UNION INTERPARLEMENTAIRE PLACE DU PETIT-SACONNEX 1211 GENEVE 19, SUISSE |
RAPPORT SUR LA VISITE A CHYPRE Rapporteur : M. M. FERRIS, Chef de délégation
Table des matières
Annexes : IV. Répartition des forces politiques dans la partie nord de Chypre
I. CONTEXTE ET OBJECTIFS DE LA VISITE 1. Le Comité chargé de suivre la situation à Chypre a été créé par le Conseil interparlementaire en mai 1991 "afin de suivre de près la situation et d'informer les organes compétents de l'Union interparlementaire de l'évolution de la situation à Chypre". Le Comité a siégé pour la première fois à l'occasion de la 86e Conférence de l'Union interparlementaire à Santiago, en octobre 1991, et il s'est réuni à quatre reprises depuis lors, toujours dans le cadre des réunions statutaires de l'Union interparlementaire, qui ont lieu deux fois par an. 2. Le Comité a établi comme pratique : i) d'examiner des mémoires rendant compte de l'évolution de la situation à Chypre présentés par les deux Communautés de Chypre et par les Groupes nationaux représentant au sein de l'Union interparlementaire les trois Puissances garantes établies par le Traité de garantie de 1960, la Grèce, la Turquie et le Royaume-Uni; ii) d'examiner des informations sur la mission de bons offices du Secrétaire général des Nations Unies et iii) d'entendre les représentants des deux Communautés de Chypre. Il a tenté, en vain pour l'instant et ce malgré les demandes répétées faites dans ce sens par le Conseil interparlementaire, d'entendre également des représentants des Groupes nationaux des trois Puissances garantes. 3. D'emblée, le Comité a estimé que, pour pouvoir remplir son mandat, il lui était indispensable d'effectuer une visite sur place et, lors de sa 153e session, en septembre 1993, le Conseil interparlementaire a approuvé ce qui suit dans l'optique de l'organisation d'une telle mission :
4. Trois des six membres du Comité ont été
en mesure de participer à la visite : M. M. FERRIS (Irlande),
M. H. KEMPPAINEN (Finlande) et Mme H. MEGAHED (Egypte). Le Président,
Dr. M. CLARK (Royaume-Uni), le Vice-Président, M. J. BAUMEL
(France), et M. C. HOLDING (Australie) n'ont pu y prendre part;
bien que leur absence ait été due à des raisons
indépendantes de leur volonté, certains représentants
des deux Communautés ont laissé entendre qu'elle
pouvait être inspirée par des considérations
politiques, allégation qui a été démentie
par la délégation. M. M. FERRIS a pris la tête
de la délégation, qui était accompagnée
par Mlle C. Pintat, Secrétaire du Comité.
5. Aux fins de ce rapport, le Comité a jugé utile
d'inclure en Annexe II une note situant le problème de
Chypre dans son contexte historique. IV. DOCUMENTATION MISE A LA DISPOSITION DE LA MISSION 6. Les documents suivants, qui sont disponibles sur demande, ont été remis à la délégation : i) Informations relatives au progrès enregistré dans les négociations depuis la session de septembre 1993 dans le cadre de la mission de bons offices du Secrétaire général des Nations Unies : Rapport du Secrétaire général sur sa mission de bons offices à Chypre en date du 14 septembre 1993 (document N° S/26438); lettre du Président du Conseil de sécurité adressée au Secrétaire général en date du 20 septembre 1993 (document N° S/26475); rapport du Secrétaire général en date du 22 novembre 1993 relatif à la réévaluation exhaustive des opérations de l'ONU à Chypre entamée par le Conseil de sécurité (document N° S/26777) et résolution du Conseil de sécurité S/889 en date du 15 décembre 1993; ii) un mémoire en date du 12 janvier 1994 présenté par le Groupe national de Chypre en sa qualité de représentant de la Communauté chypriote grecque; iii) un mémoire en date du 12 janvier 1994 présenté par M. Ayhan H. Acarkan en sa qualité de représentant de la Communauté chypriote turque; iv) un mémoire en date du 22 décembre 1993 présenté par le Groupe national du Royaume-Uni en sa qualité de représentant de l'une des trois Puissances garantes établies par le Traité de garantie de 1960; v) un mémoire en date du 5 janvier 1994 présenté par le Groupe national de la Grèce en sa qualité de représentant de l'une des trois Puissances garantes établies par le Traité de garantie de 1960; vi) un mémoire en date du 5 janvier 1994 présenté par le Groupe national de la Turquie en sa qualité de représentant de l'une des trois Puissances garantes établies par le Traité de garantie de 1960;
7. Des documents de référence portant sur certains
points particuliers ont également été mis
à la disposition de la délégation. V. PROGRAMME DE LA VISITE ET REMERCIEMENTS 8. Le programme détaillé de la visite figure à l'Annexe I. 9. La délégation souhaite exprimer sa plus profonde gratitude à tous ceux qu'elle a pu rencontrer et qui, par leurs explications, l'ont considérablement aidée à mieux comprendre et mieux analyser le problème de Chypre dans toute sa complexité. Elle tient tout particulièrement à remercier les autorités de la République de Chypre, qu'elle a rencontrées en leur qualité de représentantes de la Communauté chypriote grecque, Son Excellence M. Glafkos Clerides, Président de la République de Chypre, M. Alexis Galanos, Président de la Chambre des représentants et du Groupe national de la République de Chypre, et M. Alecos Michaelides, Ministre des affaires étrangères de la République de Chypre. La délégation adresse également des remerciements particuliers aux dirigeants de la Communauté chypriote turque, qu'elle a rencontrés en leur qualité de représentants de leur communauté, S.E. M. Rauf R. Denktash, Dirigeant de la Communauté chypriote turque, M. Ayhan H. Acarkan, M. Hakki Atun, M. Ozker Ozgur et M. Atay Ahmet Rasit. Des deux côtés, les dirigeants des partis politiques et les représentants de la société civile ont fait connaître leurs points de vue à la délégation avec une sincérité et une franchise dont elle leur est très reconnaissante. 10. La gratitude de la délégation va également à M. Gustave Feissel, Représentant spécial adjoint du Secrétaire général de l'ONU, qui l'a non seulement renseignée sur tous les aspects de la mission de bons offices du Secrétaire général de l'ONU et des activités de la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre, en organisant notamment une visite de la zone tampon et de l'Aéroport international de Nicosie, mais qui a aussi facilité le passage de la délégation dans la partie nord de l'île.
11. Enfin, la délégation souhaite remercier toutes
les personnes des deux Communautés de Chypre qui l'ont
aidée à prendre contact avec les personnalités
et les organisations qu'elle désirait rencontrer et se
sont chargées d'autres détails pratiques, tels que
l'organisation des déplacements des membres de la mission
dans leurs zones respectives. B. TRAVAUX ET CONCLUSIONS DE LA DELEGATION I. ANGLE DE VUE GENERAL DE LA DELEGATION 12. La délégation s'est efforcée, tout au long de ses activités, de conserver l'approche objective et neutre d'une mission d'enquête. Elle a traité sur un pied d'égalité les représentants des deux Communautés, leur consacrant notamment la même période de temps lors de son séjour sur l'île et essayant d'obtenir des informations détaillées de toutes les sources énumérées dans le programme (Annexe I), sans entériner la position de l'un ou de l'autre de ses interlocuteurs, mais dans l'optique de se faire une image aussi juste que possible de la situation. 13. La délégation n'a jamais perdu de vue la position adoptée par l'Union interparlementaire au sujet du statut de la République de Chypre et de celui de la partie nord de l'île. 14. Elle a gardé en permanence à l'esprit que l'Union interparlementaire considère le problème de Chypre comme un problème qui non seulement concerne les deux Communautés en cause, mais dans lequel les trois Puissances garantes ont aussi leur part et leur mot à dire. 15. Les questions posées par la délégation à ses interlocuteurs lui ont été inspirées par le soutien que l'Union interparlementaire manifeste à l'égard des initiatives entreprises par le Secrétaire général de l'ONU dans le cadre de sa mission de bons offices et qui visent à faire évoluer le statu quo actuel, c'est-à-dire l'"Ensemble d'idées" et les mesures de renforcement de la confiance pour lesquels le Conseil interparlementaire a manifesté son soutien lors de sa 153e session en septembre 1993. 16. Enfin, la délégation a entamé sa visite en étant consciente du fait que le temps qui passe rend chaque jour un peu plus difficile l'édification d'une nation chypriote composée de deux Communautés dont chacune a légitimement le droit de participer à l'avenir de l'île.
