27 juin 2005
Pour r�pondre (en partie) au message d'Ingrao. Vos
remarques ne me semblent pas du tout d�nu�es de
pertinence... Simplement, il faut faire tr�s attention
lorsque l'on cite les textes de Heidegger, dont le sens
est rarement obvie (on peut lui en faire le reproche...
Mais au nom de quoi ?)
Voil� donc : malgr� ce que pr�tend une rumeur tenace,
Heidegger n'a JAMAIS dit que l'extermination dans les
camps, l'agriculture m�canis�e et le tourisme de masse
"revenaient au m�me". Heidegger dit: sind das Selbe,
"sont le m�me", et non "sind dasselbe", "sont la
m�me chose". J'ai l'air de pinailler... Mais la
diff�rence est �norme: ce que dit Heidegger, ce n'est
pas qu'il s'agit de ph�nom�nes qui sont assimilables les
uns aux autres, mais que ce sont des ph�nom�nes, qu'on
le veuille ou non, qui sont apparus � la m�me �poque de
ce qu'il nomme l'histoire de l'�tre (car ici, das
Selbe, avec une majuscule, renvoie � cet autre
concept clef de Heidegger, das Ereignis,
l'�v�nement de l'estre dans l'histoire de sa
dispensation). Il ne s'agit pas simplement de dire que
ces �v�nements sont � peu pr�s contemporains, mais (bien
plus profond�ment) qu'ils ont le m�me fondement
m�taphysique, � savoir la m�taphysique de la volont� de
puissance et des valeurs port�es � son apog�e (ce que
Heidegger nomme: le nihilisme). Dire cependant que
l'extermination a le m�me fondement m�taphysique que la
m�canisation de l'agriculture, ce n'est cependant pas
replier celle-ci sur celle-l�: l'extermination de
population enti�res dans des camps r�v�le comme nulle
autre (Heidegger le dit clairement) l'essence du
nihilisme.
Vous me pardonnerez, je l'esp�re, le c�t� quelque peu technique de ces pr�cisions.
Pierre Teitgen
***
27 juin 2005
Bonjour � tous,
Merci tout d'abord � Jo Benchetrit. Quoiqu'il ne s'agisse pas de convaincre � tout prix, emporter la conviction par des arguments, et non du pathos facile, est la r�compense du (bien modeste) professeur de philosophie que je suis.
Je me permets en outre, pour rejoindre des pr�occupations d�velopp�es ailleurs, d'ajouter que lorsque Heidegger parle d'agriculture m�canis�e, il ne vise vraisemblablement pas d'abord les moissonneuses-batteuses-lieuses et autres engins, mais plus pr�cis�ment les abattoirs comme on a pu les construire depuis le d�but du si�cle dernier � Chicago par exemple (cf... Tintin en Am�rique ! ). L'id�e, c'est que d'une certaine fa�on, l'homme "se fait la main" sur l'animal: quand on con�oit une vache comme une usine � viande elle-m�me int�grable dans une usine de traitement de la viande, on est m�r, d'une certaine fa�on, pour tenter de faire du savon avec de la graisse humaine, de la bourre de matelas avec des cheveux, et des abat-jour avec de la peau, toutes choses qui furent faites... Je rappelle �galement pour m�moire que cette horreur n'est pas r�ductible aux seuls camps d'extermination. Sans vouloir verser dans l'anti-am�ricanisme facile, on sait que dans les ann�es 1950, les Etats-Unis n'ont pas �t� en reste quant � l'objectivation de l'homme, avec les tortures psychologiques conduisant au suicide ou � la folie des dizaines de d�tenus noirs - "qui sont plus faciles � trouver que des cobayes" - ou la distribution de nourriture radioactive � des malades mentaux afin de d�terminer la dose mortelle � long terme... Ceci ne conduit en rien � d�nier la sp�cificit� de la Shoah, mais � dire (comme l'affirmera plus tard Arendt) que le mal n'a rien de sp�cifiquement allemand, que l'extermination, qu'on le veuille ou non, repose sur les fondements m�taphysiques qui sont ceux de notre modernit�, fondements laiss�s dangereusement intacts apr�s la victoire des alli�s en 1945, et � ce jour devenus pour le moins plan�taires, si tant est que "le grand nihilisme europ�en" est bel et bien un article d'exportation.
