

Les (aaaa) médiévaux sont traditionnellement (aujourd'hui encore) considérés comme de


purs quatrains14. Pourquoi préférer l'analyse binaire en strophe géminée?
Il est probable que l'analyse de cette strophe en simple quatrain (aaaa) est conforme au
moins à la manière dont, de nos jours, des lecteurs familiers de poésie classique lisent
Rutebeuf ; oui, on le traite ainsi ; mais les classiques ne pratiquaient pas le quatrain (aaaa), et
le traitement de ces quatrains en purs quadruplets n'est pas conforme au système médiéval.
On est enclin aujourd'hui à traiter rythmiquement des formes médiévales avec les principes
intériorisés du système classique : c'est une espèce de réfraction historique des formes.
Comme nous n'avons plus dans nos têtes un principe d'enchaînement rimique, nous ré-
organisons spontanément des (ab bc cd de ef fg…) en (a bb cc dd ee ff g…) qui deviennent
des lors sémantiquement discordants, et des (aa aa) en (aaaa). Ce traitement rythmique peut
s'imposer de nos jour – il est devenu « évident » —, mais comme il est explicable par le
changement de système métrique dans les esprits, son évidence n'a pas valeur d'argument
contre une analyse historiquement informée.
Argument par ce qu'on peut appeler la grammaire des strophes (système rimique) :
L'analyse radicalement quaternaire des (aaaa) crée une exception. Alors que les groupes
rimiques de modules sont très généralement binaires, et rarement ne serait-ce que ternaires
hors du style métrique de chant, l'analyse quaternaire fait apparaître des groupes de modules
directement quaternaires, exceptionnels en cela même.
L'analyse binaire des (aaaa) en (aa aa) supprime cette exception. Et inversement, elle
permet d'apercevoir une nouvelle généralisation : l'importance des strophes géminées (à
composants unis par liaison rimique) chez Rutebeuf.
Argument par la concordance :
D'une manière générale, la tendance à la concordance entre les formes rythmiques et les
unités de sens qui leurs correspondent, que j'appelle les expressions métriques (em), vers,

14 A ma connaissance l'analyse des quatrains monorimes en paire de distiques a déjà été


proposée au moins dans un article de 1992 de Charles Doutrelepont sur Chrétien de Troyes
et par moi-même en 1995 dans l'Art poëtique (p. 159); cette dernière analyse n'a été à ma
connaissance ni contre-argumentée, ni suivie, et l'analyse quaternaire reste dominante (par
ex. M. Zink l'admet indirectement).

BdC Rutebeuf agreg ens-lsh, p. 12


hémistiches, modules, groupes rimiques de modules (GR), groupes de GR, strophes, etc. se
traduit principalement par le principe suivant :

Tenda nc e à la c onsi st ance de s e xp re s si ons mét ri que s c o ncl usiv es : les e.m.
conclusives – sous-vers terminal de vers, vers terminal de module ou de GR, module
terminal de groupe, GR terminal de groupe de GR – sont généralement consistantes : le
plus souvent, ce sont des constituants grammaticaux ou des suites discursives ayant
une certaine cohérence.

Ce principe ne s'étend pas aux e.m. non conclusives. Il est banal et souvent sans effet
qu'un hémistiche initial, un vers initial de module, etc., ne soit pas consistant; le plus souvent,
parce qu'une unité linguistique qui commence à l'intérieur de cette e.m. initiale se termine
dans la suivante (généralement à sa fin si cette suivante est conclusive).
Dans le Dit des Cordeliers : Dans la plupart des 25 quatrains, D2 (distique 2 supposé) est
une unité grammaticale ou discursive. Exemple, dans st. 18 p. 58, il y a une phrase qui
enjambe de D1 dans D2:
… mais la fole gent voient
Que lor leus laissent cil qui desvoiez avoient
Por oster le pechié que en tel leu savoient.

D2 coïncide avec la complétive en que complément de voient.


Exceptions assez nettes : st. 23 et 24 p. 60. Dans st. 23, comme la ponctuation éditoriale
le souligne, les vers 2 et 3 semblent occupés par une phrase,

Car ce qui est oscur font il cler devenir,


Et si font les navrez en senté revenir.