17. Avant de passer aux différentes facettes de sa mission,
la délégation souhaite préciser qu'elle ne
prétend avoir fait le tour de toutes les questions à
envisager, ni au cours de sa visite, ni dans ce rapport. Elle
est également consciente du fait que, s'étant entretenue
avec plus de 50 personnes et groupes de personnes, elle ne saurait
avoir fait justice à tous les détails de leur pensée
dans ce document. Elle nourrit l'espoir de ne pas avoir trahi
cette pensée en la reflétant et la résumant
ici. II. LES PRINCIPALES DIFFICULTES RENCONTREES DANS LA RECHERCHE D'UNE SOLUTION 18. La délégation a le sentiment que les principales difficultés rencontrées dans la recherche d'une solution sont autant d'ordre émotionnel que politique. Elle a en effet été frappée par la fréquence des allusions à la peur. Cette peur est, bien évidemment, le résultat des atrocités commises dans le passé et dont la mémoire est encore très vivace dans l'esprit des populations des deux Communautés, mais elle est sans aucun doute aussi renforcée par les 20 années d'absence totale de contacts et de communication entre les deux Communautés; les nouvelles générations n'ont jamais eu de rapports personnels avec les membres de l'autre Communauté, elles ne connaissent ni leurs habitudes, ni leurs valeurs. "L'île est aussi divisée dans l'esprit des gens" entend-on fréquemment, et il a même été dit que le fossé séparant les Allemands à l'époque du mur de Berlin était moins profond que celui qui sépare aujourd'hui les Chypriotes. 19. Cette absence de contacts, qui est fortement déplorée par certaines personnes des deux côtés, a conduit chaque Communauté à se faire une idée plutôt abstraite de l'autre et à la considérer comme une étrangère dont il ne faut attendre que des problèmes, voire des agressions directes. Cette peur, associée à une profonde méfiance dont les racines remontent loin dans l'histoire, bien plus loin en tout cas que les événements s'étant déroulés dans les années soixante et soixante-dix, complique singulièrement la recherche d'une solution politique acceptable pour les deux parties. 20. La délégation a aussi remarqué que pratiquement toutes les personnes rencontrées se référaient sans cesse au passé et que, joint à la peur et à la méfiance, ce retour constant au passé pouvait dans une certaine mesure les empêcher de se tourner vers l'avenir. Certaines personnes ont même spontanément reconnu qu'il en était ainsi, ajoutant qu'il était temps que les Chypriotes changent d'attitude à cet égard. 21. Des deux côtés, il a été admis que le temps ne faisait rien pour arranger les choses.
22. Dans ce contexte, la délégation est convaincue
de ce que la clé d'un règlement juste et durable
du problème chypriote réside dans le rétablissement
de la confiance et dans une volonté de faire des compromis
manifestée par tous les secteurs de la société,
notamment les dirigeants politiques et les médias, qui
contribuent grandement à façonner l'opinion publique.
La délégation lance donc un appel pressant, notamment
aux forces politiques, afin que tout soit fait pour que prévalent
de telles attitudes, dont elle aurait voulu voir plus d'exemples.
23. Des "entretiens indirects ", réunissant sur le même plan les dirigeants des deux Communautés, sont organisés depuis un certain nombre d'années dans le cadre de la mission de bons offices du Secrétaire général de l'ONU. M. Boutros Boutros-Ghali, tentant de mettre un terme au statu quo actuel, a proposé en août 1992 un "Ensemble d'idées relatives à un accord-cadre global sur Chypre" (texte disponible sur demande) entériné par le Conseil de sécurité dans sa résolution n° 774 du 26 août 1992. Pour l'instant, cet "Ensemble d'idées" n'a pas été approuvé par les dirigeants des deux Communautés. Les deux Communautés devront être consultées par référendum séparé une fois cette approbation obtenue.
24. L'"Ensemble d'idées" prévoit une fédération
composée de deux Communautés et de deux zones et
reconnaît que "Chypre est la patrie commune de la
Communauté chypriote grecque et de la Communauté
chypriote turque et que celles-ci n'ont pas entre elles un rapport
de majorité à minorité, mais de deux Communautés
dans la république fédérale de Chypre".
Il couvre les questions suivantes : aspects constitutionnels de
la fédération, sécurité et garantie,
ajustements territoriaux (avec proposition de carte), personnes
déplacées, développement économique
et garanties et accords de transition. IV. LES MESURES DE RENFORCEMENT DE LA CONFIANCE 25. En juin 1993, devant l'enlisement des entretiens sur l'"Ensemble d'idées", le Secrétaire général a proposé une étape intermédiaire se présentant sous la forme d'un ensemble de mesures de renforcement de la confiance (reproduit à l'Annexe V), qui comprend deux mesures d'une importance extrême : la reprise de l'activité à Varosha et la réouverture de l'Aéroport international de Nicosie. Le rapport de septembre 1993 du Comité chargé de suivre de la situation à Chypre fait une large place à cette initiative, qui a bénéficié du soutien du Conseil interparlementaire. 1. L'ensemble de mesures portant sur Varosha et l'Aéroport international de Nicosie 26. Avant les événements de 1974, Varosha, qui se situe dans la banlieue de Famagouste, était une station de tourisme réputée, gérée presque exclusivement par des Chypriotes grecs. En 1974, les habitants chypriotes grecs de Varosha, craignant pour leur vie, ont quitté la ville, que les Forces turques ont convertie en secteur fermé. Depuis, la ville s'est transformée en ville fantôme (à l'exception de trois bâtiments). Le Gouvernement de la Turquie est tenu pour responsable du maintien du statu quo dans le secteur fermé. L'Aéroport international de Nicosie, qui se trouve dans la zone protégée par l'ONU et que la délégation a pu visiter, est fermé au trafic aérien depuis une vingtaine d'années environ; son équipement a souffert des intempéries et du manque d'entretien. 27. En juin 1993, le Président Clerides avait déjà indiqué qu'il était prêt à accepter l'arrangement proposé pour Varosha et l'Aéroport international de Nicosie, à condition que ne lui soit annexée aucune disposition ayant pour effet, directement ou indirectement, de reconnaître la "République turque du nord de Chypre". M. Denktash s'était depuis lors abstenu de tout commentaire, tandis que la Turquie avait, pour sa part, fait savoir qu'elle était en faveur de l'arrangement. 28. Depuis lors, le Secrétaire général de l'ONU a demandé à une équipe d'experts de différents domaines de spécialité, dont la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, de rédiger un rapport traitant des avantages économiques présentés pour les Communautés chypriote grecque et turque par les mesures de renforcement de la confiance prévoyant la reprise de l'activité à Varosha et sur l'Aéroport international de Nicosie, et d'étudier les questions relatives à leur application. Leurs rapports (considérés comme des documents "non officiels" par les deux parties) brossent un tableau clair des avantages et des inconvénients présentés par les mesures de confiance, raison pour laquelle la délégation a estimé utile de faire figurer le résumé de leurs conclusions à l'Annexe V. Il concluent, principalement, que "la mise en oeuvre de ces mesures de confiance représenterait l'avancée la plus notable accomplie à Chypre depuis près de vingt ans" (et) "présenterait des avantages considérables pour les deux Communautés. Les avantages seraient proportionnellement plus importants pour la partie chypriote turque en raison de la taille relative de son économie et du fait que les mesures auraient pour conséquence de réduire les obstacles auxquels est confrontée l'économie chypriote turque." 29. Le jour de la conclusion des travaux de la délégation, il a été annoncé que M. Denktash avait communiqué au Secrétaire général sa réponse concernant les mesures de confiance. Il n'a cependant pas été possible de connaître alors le contenu exact de cette réponse. 30. Le Conseil interparlementaire s'étant associé, en septembre 1993, au voeu formulé par le Secrétaire général de l'ONU, à savoir que les mesures de confiance contribuent à ouvrir des perspectives d'avenir pour Chypre au milieu de ce qui pouvait être considéré comme une impasse, la délégation a mis un accent particulier sur cette question et s'est efforcée de recueillir l'opinion de tous ses interlocuteurs à cet égard. 31. La délégation a compris que le Secrétaire général de l'ONU ne considère en aucune façon que l'approbation et la mise en oeuvre des mesures de confiance suspende la recherche d'une solution d'ensemble au problème chypriote. Des deux côtés, il lui a cependant été affirmé que l'application des mesures retarderait la recherche d'une solution3 pour huit ou dix ans, c'est-à-dire jusqu'à ce que la viabilité des mesures ait pu être évaluée dans la pratique. 32. Pour reprendre les termes de M. G. Feissel, Représentant spécial adjoint du Secrétaire général de l'ONU, "les mesures de confiance ne sont qu'un catalyseur pour la solution, elles ne sont pas la solution". Toutefois, de nombreux représentants des deux Communautés se sont déclarés préoccupés par le fait que l'application des mesures de confiance, si elles étaient approuvées, pourrait entraver la recherche d'une solution d'ensemble et nombreux sont ceux qui ont exprimé leur crainte de voir ces mesures devenir de facto une version miniature de l'arrangement définitif. 3. Une question d'importance : le statut de la "République turque du nord de Chypre" 33. M. G. Clerides, Président de la République de Chypre, et M. A. Michaelides, Ministre des affaires étrangères, ont indiqué que leur Gouvernement approuvait l'esprit des mesures de confiance mais qu'il était nécessaire de discuter des modalités de mise en oeuvre car toute mesure impliquant, directement ou indirectement, une reconnaissance de la prétendue "République turque du nord de Chypre" (entité auto-déclarée, que seule la Turquie a reconnue - cf. Annexe II, para. 9 à 13) serait inacceptable. 4. Points de vue concernant les mesures de confiance 34. Lors des entretiens qu'elle a eus avec les dirigeants de tous les partis politiques chypriotes grecs, la délégation a constaté que l'argument concernant la non-reconnaissance de la prétendue "République turque du nord de Chypre" était partagé par tous les partis. Leur attitude vis-à-vis des mesures de confiance varie cependant :
35. Du côté chypriote turc :
36. Les différents dirigeants ont cité, à l'appui de leur thèse, un certain nombre d'aspects pratiques et même techniques des mesures de confiance et ils ont donné leur analyse des répercussions qu'elles pourraient avoir sur différentes questions évoquées dans ce rapport, notamment : le territoire, la population, l'économie, les contacts. 5. Discussion des modalités d'application ou réouverture des négociations ?