Pierre Teitgen
***
27 juin 2005
Je me permets d'intervenir � nouveau sur ce blog (j'esp�re ne lasser personne), encore pour la m�me raison : il est toujours d�licat de citer Heidegger, surtout quand on cite des cours de cette p�riode, dont le sens est rarement obvie. J'en reviens donc � la fameuse phrase tir�e du cours Introduction � la m�taphysique (1935), qui parle de la "grandeur" du National-socialisme, et que Heidegger a laiss�e intacte dans l'�dition de ce cours (qui date, je crois, de 1953), au grand scandale de certains.
1�) Premier point, donc :
pourquoi avoir maintenu cette
phrase ? Soit Heidegger �tait
fou, soit elle a un sens autre
que celui qu'une lecture
malveillante (et �vidente) lui
pr�te.
Disons simplement ceci : il est
certain pour Heidegger (et bien
avant 1953), que notre temps n�a
pas d�abord besoin d�une
critique du r�gime hitl�rien,
qui a �t� vaincu et dont les
atrocit�s sont d�sormais connues
de tous, m�me de lui (!) ; il
est plus urgent de comprendre,
pour reprendre deux expressions
de Arendt, que � la b�te n�est
pas allemande �, et surtout qu��
elle n�est pas morte �, qu�elle
n�a pas �t� an�antie avec la
d�faite d�Hitler et qu�elle
demeure, en silence, tapie au
fond de chacun d�entre nous dans
la passion de l��galit� et de la
r�volution, la haine de
l�argent, le culte de l�histoire
et de la volont� humaine, etc. ;
que cette b�te, c�est le monde
moderne qui l�a d�cha�n�e, que
m�me apr�s l�avoir vaincue, il
faudra vivre avec la certitude
qu�elle existe et lutter �
chaque instant contre son
retour. Or, il n�est pas s�r que
la d�mocratie suffise � en
triompher, surtout en 1950, �
ces heures o� la moiti� de
l�Europe, au nom de la
d�mocratie elle-m�me (mais �
populaire �, celle-l�), vivait
sous la tyrannie, tandis que
l�autre connaissait la peur de
l�annihilation pure et simple.
Quel autre r�gime faudrait-il
alors ? Le penseur, ici, ne
peut, et sans rouerie aucune,
que se d�soler de son ignorance
: il n�y a peut-�tre pas de
meilleure solution, il n�y en a
peut-�tre pas d�autre, mais elle
ne suffira jamais � r�soudre le
probl�me, parce que le probl�me
n�est pas d�abord politique ; il
trouve bien plut�t sa racine
dans ce que j�ai nagu�re
qualifi� de fondement
m�taphysique de la modernit�,
fondement qui sera l�objet de
toute l'attention de Heidegger �
partir des ann�es 1935-1936.
On peut ne pas s�accorder avec cette id�e ; il est pourtant
d�licat de la qualifier de
nazie. Ajoutons encore une fois
qu�elle n��te strictement rien �
la monstruosit� sans pareil du
r�gime hitl�rien ; elle affirme
cependant qu�il ne s�est pas
impos� de nulle part, m�me si la
monstruosit� s�y est montr�e
comme nulle part et comme
jamais, puisque s�y manifeste
(comme cela ne s�est jamais
manifest�) ce que pouvait donner
l�objectivation de l�homme par
l�homme, r�duit au rang de �
mati�re premi�re la plus
importante �, comme le disait
Hitler (phrase que cite
Heidegger et qu�il critique tr�s
violemment dans les cours sur
Nietzsche, dans Besinnung,
mais aussi dans �berwindung
der Metaphysik, � 26, in
Vortr�ge und Aufs�tze, pp.
87-88). La production en masse
des biens est contemporaine de
la production en masse des
cadavres : est-ce simplement un
hasard de l�histoire ? Car
enfin, les camps de la mort sont
des usines o� s�ach�ve la
destruction de l�homme non pas
simplement parce qu�on le fait
mourir, mais parce qu�il y meurt
d�une mort proprement inhumaine,
d�une mort elle-m�me produite en
s�rie. Contrairement � ce que
posait encore Sein und Zeit,
m�me la possibilit� de notre
propre mort peut nous �tre �t�e
: l�homme r�duit � l��tat
d�objet voit sa mort produite �
la cha�ne, comme sont produits
les biens qui peuplent d�sormais
son monde � et tel est bien le
sens de la fameuse phrase des
conf�rences de Br�me.