Les exceptions au à a Tendance à la consistance des e.m. conclusives sont minoritaires plutôt
que rares dans poésie du Moyen Age. Et il semble que dans bien des cas elles ne visent pas à
produire un effet stylistique de discordance : il n'y a pas lieu de les commenter
systématiquement et au coup par coup.
Dans la strophe 9 du Dit des Cordeliers (p. 54), les mots conclusifs d'hémistiche, à la
césure ou à la rime, sont :

plaint plaindre
plaint plaindre
point poindre
desjoint joindre

La répétition du couple plaint-plaindre occupe D1. La graphie, et la prononciation actuelle,


suggèrent une légère variation rimique par apparition d'une glissante devant la voyelle
tonique du vers, correspondant avec le passage de D1 à D2. Toutefois l'analyse phonologique
incertaine de ces finales diphtonguées et l'incertitude sur la fidélité des manuscrits au texte
de Rutebeuf rendent cette observation peu probante par rapport à la pertinence de la
distinction des deux GR (distiques). Disons simplement qu'elle semblerait plutôt tendre à la
confirmer.
L'attention à la stucture binaire du quatrain (aa aa) conduit dans bien des cas à observer
des détails manifestant l'unité de son distique terminal; ex., la st. 25 (p. 61), dont le distique
conclusif est aussi terminal du Dit:

[B]ien le deüst sosfrir mes [sire] Ytiers li prestres:


Paranz a et parentes mariez a grant festes ;
Des biens de Sainte Yglise lor a achetez bestes :
Li biens esperitiex est devenuz terrestres.

BdC Rutebeuf agreg ens-lsh, p. 13


On pourrait analyser ce quatrain en groupes thématiques de vers : 1, 2-3, 4, où les vers 2-3
développent ce qu'a fait le curé Itier; ce développement enjamberait la frontière de distiques
sans aller jusqu'au bout du conclusif : V3 serait en quelque sorte en rejet au début de D2.
Pourtant il y a une cohérence de D2: c'est en achetant des bêtes avec les biens de l'Eglise
qu'on a converti des biens spirituels en terrestres. Le dernier vers commente l'avant-dernier.
Ce lien argumentatif se traduit dans la forme : Les deux derniers vers commencent par un
constituant dissyllabique à tête nominale, qui est dans les deux cas le mot biens ; à la rime se
répondent bestes et terrestres qui se correspondent de la même manière par le sens. Ce
parallélisme rhétorique évident à l'échelle du distique élargit un parallélisme plus discret à
l'échelle de son premier vers : au nom initial désignant les biens de l'Eglise répond
logiquement et formellement à la fin du vers le mot bestes, qui est de même rythme
anatonique (1v) et de même attaque consonantique (allitération en b).
Ainsi la reconnaissance de la structure composée des quatrains (aa aa) peut favoriser
l'analyse rhétorique et stylistique du poème. On pourrait en voir d'autres exemples en
examinant quelques cas de répétition…

BdC Rutebeuf agreg ens-lsh, p. 14


Annexe 2
remarques phono-métriques

P142(non !) “ ame ” = “ dame ” confirme valeur “ arme ” ailleurs.


P152 exil SA, rime terminal vaigne = besoigne, indiff glissante d’attaque ? cf oindre = aindre
ds n°1 ; moi = esmai V57-60 p 198 griesche d’hyver.
p. 154 ires = ire ? P174 : “ armeS ” sic ?
p.190 et passim prestre = geste ou id.
p198 griesche d’hy : 15 : fi-i-es 3v
p210 V103 verri-ez ?
p214 cranche = cranches ? ?
p268 Egypte = petite
p318 Job = cop, eul = weil
p320 arme = femme = jambe
p322 saison = hom, hosteil = ostei
p338 fait = lais, palais = las ( ? ?)
p404 Constantinople str 3 (type d’Hélinand) oppose :
Tartaire taire – Cezeire feire – trere – contrere
Querre – guerre – Terre conquerre – serre sofferre

____________________________________________
Formatage graphique : J’ignore si le démarquage graphique des stances ainsi que l’initiale majuscule
des vers sont d’origine ? et si parfois des indications musicales sont associées ?

BdC Rutebeuf agreg ens-lsh, p. 15

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