37. La délégation a noté que, à l'exception
de ceux qui ont rejeté les mesures de confiance, tous les
interlocuteurs rencontrés au sein des deux Communautés
ont déclaré que ces mesures devraient être
débattues et négociées. Les rapports de l'équipe
d'experts de l'ONU ont, à cette fin, été
considérés comme des documents de référence
plutôt que comme des documents officiels. Certaines des
personnes rencontrées par la délégation ont
proposé d'ajouter de nouvelles mesures dans l'ensemble
de mesures proposé, ou de modifier, en l'augmentant ou
en la diminuant, la portée de certaines des mesures déjà
formulées. Consciente du fait que les mesures de confiance
(qui font depuis des mois l'objet de difficiles "entretiens
indirects") sont considérées comme un ensemble
indissociable, la délégation craint que toutes ces
propositions, pour légitimes et bien fondées qu'elles
soient, n'impliquent la réouverture des négociations
de fond sur l'ensemble des mesures et ne signifie donc leur abandon
pur et simple, sans que la recherche d'une solution d'ensemble
en soit pour autant facilitée. V. ASPECTS STRATEGIQUES ET QUESTIONS RELATIVES A LA SECURITE 38. Les discussions qui ont eu lieu ont donné à la délégation le sentiment que tant les Chypriotes grecs que les Chypriotes turcs considèrent que l'île, située à un emplacement stratégique unique dans la Méditerranée, est l'enjeu primordial d'un équilibre des pouvoirs principalement entre la Turquie et la Grèce, leurs voisins immédiats. Quant à la délégation, il lui est apparu clairement que la question de la sécurité à Chypre devait être envisagée à la lumière du déplacement des enjeux stratégiques dans la région depuis 1974. 39. Cette composante stratégique du problème chypriote, associée aux luttes inter-communautaires dont l'île a fait l'expérience, explique que la question de la sécurité et des garanties internationales pour le maintien de la paix ait été un leitmotiv de tous les entretiens. 40. La partie chypriote turque a mis un accent particulier sur la question de la sécurité, arguant qu'elle ne pouvait être assurée que tant que Chypriotes grecs et Chypriotes turcs vivaient dans deux zones distinctes de l'île et qu'elle était garantie par une tierce partie. Tous les Chypriotes turcs avec lesquels la délégation s'est entretenue ont exclu toute éventualité de retour à la situation prévalant avant 1974, lorsque les deux Communautés cohabitaient sur l'ensemble du territoire de l'île. Il ont insisté sur le fait que "les gens se sentent ici chez eux" (M. Eroglu, dirigeant du Parti de l'unité nationale). Ils ont ajouté que, en 1974, la Turquie avait agi conformément aux dispositions du Traité de garantie et que la permanence de troupes turques (qu'ils qualifient en général de "force de maintien de la paix" par opposition au terme de "force d'occupation" utilisé par la partie chypriote grecque) dans leur partie de l'île demeurait la principale garantie pour leur sécurité. 41. Tous les Chypriotes turcs rencontrés par la délégation ont souligné que les Chypriotes grecs étaient "armés jusqu'aux dents", ajoutant qu'une telle attitude ne faisait qu'ajouter à la crainte et à la méfiance quant à leurs intentions et rendait indispensable la garantie militaire de la Turquie. Il ont tous condamné la signature par le Président Clerides, en décembre 1993, d'un accord militaire avec le gouvernement de la Grèce. 42. D'un autre côté, la déclaration ci-dessous, figurant dans une lettre en date du 17 décembre 1993 adressée par le Président Clerides au Secrétaire général de l'ONU reflète l'inquiétude constamment évoquée par les interlocuteurs Chypriotes grecs avec lesquels la délégation s'est entretenue "Il va sans dire que la présence massive de forces militaires turques dans la partie occupée de Chypre suscite dans la Communauté Chypriote grecque une inquiétude et une méfiance profondes quant aux intentions turques." Le retrait des troupes turques est l'exigence première des Chypriotes grecs. 43. La délégation estime pour sa part indéniable que toute initiative visant à renforcer les alliances avec la Grèce ou la Turquie, loin d'alimenter l'esprit de compromis nécessaire pour parvenir à un règlement général, ne pourrait que provoquer un regain de peur et de méfiance. 2. Effectif de la Force turque stationnée dans le nord de Chypre 44. L'effectif de la Force militaire turque stationnée dans le nord de Chypre donne lieu à des controverses permanentes et enflammées entre les deux parties. Les Nations Unies estiment cette force à 30.000 hommes environ. La partie Chypriote turque a déclaré qu'elle était composée de deux divisions sans vouloir préciser le nombre exact des hommes. La délégation a simplement pu observer que l'on rencontre nombre de soldats turcs dans les rues de la partie nord de Nicosie. 3. Proposition du Président Clerides 45. Dans la lettre mentionnée plus haut, le Président Clerides proposait, "afin de mettre un terme au climat de peur et de méfiance entravant la recherche d'une solution et améliorer ainsi les perspectives de règlement négocié", de révoquer et de démanteler la Garde nationale, de remettre ses armes et son équipement à la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre, de mettre un terme aux achats d'armes et (une fois déduits les coûts représentés par la Force de maintien de la paix) de déposer les sommes ainsi économisées sur un compte de l'ONU "pour qu'elles soient utilisées, dès qu'une solution aura été trouvée au problème, au bénéfice des deux Communautés". Cette offre a été formulée "sous réserve que la partie turque accepte également en contrepartie de ce qui est stipulé ci-dessus de retirer les forces turques de Chypre, de démanteler les Forces armées chypriotes turques et de remettre leurs armes et équipement militaire à la Force des Nations Unies". 46. Les dirigeants chypriotes turcs et la Turquie ont rejeté cette offre. 4. Présence de la Force des Nations Unies 47. Stationnée à Chypre depuis mars 1964, la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre sert un double objectif : i) maintenir le statu quo militaire et prévenir la reprise des combats et ii) mener des activités d'ordre humanitaire et économique afin de favoriser le retour à une situation normale. 48. Au moment de la visite, la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre, qui se trouve sous le commandement du général irlandais M.F. Minehane, comptait un effectif de 1.168 personnes appartenant au personnel militaire et de 35 membres des forces de police civile. Les forces mises à disposition par l'Argentine, l'Autriche et le Royaume-Uni assurent le respect de la zone tampon (qui s'étend sur 180 km du nord-ouest au sud-est de l'île, et varie en largeur de quelques mètres à 7 km; elle représente 3% du territoire de l'île) par les deux parties (qui ne se sont jamais mis d'accord quant à sa délimitation exacte). En schématisant, le bataillon argentin (364 hommes) est chargé de surveiller la partie occidentale de la zone tampon, le bataillon britannique (377 hommes) a la responsabilité de la partie de la zone tampon située à Nicosie (la portion de loin la plus sensible), et le bataillon autrichien (336 hommes) s'occupe de la partie orientale de la zone. 49. La délégation a été impressionnée au plus haut point par le dévouement et le professionnalisme dont fait montre le personnel de la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre dans l'exercice de la tâche difficile qui lui incombe, surtout en tenant compte du fait que les effectifs de la force ont été réduits de 43,6% depuis décembre 1990 alors que les raisons de leur présence sont restées inchangées et que leur mission est fondamentalement restée la même. La délégation souhaite donc leur rendre hommage. 50. Comme indiqué dans le rapport de novembre 1993 du Secrétaire général de l'ONU, "on demande souvent si la Force n'ajoute pas au problème à Chypre plutôt qu'elle n'aide à le régler. La deuxième question qui se pose est de savoir combien de temps la Force restera sur l'île" (doc. N° S/26777, §101). Quoi qu'il en soit, il est apparu clairement que la présence de la Force des Nations Unies n'est pas perçue de la même façon par les deux Communautés et que son maintien a beaucoup plus d'importance pour la partie chypriote grecque (qui, en fait, prend en charge un tiers environ des coûts de la Force) que pour la partie chypriote turque qui compte sur la Turquie, comme précisé plus haut, pour assurer sa sécurité. 51. La délégation a le sentiment qu'il est absolument nécessaire de maintenir la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre (dont le mandat est renouvelable tous les six mois). Dans le climat actuel de peur et de méfiance qui règne entre les deux Communautés, et étant donné que des groupes extrémistes sont, des deux côtés, capables d'orchestrer sur la zone tampon des provocations pouvant dégénérer en affrontements intercommunautaires6 , il apparaît clairement que la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre joue le rôle bénéfique d'une force d'interposition neutre ainsi que celui de point de contact, et toute tentative visant à lui faire quitter l'île pourrait exposer les deux Communautés à la répétition d'événements tragiques.