Cette �poque o� s�accomplit l�objectivation de l�existence
humaine, Heidegger la nomme :
l��re de la Technique. La
Technique n�est pas la
"technologie"; elle n�est plus
un processus de production ou de
manufacture, elle n�a plus le
sens que pouvait lui donner par
exemple Aristote, non pas parce
qu�elle s�est industrialis�e (ce
n�est absolument pas le probl�me
!), mais bien parce que c�est
l�homme lui-m�me qui s�y
consid�re finalement comme un
produit � le produit d�une race,
d�une appartenance biologique,
de "valeurs" dont il ne d�cide
pas parce qu�elles d�cident de
lui, terreau f�cond dans lequel
s�enracinent tous les racismes
et tous les nationalismes du
sang et du sol, que ce soient
ceux de Rosenberg ou de
Gobineau. L� encore, je renvoie
aux cours sur Nietzsche, � la
critique du biologisme, de la
Weltanschauung, du
relativisme et de la
m�taphysique des valeurs.
Alors, s�agit-il s�rieusement de vouloir en revenir au nazisme ? Certainement pas. Pourquoi en ce cas parler de la � v�rit� et de la grandeur interne de ce mouvement �? Attachement visc�ral au nazisme, m�me apr�s guerre ? C'est l'interpr�tation de Faye... Reste � savoir ce qu'en 1935 d�j� Heidegger entend dire par l�, m�me de fa�on "crypt�e".
2�) Quel pourrait alors �tre le
sens de cette phrase dans son
contexte historique et textuel?
Je regarde le passage en entier,
et qu�y vois-je ? � Ce qui
aujourd�hui [en 1935] est
colport� sous le nom de
philosophie du
national-socialisme, mais n�a
pas le moindre rapport avec la
v�rit� et la grandeur de ce
mouvement [Bewegung]
(c'est-�-dire avec la rencontre
de la technique, dans sa
dimension plan�taire, et de
l�homme des temps modernes), a
choisi ces eaux troubles
appel�es ��valeurs�� et
��totalit�s�� pour y jeter ses
filets �.
Pour comprendre cela, sans doute
faut-il l� encore savoir ce que
veut dire � �crire par temps de
dictature � (Leo Strauss) :
die Bewegung, c�est bien s�r
le national-socialisme (dont
l�appellation courante, �
l��poque, �tait bien la suivante
: � le mouvement �, sans qu�il
soit utile de pr�ciser de quoi
et vers quoi). Mais die
Bewegung, et Heidegger s�en
explique assez dans les cours et
les textes contemporains �
celui-ci, c�est aussi pour lui (Grundbewegung)
le mouvement propre � cette
�poque de l�histoire,
c'est-�-dire le nihilisme. La
v�rit� du national-socialisme,
c�est le nihilisme ; c�est
pr�cis�ment ce qui fait sa
grandeur : le mal est d�sormais
connu, il appara�t enfin sans
fard et sous son vrai visage.
� L� o� est le danger, cro�t ce
qui sauve �, disait d�j�
H�lderlin (vers que Heidegger
cite sans cesse � cette p�riode,
et plus tard encore) : parce que
le mouvement de fond de la
modernit� s�est enfin d�voil�
comme tel et nous a montr� son
vrai visage, s�ouvre enfin une
possibilit� d�action pour le
penser comme tel, et pour le
contrer (sortir du nihilisme,
c�est pr�cis�ment le but de ce
que Heidegger, dans un texte
contemporain de r�daction � ce
cours, les Beitr�ge,
nommera l�autre commencement).
Seulement, le r�gime
national-socialiste comme
accomplissement du nihilisme
referme pr�cis�ment la
possibilit� qui nous �tait
ouverte : la pens�e s�y enferre
plus que jamais dans la
m�taphysique des valeurs et le
culte de la volont� de
puissance, rendant par l� m�me
impossible, et pour longtemps
encore, toute tentative
d��chapp�e belle.