52. Tout en étant consciente des contraintes financières
que le rythme accéléré du déploiement
de missions et de forces des Nations Unies dans les zones de crises
et de conflits peut imposer à la communauté internationale,
la délégation estime que les gouvernements devraient
être exhortés à allouer les fonds nécessaires
à la poursuite du mandat de la Force des Nations Unies
chargée du maintien de la paix à Chypre et elle
suggère que les parlements se penchent sur la question.
La Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix
à Chypre, qui est financée depuis juin 1993 sur
la base de contributions volontaires et du barème de contributions
de l'ensemble des membres de l'ONU, était en novembre 1993
en déficit de plus de 200 millions de dollars. VI. ETAT UNIQUE, UNION AVEC UN AUTRE PAYS OU SECESSION ? 53. Le Traité de garantie de 1960, ainsi que la Constitution de 1960, interdisent l'union, en tout ou en partie, avec un autre pays, ainsi que toute forme de division ou de sécession. 54. Lors de tous les entretiens qu'elle a eus avec la partie Chypriote turque, la délégation a constaté qu'il était fait référence avec inquiétude au fait que la partie Chypriote grecque puisse continuer à aspirer à l'"Enosis" (l'union avec la Grèce). A l'appui de ces craintes, plusieurs dirigeants, dont M. Denktash, ont indiqué que quelques heures seulement auparavant le Président Clerides avait encouragé la Garde nationale (qu'ils considèrent comme étant de toute façon une force illégale, puisqu'elle est exclusivement composée de Chypriotes grecs) à libérer la partie "occupée" de l'île et à se battre pour le "triomphe de l'hellénisme", ce qui les a amenés à répéter que la Turquie devait rester leur puissance garante. 55. La délégation doit cependant ajouter que ni le Président Clerides, ni qui que ce soit parmi ses interlocuteurs Chypriotes grecs, n'a plaidé la cause de l'"Enosis". Au contraire, la délégation les a entendus parler à maintes reprises de leur désir de bâtir un Etat chypriote indépendant. Il semblerait que tel soit également l'objectif des Chypriotes turcs.
56. D'autre part, tous les Chypriotes grecs ont insisté
sur l'importance de la non-reconnaissance, directe ou indirecte,
par la communauté internationale de la prétendue
"République turque du nord de Chypre". Ils
se sont aussi déclarés préoccupés
par les liens étroits existant entre cette entité
et la Turquie. VII. UNE FEDERATION OU UNE CONFEDERATION ? 57. La Constitution de 1960 (toujours en vigueur dans la République de Chypre, même si les dispositions concernant la Communauté Chypriote turque sont suspendues de facto, et considérée comme "morte et enterrée" par la partie Chypriote turque depuis 1963) prévoyait un Etat unitaire rassemblant les deux Communautés. L'"Ensemble d'idées", partant de la situation s'étant instaurée de facto depuis 1974, envisage une fédération composée de deux Communautés et de deux zones et propose un cadre juridique et constitutionnel comportant des garanties précises pour chaque Communauté. Une fois accepté par les dirigeants des deux Communautés, il devrait être soumis à l'approbation des citoyens des deux Communautés par le biais de deux référendums séparés. 58. Bien que la différence entre la notion de fédération et de confédération comporte aujourd'hui des "zones d'ombre", la délégation s'est efforcée de comprendre comment la majorité de ses interlocuteurs envisageait l'avenir de l'île, à savoir sous la forme d'une fédération, d'une confédération, ou de deux Etats totalement distincts. La délégation a toujours jugé utile de préciser que, par fédération, elle entendait un Etat composé d'au moins deux entités politiques égales et disposant d'une souveraineté et d'une personnalité internationale uniques, d'une citoyenneté unique, d'une monnaie unique et, chargé, au minimum, de gérer la politique étrangère, la défense et les finances de la fédération. 59. Tous les Chypriotes grecs se sont très clairement prononcés en faveur de la création d'une fédération, dans le sens donné par la délégation. 60. D'après M. R.R. Denktash, la Communauté chypriote turque aspire à l'application dans l'île de Chypre du modèle helvétique, étant entendu que la Suisse, malgré son titre officiel de confédération, a glissé au fil du temps vers une forme souple de fédération. Il a déclaré qu'il faudrait "une armée à deux composantes, mais pas une armée fédérale : une coopération seulement". MM. H. Atun et A. Rasit ont parlé de "deux Etats dont la souveraineté serait représentée par un gouvernement central souple, tandis que la souveraineté résiduelle appartiendrait aux deux Etats". Pour sa part, M. O. Ozgur, dirigeant du Parti républicain turc, membre de la coalition au pouvoir, a indiqué que son parti était en faveur de la notion de fédération telle que décrite par la délégation. 61. La principale préoccupation exprimée par les Chypriotes turcs est que leur Communauté (co-fondatrice de la République de Chypre) soit reconnue par la Communauté chypriote grecque comme étant son égale politique et que tout arrangement constitutionnel retenu pour l'avenir témoigne du lien existant, non pas entre une majorité et une minorité, mais entre deux Communautés; une sorte de partenariat. Cette préoccupation est prise en compte par l'"Ensemble d'idées". 62. D'une façon générale, il semble que le dénominateur commun soit d'accepter que la souveraineté repose entre les mains d'un gouvernement central, chargé de la conduite des affaires étrangères et des finances générales, alors que les deux composantes garderaient leur liberté d'action pour les questions d'ordre local.
63. Pour la délégation, il est clair que la réponse
à donner à la question de la création d'une
fédération ou d'une confédération
dépend moins de définitions dogmatiques que de la
volonté politique indispensable à l'élaboration
d'une définition acceptable pour les deux Communautés.
Comme l'ont dit un certain nombre de dirigeants des deux Communautés,
la fédération chypriote pourrait, en dernière
analyse, être sui generis. VIII. AJUSTEMENTS TERRITORIAUX 64. Depuis 1974, la partie de l'île qui se situe au nord de la zone tampon, soit environ 37% de l'ensemble du territoire, est placée sous l'administration de la Communauté chypriote turque. Avant les événements de 1974, la Communauté chypriote turque représentait 18% de la population totale de l'île et les Maronites (qui vivaient presque tous dans la partie septentrionale de l'île) et autres en représentaient pour leur part 2% environ.
65. La question des ajustements territoriaux reste un problème
clé extrêmement sensible, comme l'indiquent les discussions
portant sur la reprise de l'activité dans le secteur fermé
de Varosha. Dans son "Ensemble d'idées", le Secrétaire
général a proposé des ajustements territoriaux
et une carte, qui sont toujours sur la table. Outre certaines
considérations ayant trait à l'économie et
aux ressources en eau, l'un des aspects les plus épineux
de la question est celui des arrangements à trouver pour
les personnes des deux Communautés concernées par
les ajustements territoriaux. 66. Plusieurs dirigeants Chypriotes grecs ont affirmé qu'avant 1974 la partie nord de Chypre dégageait 72% du PNB de l'île. L'industrie, l'agriculture et le tourisme, dont Varosha était l'un des pôles les plus actifs, étaient les principales sources de revenu. Après 1974, le tourisme est devenu la principale source de revenu du sud représentant 19% de son PIB. Aujourd'hui, ce secteur se développe également dans une certaine mesure au nord. Comme indiqué précédemment, la mise en oeuvre de l'ensemble de mesures portant sur Varosha et l'Aéroport international de Nicosie aurait d'importantes retombées sur le tourisme, notamment dans la partie nord de l'île. 67. Un clivage économique, dont l'existence est évidente à qui visite le nord et le sud de Nicosie, sépare les deux parties de l'île. Les deux parties se sont accordées à dire que le revenu par habitant est de 12 à 13.000 US$ dans le sud de l'île, alors qu'il n'est que de 4.000 US$ environ dans la partie nord. Tous les Chypriotes turcs qui se sont entretenus avec la délégation ont affirmé que ce fossé était dû aux effets délétères de l'embargo imposé à leur économie alors que l'économie du sud était constamment alimentée par des investissements, mais que tous les efforts étaient faits pour stimuler l'économie. Plusieurs Chypriotes grecs se sont plaints du fait que l'électricité, qui continue d'être entièrement fournie au nord par le sud, n'avait jamais été payée depuis 1974. 2. Coopération économique intercommunautaire 68. Interrogé sur les possibilités de coopération économique entre les parties nord et sud de l'île, M. Denktash a déclaré "Il faut aller pas à pas, même pour la coopération économique, car nos systèmes diffèrent. Sinon, nous pourrions courir le risque que l'économie la plus puissante ne fasse qu'une bouchée du marché le moins résistant". 69. La délégation a pu noter que les contacts entre la Chambre de commerce et d'industrie de la partie Chypriote grecque et celle de la partie Chypriote turque étaient rares, ce que les deux parties ont d'ailleurs déploré. Des deux côtés, les dirigeants syndicaux se sont par ailleurs déclarés intéressés par la poursuite d'un projet envisagé près d'un an auparavant, à savoir la tenue d'une Conférence syndicale panchypriote. 70. Tous les interlocuteurs avec lesquelles la délégation s'est entretenue dans la partie sud de l'île ont indiqué qu'en raison de la pénurie de main-d'oeuvre locale, il avait été nécessaire de faire appel à de la main-d'oeuvre étrangère : environ 20.000 étrangers travaillent dans la République de Chypre a précisé M. M. Ioannu, Secrétaire général du Syndicat des travailleurs de Chypre. Tous les Chypriotes grecs rencontrés ont regretté que les Chypriotes turcs ne soient pas autorisés à venir travailler au sud. 71. En fait, quelque 800 à 900 Chypriotes turcs sont autorisés à traverser chaque jour la zone tampon pour aller travailler dans la partie sud de l'île. Les salaires y sont 3 à 4 fois plus élevés qu'au nord. Selon des sources chypriotes turques, il ne veulent pas passer la nuit au sud parce qu'un environnement exclusivement chypriote grec leur donne un sentiment d'insécurité, et s'il fallait choisir entre bien-être financier et sécurité, ils donneraient la préférence à cette dernière. 72. M. Denktash et d'autres Chypriotes turcs se sont plaints de ce que ces travailleurs devaient se déclarer à la police et de ce qu'ils étaient traités comme des individus de seconde zone et comme des espions du nord. La presse du sud avait tendance à les présenter comme des travailleurs se rendant de la partie "occupée" de Chypre à sa partie "libre", ce qui constituait une insulte inacceptable. Lorsqu'il lui a été demandé pourquoi plus de Chypriotes turcs n'étaient pas autorisés à aller travailler dans le sud de l'île, où des emplois étaient offerts, M. Denktash a déclaré que toute ouverture de la "frontière" ne pouvait être que progressive. Tout en estimant également qu'une telle ouverture devait avoir un caractère progressif, la direction du syndicat chypriote turc TURK-SEN a regretté que les autorisations spéciales pour les travailleurs chypriotes turcs désireux de travailler dans le sud soient délivrées par le "Premier Ministre", et non par les syndicats.
73. La délégation a débattu avec les syndicats
de la partie sud comme de la partie nord de la question des cotisations
des travailleurs Chypriotes turcs qui vivaient autrefois dans
la partie sud avant de partir pour la partie nord, ainsi que de
la question des cotisations des travailleurs chypriotes turcs
qui traversaient chaque jour la zone tampon pour travailler au
sud. Cette question a aussi été examinée
en relation avec la reprise de l'activité à Varosha
et la réouverture de l'Aéroport international de
Nicosie. 1. Personnes déplacées et questions de propriété 74. D'après les estimations, 160.000 Chypriotes grecs et 45.000 Chypriotes turcs ont été déplacés à la suite des événements de 1974. Environ 500 Chypriotes grecs vivent encore aujourd'hui dans la partie nord de l'île et 300 Chypriotes turcs environ dans la partie sud. Ils bénéficient de la protection spéciale de la Force des Nations Unies, ainsi que de ses activités humanitaires (telles que la distribution régulière de nourriture et l'aide à la réinsertion dans leur Communauté, s'ils le souhaitent). En outre, quelque 300 Maronites vivent dans la partie nord de l'île. 75. Les autorités Chypriotes turques ont délivré des "titres de propriété" aux personnes occupant depuis 1974 les propriétés de Chypriotes grecs situées dans la zone placée aujourd'hui sous le contrôle des Chypriotes turcs (tous les réfugiés du sud ne se sont cependant pas vu "attribuer" des "propriétés", ce qui semble être source de difficultés au nord). 76. Les "titres" ne sont pas reconnus par leurs propriétaires initiaux, qui affirment que leurs biens ont été confisqués illégalement et exigent qu'ils leur soient restitués, tandis que les occupants Chypriotes turcs actuels proclament qu'ils en sont devenus les légitimes propriétaires. Bien évidemment, la question de la valeur de ces propriétés en 1974, et de leur valeur actuelle est importante. Les dirigeants Chypriotes turcs excluent formellement tout retour à la situation prévalant avant 1974, tandis que les dirigeants Chypriotes grecs déclarent qu'il est hors de question de reconnaître la confiscation massive des biens des personnes déplacées. 77. De même, les biens des Chypriotes turcs se trouvant dans la partie sud de l'île sont eux aussi occupés par des Chypriotes grecs. Toutefois, à en croire les renseignements donnés à la délégation, ces biens sont sous le contrôle de l'Etat, qui les garde au nom de leurs véritables propriétaires et les réfugiés auxquels ces biens ont été attribués doivent acquitter un petit loyer à l'Etat. Ces propriétés sont censées rester à la disposition de leurs occupants initiaux, qui pourront les réintégrer dès leur retour. 78. La délégation estime que cette question est cruciale, et qu'il faudra beaucoup de bonne volonté et de longues négociations pour lui trouver une solution. 2. Colons turcs dans la partie nord de l'île et évolution démographique 79. La question des colons turcs installés dans la partie nord de l'île est une question dont la délégation a pu constater qu'elle suscite une vive inquiétude, non seulement parmi la Communauté chypriote grecque, qui affirme que l'arrivée de ces colons a des répercussions majeures sur la composition démographique de l'île, mais aussi parmi les dirigeants de certains partis politiques de la partie nord de l'île, qui semblent en être très préoccupés. 80. Ces colons, qui sont principalement originaires d'Anatolie, l'une des provinces les moins développées de la Turquie, fournissent une main-d'oeuvre bon marché. Les dirigeants chypriotes turcs affirment qu'il a été fait appel à eux après 1974 afin qu'ils occupent les postes laissés vacants du fait du départ des Chypriotes grecs. 81. En fait, la délégation n'a pas été en mesure d'obtenir des indications précises sur le nombre de ces colons. D'après les estimations les plus prudentes de l'ONU, ils seraient au nombre de 45.000. La partie Chypriote grecque a affirmé que ce chiffre avait atteint près de 100.000. M. H. Atun, pour sa part, a indiqué qu'un accord avec le gouvernement turc avait mis fin à l'arrivé de colons en 1978/79 et il a ajouté que les 25 à 30.000 colons qui étaient actuellement installés étaient parfaitement intégrés à la population Chypriote turque. D'après le Président de la Chambre de commerce chypriote turque, un certain nombre des 40.000 colons turcs arrivés dès 1974 ont fondé une famille sur l'île, tandis que d'autres sont repartis en Turquie. Le nombre actuel de colons n'ayant pas de liens familiaux à Chypre ne dépasserait pas 5.000. 82. M. M. Akinci, dirigeant du Parti de libération communautaire, et M. A. Durduran, dirigeant du Parti du renouveau chypriote ont expressément déploré que le "Gouvernement" soit seul à posséder les chiffres exacts et que personne, pas même les partis, n'y aient accès. Il ont estimé que les colons étaient "un petit peu moins nombreux que nous". Tout comme M. O. Ozgur, dirigeant du Parti républicain turc (qui appartient à la coalition au pouvoir depuis janvier 1994), ils ont regretté le fait qu'un grand nombre de colons turcs soient devenus citoyens Chypriotes turcs "du jour au lendemain" et que la Loi électorale (en vertu de laquelle seuls les étrangers résidant sur l'île depuis cinq ans au moins ont le droit de vote) n'ait pas été respectée lors de la compilation des listes électorales pour les élections de 1990. M. Akinci a indiqué que certaines personnes (dont on ne connaît pas le nombre exact) ont obtenu une carte d'électeur sans même avoir la nationalité Chypriote turque. C'est la raison pour laquelle tous les partis de l'opposition avaient refusé, en 1990, de siéger à l'"Assemblée législative". M. Ozgur a toutefois précisé que les élections de 1993 avaient été parfaitement régulières, alors que M. Akinci a déclaré que, même si les élections s'étaient bien déroulées du point de vue technique, il était difficile de les qualifier de régulières étant donné le problème posé par les registres électoraux. 83. Les dirigeants Chypriotes turcs ont dit à la délégation que les colons vivaient dans des villages mixtes habités également par des Chypriotes turcs, ou dans des villages turcs, la majorité d'entre eux dans la région de Famagouste.