Peut-on alors reprocher � Heidegger, en 1935, de ne pas avoir dit ces choses clairement ? Du moins ces paroles �taient-elles parfaitement comprises de ceux � qui elles �taient destin�es, � savoir ses �l�ves de l��poque ; et Heidegger d�ajouter, dans l�interview du Spiegel, � Peu m�importait que les imb�cile, les mouchards et les espions comprissent autre chose �.
Pierre Teitgen
***
3 juillet 2005
Bonjour � tous.
Deux r�ponses, � la
suite de deux
messages.
1�) Pour Anatole. Au risque de me r�p�ter (puisque ceci a
d�j� �t� ici l'objet
d'un message
pr�c�dent),
Heidegger n'a JAMAIS
"compar�" l'abattage
des animaux et la
Shoah, encore moins
pour dire qu'il ne
s'agissait l� que
"du pareil au m�me".
Comme je l'ai d�j�
dit, il y a
une diff�rence
entre "sind
das Selbe"
(tournure TRES
�trange en allemand)
et l'expression
qu'on aurait
attendue, et que
Heidegger n'emploie
justement pas, "sind
dasselbe".
Sind dasselbe:
sont la m�me chose,
sont du pareil au
m�me. Sind das
Selbe: sont le
M�me, c'est-�-dire
ressortissent � la
m�me �poque de
l'histoire de
l'estre, � savoir le
nihilisme. Il ne
s'agit certes pas de
dire que c'est au
fond la m�me chose,
mais que ces
�v�nements (certains
infiniment plus
graves que d'autres)
sont apparus � une
m�me �poque de
l'histoire, et
surtout � partir du
m�me fondement
m�taphysique. On a
suffisamment
reproch� � Heidegger
de porter trop son
attention sur
l'�tre-envers-la-mort...
pour ne pas lui
faire le reproche
inverse. Je renvoie
ici encore au texte
des conf�rences de
Br�me: dans cette
vaste entreprise
d'objectivation de
l'homme qui
caract�rise notre
modernit�, il y
avait encore quelque
chose qui r�sistait
: ma mort, qui est
toujours mienne et
seulement mienne.
Les camps
d'extermination ont
�t� � l'homme
jusqu'� la
possibilit� de sa
propre mort,
laquelle est
rigoureusement
parlant devenue
inhumaine, produite
en s�rie comme les
usines produisent
des objets.
2�) A M. Bel.
D�cid�ment, les partisans de Faye-le-calomni� ne sont
eux-m�mes pas avares
de calomnies. En ce
qui concerne M. Bel,
les insultes
prof�r�es ailleurs
par lui � mon �gard,
les commentaires
d'une extr�me
grossi�ret� qu'il
fait ici sur Vincent
Carraud n'appellent
peut-�tre pas autre
chose que du m�pris.
Je suis pourtant
certain que leur
auteur vaut
infiniment mieux que
cela : puisque M.
Bel se targue d'une
culture
philosophique
d'importance, qu'il
use donc d'arguments
au lieu
d'invectives, qu'il
produise des textes
de Heidegger � nous
verrons si
l'interpr�tation
qu'il en fait
r�siste � l'examen.
Sachant que certains ne comprennent pas Heidegger comme je le comprends, je suis tout � fait pr�t, pour ma part, � discuter pos�ment de tout cela avec lui, comme avec quiconque... � condition (a minima!) qu'il s'agisse bel et bien d'une discussion, et pas d'un �change d'insultes par ordinateur interpos�. Je trouve ainsi regrettable, pour ne pas dire plus, de faire passer tous ceux qui ne partagent pas son interpr�tation pour des cr�tins qui n'ont pas lu les textes, ou qui n'y ont rien compris, voire pour des individus suspects des plus honteuses collusions... sans JAMAIS produire soi-m�me d'interpr�tations, et en se r�fugiant toujours in fine dans des arguments ad hominem (Dois-je le dire? Au point o� en sont les choses, peut-�tre : je n'ai pour ma part aucune sympathie pour la barbarie nazie, � laquelle ma famille a pay�, peut-�tre plus que d'autres, un lourd tribut; pourtant, je lis Heidegger et j'y consacre la majeure partie de mes recherches. Par aveuglement? L'argument est imparable � je ne m'�chinerai d'ailleurs m�me pas � tenter de le parer.)
Pierre Teitgen
***
Bonjour � tous.
Je constate qu'apr�s avoir vou� tous ceux qui n'�taient pas de son avis au "palmar�s des abrutis" (sic); suspect� Vincent Carraud de sombres manoeuvres et d'une appartenance � une "internationale noire" du catholicisme le plus r�trograde (et donc toujours suspect� de sympathie pro-nazie), apr�s avoir d�vers� des tombereaux d'injures, de propos o� la seule malveillance servait d'argument, apr�s avoir suspect� �galement que je m'inclinais "devant la statue du commandeur Heidegger" (re-sic), Monsieur Bel affirme sans rire : "Je n'ai jamais prof�r� insultes ni calomnies envers qui que ce soit".
Nous n'avons pas, sans doute, la m�me d�finition et de l'injure, et de la calomnie. Dont acte.
Monsieur Bel cite ensuite "l'�rudition impeccable et la probit� sans faille" d'E. Faye. On a les ma�tres qu'on peut. Quant aux textes demand�s, aux arguments � fournir, toujours rien. Heidegger est cependant par vous accus� d'�tre la cause (rien de moins) "de la mort de plus de six millions de juifs et de la deuxi�me guerre mondiale". Je passe sur la finesse de l'inculpation... pour encore une fois demander des preuves, i.e. des textes de Heidegger qui permettraient de lui faire porter une aussi �crasante responsabilit� � laquelle, hors de toute pol�mique, me semble supputer largement � la hausse les pouvoirs de la philosophie sur notre temps, quand bien m�me se f�t-il agi de la "non philosophie de Heidegger", comme vous dites.
Je con�ois qu'aux yeux de Monsieur Bel, l'Universit� fran�aise se soit gravement compromise � � part "trois ou quatre" professeurs, selon ses dires �, puisqu'elle s'obstine envers et contre tout � enseigner Heidegger. Un homme honn�te pourrait alors � tout le moins envisager, m�me un instant, la possibilit� que finalement tous aient raison et lui tort (ne serait-ce que pour �couter les arguments de l'adversaire). Que nenni ! Il ne s'agit l� que d'un complot g�n�ralis� destin� � taire la v�rit� dont il est le proph�te...
Nous sommes cependant un certain nombre, y compris sur ce blog (et jusqu'� Monsieur Bel lui-m�me, si j'ai bien compris), dont les familles ont assez pay� le prix de ce genre d'arguments, qui a �t� une pi�ce ma�tresse de l'antis�mitisme depuis plus d'un si�cle... et dont le national-socialisme a fait ses choux gras. D�cid�ment, la "nazification" de la pens�e n'est peut-�tre pas o� on la pense.
Au lieu donc de disqualifier toute parole qui n'entrerait pas en consonnance avec la v�tre en d�celant derri�re elle les pires intentions de leur auteur, au lieu de suspecter partout la malveillance, le complot, ou tout simplement la sottise, faites-moi donc l'aum�ne du bon sens et de la probit�. Produisez des arguments et des textes, t�chez de me convaincre au lieu de m'insulter � je ne suis, quant � moi, pas hostile du tout � un �change, f�t-il long.
Quant aux arguments
� m�me de "d�monter"
l'imprudent
bricolage d'E. Faye,
je me permets ici de
renvoyer �
l'excellent texte de
G�rard Guest et
publi� sur ce site
http://parolesdesjours.free.fr/
PS. Je relis le cours sur Schelling. Comme je n'y vois rien de particuli�rement monstrueux, auriez-vous la bont� de m'indiquer quel passage au juste a d�cha�n� ainsi votre col�re?
Pierre Teitgen
***
4 juillet 2005
Bonjour � tous.
Ce message s'adresse � M. Bel, mais aussi � tous ceux que la question int�resse. Concernant sp�cifiquement M. Bel, et quoi qu'il en soit du fond, je suis ravi que nous en venions effectivement sur un terrain o� des arguments peuvent �tre pr�sent�s et r�fut�s. Reste cependant, nous l'aurons tous compris, une irr�ductible diff�rence dans la fa�on d'interpr�ter les textes.