84. Il a souvent été fait allusion à l'émigration
massive de Chypriotes turcs, notamment des intellectuels et des
travailleurs qualifiés. Associée à l'arrivée
de colons, une telle émigration a des retombées
néfastes non seulement sur la composition démographique
de la partie nord de l'île, mais aussi sur son développement
économique. XI. DEVELOPPEMENT DES CONTACTS INTERCOMMUNAUTAIRES 85. Comme indiqué ci-dessus, les deux Communautés vivent totalement séparées depuis 1974. Non seulement les contacts physiques entre individus sont impossibles (à de rares exceptions près), mais les communications téléphoniques entre les deux côtés de l'île ne fonctionnent pas. Chaque partie est néanmoins en mesure de recevoir la radio et la télévision de l'autre. Il convient toutefois de relever qu'en l'absence de contacts, les gens capables de comprendre la langue parlée par l'autre Communauté se font de plus en plus rares, surtout parmi les jeunes générations.
86. Interrogés sur l'évolution possible de la situation,
MM. Clerides et Denktash, ainsi qu'un certain nombre de dirigeants
politiques des deux Communautés, ont déclaré
que cette évolution devrait se faire progressivement au
fil des années à venir, car tout changement brusque
conduirait selon eux à la catastrophe.
87. A l'exception d'un tout petit nombre d'écoles accueillant
les enfants de l'"élite", les deux Communautés
ne partageaient pas les mêmes écoles avant 1974.
Depuis lors, le système éducatif des deux parties
a eu tendance à peindre aux enfants et aux étudiants
une image négative de l'autre Communauté. Il
s'est révélé encourageant pour la délégation
d'entendre dire des deux côtés que cette situation
devrait évoluer puisque les esprits devaient être
préparés à la paix et au respect mutuel,
et qu'il était urgent de réviser les manuels scolaires.
XIII. PERSONNES PORTEES DISPARUES 88. 1.619 Chypriotes grecs et 803 Chypriotes turcs auraient disparu entre 1963 et 1974. En 1981, un Comité sur les personnes portées disparues composé de trois membres, un Chypriote grec, un Chypriote turc, et un Membre Tiers désigné par le CICR et nommé par les Nations Unies (à l'heure actuelle M. l'Ambassadeur P. Wurth, de nationalité suisse), a été chargé de se pencher "sur les cas des personnes portées disparues lors des affrontements intercommunautaires ainsi que des événements de juillet 1974 et événements ultérieurs". Depuis cette date, la partie Chypriote grecque n'a présenté au Comité que 210 cas de personnes disparues, et la partie Chypriote turque 318 et la définition des critères nécessaires à l'examen des plaintes pose de graves difficultés, ce qui a sérieusement entravé les activités du Comité. Le temps qui passe travaille contre le Comité puisque certains des témoins, outre le fait qu'ils sont parfois peu désireux de déposer leur témoignage, peuvent avoir du mal à se rappeler précisément les événements entourant une disparition survenue 15 voire 25 ans en arrière, ou avoir quitté le pays, ou même être décédés. 89. Après avoir entendu le Membre Tiers du Comité sur les personnes portées disparues et le dirigeant ainsi que des membres du Comité panchypriote des parents et proches de disparus (fondé par des Chypriotes grecs), et après avoir également entendu l'opinion de nombre de représentants des deux Communautés sur la question des disparus, la délégation demande instamment que, conformément aux recommandations du Secrétaire général de l'ONU, une liste exhaustive des personnes portées disparues ainsi que toutes les preuves disponibles soient remises sans plus tarder au Comité sur les personnes portées disparues. Elle exhorte aussi les trois membres du Comité à se mettre d'accord le plus rapidement possible sur des critères lui permettant de traiter des plaintes qui lui sont présentées.
90. Si ces deux mesures étaient prises, non seulement elles
permettraient d'obtenir des éclaircissements significatifs
et indispensables au sujet des personnes portées disparues,
apaisant la profonde douleur ressentie par les parents ou les
proches de ces personnes et rendant justice à leur droit
légitime à la vérité, mais elles contribueraient
aussi à démentir les allégations laissant
entendre que la question des disparus est utilisée comme
arme politique. XIV. LE ROLE DE LA SOCIETE CIVILE DANS LA SOLUTION DU PROBLEME DE CHYPRE 91. Bien qu'elle ait principalement eu des contacts avec les dirigeants politiques des deux Communautés et avec des représentants des Nations Unies, la délégation est d'avis que le problème de Chypre ne pourra être résolu par les forces politiques et les négociations politiques seules. C'est la raison pour laquelle elle s'est longuement entretenue au Ledra Palace (situé dans la zone tampon et servant depuis juillet 1993, sous les auspices de la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre, de point d'échange pour favoriser les contacts entre les deux Communautés) avec les membres du Comité directeur bicommunautaire (appelé couramment Groupe d'Oxford). Ce groupe a été créé voici deux ans environ par des intellectuels des deux Communautés qui sont convaincus que, des deux côtés, la société civile doit être un partenaire actif de son propre destin et qui ont décidé de mettre en commun leur réflexion et leur espoir de voir Chypre se construire autour de deux Communautés se cotoyant et se développant en paix. 92. La délégation a été très impressionnée par la qualité des discussions et des contacts avec les représentants des deux Communautés présents à la réunion et souhaite féliciter ce groupe de cette initiative unique, qui mérite bien évidemment d'être soutenue, y compris par des sources de financement indépendantes. 93. La délégation a le sentiment qu'il serait très profitable d'élargir le Groupe à des personnes venant de tous les horizons et qu'une plus grande publicité autour de ses activités lui permettrait de renforcer la dynamique de règlement du problème. 94. De telles initiatives contribueraient grandement à sensibiliser et à préparer l'opinion publique à la réconciliation. Elles intensifieraient également les nécessaires pressions de l'opinion publique sur les forces politiques en faveur de la résolution rapide et satisfaisante de l'ensemble de la question. 95. Comme indiqué plus haut, M. Denktash et un certain nombre d'autres personnalités Chypriotes turques ont déclaré que, lorsque des Chypriotes turcs traversaient la zone tampon et entraient en contact avec les Chypriotes grecs, il était dit dans la presse chypriote grecque qu'ils quittaient la partie "occupée" de l'île pour venir dans la partie "libre", langage qui, outre le fait qu'ils le considéraient comme inacceptable, déclenchait des réactions négatives.
96. Il est évident que, des deux côtés de
la zone tampon, la presse pourrait jouer un rôle clé
en ce qu'elle pourrait véhiculer une image différente
de l'autre Communauté et préparer les esprits à
la paix et à la réconciliation nationale. Les représentants
des deux Communautés semblaient être de l'avis que,
malheureusement, la presse a jusqu'à présent contribué
surtout à entretenir la peur et la méfiance et que
cette approche doit évoluer. La délégation
ne peut qu'appeler de ses voeux un tel changement de comportement.
XV. ADHESION A L'UNION EUROPEENNE 97. La République de Chypre a déposé une demande d'accession à l'Union européenne et cette question est actuellement beaucoup débattue. 98. La Communauté chypriote turque et la Turquie (qui est associée à l'UE et également candidate à l'adhésion) se sont vivement opposées à une telle adhésion, arguant du fait que, même s'il était dans l'intérêt de la Communauté chypriote turque d'appartenir à l'UE, le Gouvernement de la République de Chypre n'avait pas le droit de s'exprimer au nom de l'ensemble du territoire. Cette position s'appuie sur le Traité de garantie de 1960 et sur les dispositions de la Constitution de 1960, qui donne au Président et au Vice-Président (un Chypriote turc) le droit d'opposer leur veto à toute décision de politique étrangère, notamment une décision relative à l'adhésion à un organisme international ou une alliance dont la Grèce et la Turquie ne soient pas toutes deux membres. 99. Dans un avis émis en juillet 1993, le Comité compétent rappelle néanmoins les éléments suivants : "La Communauté, cependant, se tenant à la logique de sa position établie, qui est conforme à celle des Nations Unies pour ce qui est de la légitimité du Gouvernement de la République de Chypre et la non-reconnaissance de la "République turque du nord de Chypre", a estimé que la demande était recevable et a entamé les procédures prévues par le Traité pour l'examiner." Il précise toutefois : "Enfin, la Commission doit envisager l'éventualité que les pourparlers intercommunautaires ne permettent pas d'aboutir à un règlement politique de la question de Chypre dans un avenir proche en dépit des efforts du Secrétaire général de l'ONU. Dans une telle éventualité, la Commission estime qu'il conviendrait de réexaminer la situation à la lumière des positions adoptées par chacune des parties au cours des pourparlers et d'étudier à nouveau la question de l'adhésion de Chypre à la Communauté en janvier 1995." 100. En décembre 1993, le Conseil de l'UE a nommé un observateur dans les négociations portant sur Chypre, dont le mandat est "de faire régulièrement rapport au Conseil des implications pour les exigences rendues nécessaires par l'acquis de l'Union pouvant découler de l'évolution de la situation politique de Chypre, y compris dans le cadre de la mission de bons offices du Secrétaire général de l'ONU". Cette nomination a été rejetée par la Communauté chypriote turque, qui l'estime illégale. 101. Les dirigeants Chypriotes turcs ont tous unanimement affirmé que l'adhésion de Chypre à l'UE ne pouvait avoir lieu qu'après la résolution du problème. Ils estiment que l'adhésion de la République de Chypre dans les circonstances actuelles ne pourrait qu'ancrer plus profondément la division de l'île. Il ont aussi souligné que, conformément au Traité de garantie de 1960, Chypre pourrait devenir membre de l'UE en même temps que la Turquie, mais pas avant.
102. Le Président Clerides, pour sa part, a affirmé
à la délégation que l'intégration
de Chypre dans l'Union européenne était la seule
solution permettant de renforcer la confiance, puisqu'une telle
adhésion constituerait une garantie contre l'expansion
de la Turquie aux dépens d'un autre membre de l'UE. A l'instar
de nombre d'autres dirigeants chypriotes grecs, il a ajouté
que la Turquie devrait également devenir membre, en même
temps que la République de Chypre, ou après. 103. La délégation est d'avis que sa visite a été extrêmement utile dans la mesure où elle lui a permis d'appréhender les complexités de la situation chypriote en fonction des différents éclairages projetés par les représentants des deux Communautés. Le risque de violence intercommunautaire toujours latent sur l'île et le fait que le règlement du problème ne semble pas être à portée de la main lui donnent à penser que le problème de Chypre devrait rester l'une des priorités de la Communauté internationale et notamment de l'Union interparlementaire, qui devrait continuer à oeuvrer à sa résolution. Elle considère donc que le Comité chargé de suivre la situation à Chypre devrait pouvoir poursuivre et intensifier ses efforts. 104. La délégation estime qu'il serait important de continuer d'entendre les représentants des deux Communautés, conformément à la pratique du Comité. Elle considère également comme crucial pour le travail du Comité que celui-ci soit en mesure, comme l'a demandé le Conseil interparlementaire à maintes reprises, non seulement de recevoir des documents écrits des Groupes nationaux des trois Puissances garantes, mais aussi d'entendre leurs représentants. De telles auditions sont indispensables car, comme rappelé dans le paragraphe 14, les activités de l'Union interparlementaire relatives à Chypre reposent sur le fait que ce problème n'est pas seulement l'affaire des deux Communautés, mais qu'il s'agit d'une question concernant également les trois Puissances garantes. 105. La délégation espère que, lors de sa VIe session devant se dérouler à Paris du 22 au 24 mars 1994, le Comité chargé de suivre la situation à Chypre aura sous les yeux, outre ce rapport, des observations à son sujet présentées par les représentants des deux Communautés et des Puissances garantes, ainsi que toute information relative à l'évolution de la situation à Chypre depuis le déroulement de la visite. Le Comité devrait, sur ces bases, être en mesure de présenter au Conseil interparlementaire, le 26 mars 1994, des recommandations concrètes pour des activités futures.
106. La délégation souhaite d'ores et déjà
suggérer que l'Union interparlementaire, Organisation politique
et instrument efficace de la diplomatie parlementaire, pourrait
constituer un cadre approprié pour encourager et même
faciliter des contacts directs et réguliers entre les dirigeants
et les membres des partis politiques des deux Communautés.
A ce jour, ces contacts ont été sporadiques, mais
ceux qui y ont participé ont souligné leur intérêt
et leur utilité. Il va toutefois sans dire pour la délégation
que, comme l'ont indiqué plusieurs dirigeants, le dialogue
permanent à établir ne devrait pas uniquement concerner
les responsables politiques mais également les syndicats,
les organismes professionnels, etc.
17 - 20 janvier 1994 LUNDI 17 JANVIER 08.30 Rencontre avec M. Gustave FEISSEL, Représentant spécial adjoint du Secrétaire général de l'ONU, dans son bureau du QG de la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP) 09.30 Visite de courtoisie au Général M.F. MINEHANE, Commandant de la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre, dans son bureau au QG de l'UNFICYP 09.45 Séance d'information portant sur le mandat et les activités de la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre par le Lt. Col. H.J. BRUNNINGSHANSEN, chef des opérations de la Force.
10.45 Visite de l'Aéroport international de Nicosie.
11.45 Entretien avec l'Ambassadeur P. Wurth, Membre Tiers du Comité sur les personnes portées disparues, dans son bureau au Ledra Palace (zone tampon). 15.00 Séance d'information sur les opérations et visite de la zone tampon dans la vieille ville de Nicosie, en compagnie du Lt. Col. Stephen WHITE, Commandant du secteur 2 de la Force. 17.00 Rencontre avec S.E. M. Alexis GALANOS, Président de la Chambre des Représentants et Président du Groupe interparlementaire de Chypre, à la Chambre des Représentants. 18.00 Entretien avec M. George VASSILIOU, Président du Parti des démocrates libres (ne comptant pas d'élus à la Chambre des Représentants), dans son bureau. 19.00 Rencontre avec le député M. Nicos ROLANDIS, Président du Parti libéral, à la Chambre des Représentants.