Je prends donc le
passage que vous
citez des Hymnes
de H�lderlin (p.
46): "De cet habitat
les hommes, un
peuple peuvent �tre
expuls�s, mais m�me
en ce cas, les
hommes sont".
Ce passage,
dites-vous, fait
r�f�rence �
l'exclusion des
juifs. Ah bon? Je
veux bien... Mais
m�me � admettre
cette interpr�tation
peu �vidente,
qu'est-ce que
Heidegger dirait
alors? Que la po�sie
n'est en aucun cas
un "fait culturel"
r�ductible � la
"vision du monde"
d'un peuple; bien au
contraire, ce n'est
pas sa culture qui
d�finit un peuple,
mais la fa�on dont
il s'expose par la
parole � l'�tre,
i.e. la po�sie.
On mesure la
difficult� qu'il y a
� faire de cette
th�se quelque chose
de profond�ment
nazi... puisqu'elle
conduit Heidegger �
affirmer que la
politique (tout
comme la culture)
est impuissante �
d�finir ce qui fait
d'un peuple un
peuple. Admettons
maintenant votre
lecture, selon
laquelle le peuple
qui serait exclu de
sa propre mani�re
po�tique d'habiter
le monde, soit le
"peuple juif"...
Mais alors "m�me en
ce cas les hommes
sont, le peuple est
encore"... Ce que je
lis, si votre
interpr�tation est
la bonne (ce qui ne
veut pas dire que je
la partage), c'est
que m�me si les
juifs sont exclus
par le pouvoir
politique de leur
mani�re po�tique
d'habiter le monde,
ils demeurent de
fa�on inalt�rable
"un peuple" et des
"hommes".
Vous renvoyez ensuite � la page 50 de ce m�me cours. Qu'y
lis-je? "Dans un
v�ritable cours de
philosophie, par
exemple, l'important
n'est pas ce qui est
directement dit,
mais ce qui, dans ce
dire, est r�serv� au
silence. C'est
pourquoi il est
facile d'�couter des
cours de philosophie
et de les prendre en
note tout en les
entendant �
contresens".
Qu'est-ce que
Heidegger pourrait
"taire" d'essentiel
dans ses cours ? Sa
haine des juifs?
Mais n'�tait-ce pas
l'�poque de
l'histoire o� il
�tait de bon ton de
s'en vanter? Que
faire, � cette m�me
page 50, de la
critique acerbe (et
qui la tourne en
ridicule) de ce
qu'est devenue la
philosophie
allemande nazifi�e,
rebaptis�e pour
l'occasion "science
organiquement
populaire"
("N'importe quel
petit-bourgeois
comprend cela, et
puisqu'il le
comprend, c'est que
c'est juste, et tout
cela s'intitule
d�sormais "science
organiquement
populaire""). N'y
a-t-il pas l� au
contraire une
critique virulente
de tout principe "v�lkisch"
selon laquelle
n'importe quel
pr�jug�, pourvu
qu'il f�t ancien,
devient l'expression
sacr�e de "l'�me du
peuple"?
Je cite le passage dont vous vous indignez � et laisse chacun
seul juge: "Si un
tel saccage de toute
pens�e authentique
restait sans
prolongements, tout
serait en ordre. Car
seul celui qui ne
comprend pas
l'authentique peut
s'�tonner, voire
s'indigner de cette
m�prise in�vitable.
L'�tonnement, voire
l'effroi, est aussi
d�plac� ici que si
quelqu'un, devant
une superbe ferme,
se scandalisait de
la pr�sence � c�t�
d'elle d'une
respectable fosse �
fumier. Que serait
une ferme sans
fumier? "
Pour vous, selon
toute vraisemblance,
"authentique" =
allemand et le tas
de fumier = les
juifs. Je veux
bien... Mais ce
n'est pourtant PAS
ce que dit le texte
! Ici, et assez
clairement, le
"fumier", c'est le
"saccage de la
pens�e authentique",
� savoir pr�cis�ment
"la science
organiquement
populaire", ie la
"philosophie" et la
"po�sie"
nationale-socialistes.
Je ne renvoie pas au
sens du terme
"authentique" chez
Heidegger, lequel
n'a JAMAIS eu
d'autre
signification
premi�re que MORALE
(est authentique ce
dont je puis
r�pondre en propre.
Une fois n'est pas
coutume, je renvoie
sur ce point � mon
article paru chez
Ellipses dans le
recueil sur la
propri�t�, le propre
et l'appropriation).
Le "saccage de la
pens�e authentique",
c'est pr�cis�ment
cette id�ologie
selon laquelle la
po�sie serait un
fait culturel
porteur de la vision
du monde d'un
peuple... S'il ne
s'agissait que de
cela (ce qui n'est
justement PAS le
cas), "tout serait
en ordre", i.e.
les d�g�ts seraient
encore limit�s...
Mais si c'est
po�tiquement qu'un
peuple habite la
terre, r�duire la
po�sie � une
expression
culturelle et � une
vision du monde,
c'est r�duire le
peuple lui-m�me... �
sa "race", � son
"sang" et � son
"sol" � r�duction
dont Heidegger voit
parfaitement le
caract�re
catastrophique d�s
1934 (GA 36/37, pp
262 - 263).
On comprend donc que ce "saccage" n'est pas rest� sans
prolongements, au
contraire: en
faisant de la po�sie
de H�lderlin
l'expression d'une
"vision du monde"
proprement
"allemande", le
nazisme n'a pas
simplement saccag�
H�lderlin, il a
saccag� le peuple
allemand lui-m�me �
et cela, "seul celui
qui ne comprend pas
l'authentique peut
s'�tonner voire
s'indigner de cette
m�compr�hension
in�vitable". Seul
celui qui ne
comprend pas
l'authentique,
c'est-�-dire:
l'adepte de
l'id�ologie
v�lkisch que
n'est JUSTEMENT pas
Heidegger, qui pour
le coup et quant �
lui s'en indigne
suffisamment
clairement ! Ce
qu'est devenu le
peuple allemand au
regard de ce qu'il
aurait pu �tre ne
peut QUE susciter
"l'�tonnement, voire
l'effroi" (je songe
ici aux Nouvelles
conversations avec
Eckermann... Du
camp de Buchenwald,
on peut voir Weimar,
la ville de Goethe
et Schiller); mais
cette
m�compr�hension de
l'essence de la
po�sie, et par
l�-m�me de l'essence
du peuple, �tait nul
doute "in�vitable",
au vu des fondements
m�taphysiques du
national-socialisme:
le nazisme a eu, par
un genre de
terrifiante justice
immanente, une
po�sie � sa mesure,
et le seul peuple
dont il �tait digne
� un peuple
"biologiquement
d�fini", qui au nom
d'un "enracinement "
dans un "sol" a
d�truit toute po�sie
et toute culture
authentique.
Je pourrais reprendre d'�gale fa�on ce que vous dites des cours sur Nietzsche... Qui d�s 1935 est bel et bien pour Heidegger celui qui ACHEVE (et de quelle magistrale fa�on) la m�taphysique en la portant � son comble. Mais la volont� de puissance comme ach�vement de la m�taphysique porte cependant un autre nom chez Heidegger : le nihilisme; cf. l�-dessus Metaphysik und Nihilismus (GA 67). Certes, c'est pour l'arracher � ses interpr�tes nazis que Heidegger parle de Nietzsche; mais c'est aussi pour montrer ce qui se r�v�le d�j� dans Nietzsche, � savoir effectivement la possibilit� de l'an�antissement pur et simple... Possibilit� (faut-il le dire? ) que Heidegger n'appelle pas pr�cis�ment de ses voeux!
P. Teitgen
P.S. A Monsieur Bel. Vous n'avez nullement � me poursuivre, au reste je ne me cache pas. Il me semble que si l'un de nous deux essaime de site en site, et abandonne la partie d�s qu'il a affaire � forte partie (cf. le pr�c�dent blog d'Assouline), ce n'est pas moi.
Pierre Teitgen
P.P.S. Je relis le
message de M. Bel,
et d�cid�ment
quelque chose ne
passe pas, outre
notre profonde
divergence de fond.
Je cite M. Bel qui justifie ainsi la d�cision de Vincent
Carraud, pr�sident
du jury de
l'Agr�gation de
Philosophie (et
sp�cialiste de...
Pascal et Descartes,
d'une autre
envergure m�me qu'un
certain E. Faye!)
d'avoir maintenu
Heidegger � l'�crit
de l'Agr�gation:
"Compte tenu de l'attrait [que Heidegger] exerce sur les
milieux catholiques
et notamment sur les
autorit�s
religieuses au plus
haut niveau, il ne
lui reste plus qu'�
proposer
d'outre-tombe,
l'introduction de
son enseignement au
Vatican dans le
Nouveau cat�chisme
du Salut chr�tien.
Il sera d�sormais
facile � quelque
fervent de
"Communio" ou de
Saint Bonaventure de
demander sa
b�atification".
M. Bel ajoute, dans un autre message:
"Ceci �tant dit, je n'ai rien dit d'offensant pour Monsieur
Carraud sauf �
consid�rer que
l'expression de la
r�alit� l'est,
auquel cas nous
n'avons rien � faire
ensemble. "
Si vous ne voyez pas l'insulte, je crains, effectivement, "que nous n'ayons rien � faire ensemble". Carraud est catholique, donc fascin� par Heidegger. Ce qu'il fait n'est qu'un symptome de ce qu'il est. Toute l'intelligensia catholique est heideggerienne, pour des raisons d'ailleurs soit int�ress�es, soit irrationnelles � pour des raisons d'essence. Tous les sp�cialistes de Heidegger qui protestent contre les contresens manifestes de Faye sont des fanatiques � c'est parce qu'ils sont fanatiques qu'ils protestent. La circularit� de l'argument et sa dangereuse universalisation, pour ma part, me donnent la naus�e. Tous les juifs sont des voleurs. Tous les Allemands sont antis�mites. Les Chinois (c'est bien connu) sont fourbes et cruels... Notre �tre ne d�pend pas de nous, mais d'une essence sur laquelle l'individu n'a pas de prise... Id�ologie qui a (dois-je le rappeler) fait des ravages sous le nom...de "Sang et sol" !
D�cid�ment, encore,
la "nazification des
esprits" n'est pas
l� o� l'on pense.
Pierre Teitgen
***
En r�ponse � deux messages de Mme Benchetrit
1�) En ce qui concerne les animaux: ce que je pense de la question n'a pas, je crois, sa place ici. Je me suis toujours born� � tenter d'expliciter ce que Heidegger, lui, disait. Il y a une pens�e de l'animal fort complexe chez Heidegger (je vous recommande sur ce point les Concepts fondamentaux de la m�taphysique). Disons que pour Heidegger, il y a une diff�rence essentielle entre la mort d'un homme et la mort d'un animal � ce qui ne veut pas dire qu'on puisse faire crever les animaux comme on veut, ou comme on juge rentable de le faire. Donner des droits � ce qui ne peut pas en r�clamer, c'est bien au contraire la marque de la grandeur humaine � ce qui fait, au sens propre, sa MANSUETUDE (masuetudo: donner � manger dans la main, i.e. apprivoiser). Quant � ce que vous dites de l'animalisation du juif qui devient par l� m�me exterminable, je m'accorde parfaitement avec vous sur ce point.
2�) Contrairement � ce que certains tentent de faire accroire, le "tas de fumier" dont il est question dans le commentaire de l'hymne de H�lderlin, ce n'est ni les juifs, ni les tas de cendre des fours cr�matoires � pardon si je r�p�te un pr�c�dent message, il est vrai trop long et par trop "technique". Lisez le texte... Vous verrez que le fumier, c'est "la science organiquement populaire", c'est-�-dire... l'enseignement national-socialiste tel qu'il est prodigu� � l'universit� ! Le texte de Heidegger est PARFAITEMENT clair et ne laisse pas planer la moindre ambigu�t�... Au point qu'il faut une dose de mauvaise foi (ou de malveillance) telle qu'elle me laisse pantois pour y voir autre chose. Je permets de renvoyer sur ce point � mon message du 4 juillet.
En m'excusant aupr�s de Mme Benchetrit de ne pas lui avoir r�pondu plus t�t (il y a beaucoup de choses auxquelles je me dois de r�pondre en ce moment !)
Pierre Teitgen