20.00 Dîner offert par S.E. M. Alexis GALANOS,
Président de la Chambre des Représentants, à
l'hôtel Hilton. MARDI 18 JANVIER 08.00 Rencontre avec le député M. Yiannakis MATSIS, Président du Parti du rassemblement démocratique, au siège du parti. 09.00 Entretien avec M. Alecos MICHAELIDES, Ministre des Affaires étrangères, au ministère. 10.00 Rencontre avec le député M. Tassos PAPADOPOULOS, Président du groupe parlementaire du Parti démocratique, à son bureau. 11.00 Entretien avec le député M. Vassos LYSSARIDES, Président du Parti socialiste EDEK, à sa résidence. 12.00 Rencontre avec S.E. M. Glafcos CLERIDES, Président de la République de Chypre, au Palais présidentiel. 13.00 Déjeuner avec des représentants de la Chambre de commerce et d'industrie. 15.30 Rencontre avec M. Michael PAPAPETROU, Président du Mouvement démocratique de réforme socialiste (ADISOK), au siège de l'ADISOK (ne comptant pas d'élus à la Chambre des Représentants). 16.30 Entretien avec le député M. Demetris CHRISTOFIAS, Secrétaire général de l'AKEL, au siège de l'AKEL. Rencontres avec des représentants syndicaux à l'hôtel Hilton
19.00 Entretien avec le dirigeant et des membres du Comité
panchypriote des parents et des proches de personnes disparues,
à l'hôtel Hilton. MERCREDI 19 JANVIER 08.15 Traversée de la zone tampon par le point de contrôle chypriote grec puis le point de contrôle chypriote turc (à proximité du Ledra Palace). 09.00 Petit-déjeuner de travail avec M. Ayhan Halit ACARKAN, "Président" de l'"Assemblée législative", à l'hôtel Saray. 10.30 Entretien avec M. Ozker OZGUR, "Vice-premier Ministre" et dirigeant du Parti républicain turc, au siège du parti. 11.15 Rencontre avec M. Hakki ATUN, "Premier Ministre" et dirigeant du Parti démocrate, et M. Atay Ahmet RASIT, "Ministre des Affaires étrangères et de la Défense", au siège du Parti démocrate. 12.00 Entretien avec M. Dervis EROGLU, dirigeant du Parti de l'unité nationale, au siège du parti. 12.45 Rencontre avec S.E. M. Rauf Raif DENKTASH, "Président", à sa résidence. 13.00 Déjeuner avec S.E. M. Rauf Raif DENKTASH, à sa résidence. 15.30 Rencontre avec M. Mustafa AKINCI, dirigeant du Parti de libération communautaire, au siège du parti. 16.15 Entretien avec des représentants de la Chambre de commerce, dans les locaux de la Chambre. 17.00 Entretien avec des représentants de la Chambre d'industrie, dans les locaux de la Chambre. 17.45 Rencontre avec des représentants de l'Organisation des jeunes entrepreneurs, au siège de l'Organisation. 18.30 Rencontre avec des représentants du syndicat TURK-SEN, au siège du syndicat. 20.00 Dîner offert par M. Aykan Halit ACARKAN, à l'hôtel Dome à Kyrenia.
22.30 Traversée de la zone tampon par le point de
contrôle chypriote turc puis le point de contrôle
chypriote grec (à proximité du Ledra Palace). JEUDI 20 JANVIER 08.15 Traversée de la zone tampon par le point de contrôle chypriote grec puis le point de contrôle chypriote turc (à proximité du Ledra Palace). Partis non représentés à l'"Assemblée législative" :
12.45 Traversée de la zone tampon par le point de contrôle chypriote turc puis le point de contrôle chypriote grec (à proximité du Ledra Palace). 13.15 Déjeuner offert par M. Gustave FEISSEL, Représentant spécial adjoint du Secrétaire général de l'ONU au mess international, QG de la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre. 15.15 Rencontre avec le Comité directeur bicommunautaire (Groupe d'Oxford) au Ledra Palace (zone tampon).
Après-midi Préparation du rapport de la mission
au Ledra Palace (zone tampon)
1. Entre 1571 et 1878, Chypre était sous administration de la Turquie. En 1878, l'île a été placée sous administration britannique en vertu d'un traité secret aux termes duquel la Turquie cédait Chypre à la Grande-Bretagne en échange de son aide si la Russie attaquait certaines provinces de la frontière en Asie mineure. L'île a été annexée par la Grande-Bretagne en 1914 puis est devenue une colonie de la Couronne en 1925. 2. Les Chypriotes grecs ont revendiqué l'union avec la Grèce (Enosis), notamment dans les années qui ont suivi la Deuxième guerre mondiale. Les Chypriotes turcs se sont toujours opposés farouchement à une telle union. A partir de 1950, Mgr Makarios III et le Général Grivas, Commandant de l'EOKA (Organisation nationale pour la lutte chypriote) et de nationalité grecque, ont pris la tête des activités anti-britanniques. En 1955, la lutte de libération de l'emprise du pouvoir colonial est devenue une lutte armée et, dans ce contexte, les différences séparant les Communautés chypriote turque et chypriote grecque ont été attisées. 3. "Chypre a accédé à l'indépendance le 16 août 1960 et est devenue membre de l'ONU un mois plus tard. La Constitution de la République, qui est entrée en vigueur le jour de l'indépendance, était fondée sur des accords passés entre les Gouvernements de Grèce et de Turquie"1 (Zurich, 11 février 1959), puis celui du Royaume-Uni (Londres, 19 février 1959) et intégrés à des traités : le Traité d'établissement et le Traité de garantie, singés par Chypre, la Grèce, la Turquie et le Royaume-Uni, et le Traité d'alliance, signé par Chypre, la Grèce et la Turquie. 4. La République de Chypre a été créée "avec un régime spécial adapté à la fois à la composition ethnique de sa population (environ 80 pour cent de Chypriotes grecs et 18 pour cent de Chypriotes turcs) et aux relations considérées comme particulières unissant la République et les trois autres Etats parties aux accords. Les accords reconnaissaient donc la distinction existant entre les deux Communautés et cherchaient à maintenir un équilibre entre leurs intérêts et leurs droits respectifs. La Grèce, la Turquie et le Royaume-Uni fournissaient une garantie multilatérale des articles fondamentaux de la Constitution. En cas de violation du Traité de Garantie, les trois Puissances s'engageaient à se consulter pour intervenir de concert et, si l'action concertée se révélait impossible, chacune d'entre elles se réservait le droit d'intervenir "dans le seul but de rétablir la situation" fixée par le Traité. L'union de Chypre avec un autre Etat et la division de l'île étaient expressément proscrites. Le règlement permettait aussi au Royaume-Uni de garder sous sa souveraineté deux zones destinées à lui servir de bases militaires, et qui n'étaient pas, de ce fait, comprises dans le territoire de la République de Chypre." 5. "L'application des dispositions de la Constitution a posé problème pratiquement dès la création de la République, et elle a conduit à une succession de crises constitutionnelles, ainsi qu'à l'exacerbation des tensions opposant les dirigeants des deux Communautés"3 . Le 30 novembre 1963, Mgr. Makarios, Chef de l'Etat, a proposé 13 amendements constitutionnels qui ont été rejetés par la Communauté Chypriote turque et ont provoqué le retrait de ses représentants de toutes les institutions de la République. 6. Le 24 décembre 1963, confrontées à la montée des violences intercommunautaires, les trois Puissances garantes ont présenté une offre commune de bons offices. Cette offre ayant été acceptée, une force commune était créée le 26 décembre et le 30 décembre il était décidé de délimiter une zone neutre tout le long de la ligne de cessez-le-feu (couramment appelée la "ligne verte") séparant les zones occupées par les deux Communautés à Nicosie. 7. Une Conférence de représentants des gouvernements du Royaume-Uni, de la Grèce et de la Turquie et des deux Communautés chypriotes, qui s'est déroulée à Londres le 15 janvier 1964, n'a pas permis d'aboutir à un accord et, en février de cette même année, le Conseil de sécurité des Nations Unies, donnant suite à une demande déposée par les représentants du Royaume-Uni et de Chypre, a autorisé la création d'une Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre. 8. La Force des Nations Unies est entrée en fonction en mars 1964. Son mandat était, "dans l'intérêt de la préservation de la paix et de la sécurité internationales, de faire tout ce qui est en son pouvoir pour prévenir toute reprise des combats et, selon qu'il conviendra, de contribuer au maintien et au rétablissement de l'ordre public, ainsi qu'au retour à une situation normale" . La police civile de la Force des Nations Unies est pour sa part entrée en fonction en avril 1964 et son mandat était d'"établir une liaison avec la police chypriote, d'accompagner les patrouilles de police chypriotes chargée de contrôler les véhicules sur les routes pour un certain nombre d'infractions au code de la route ou autres, de fournir des effectifs pour les postes de police des Nations Unies dans certaines zones sensibles sujettes à des tensions qui pourraient être apaisées par la présence d'éléments de police de la Force des Nations Unies, d'observer les fouilles de véhicules effectuées par la police locale aux barrages routiers et d'enquêter sur les incidents opposant des chypriotes grecs ou turcs à la Communauté adverse, y compris des recherches concernant les personnes portées disparues". En janvier 1994, la Force des Nations Unies disposait d'un effectif de 1.168 militaires et la police civile de la Force de 35 civils. 9. En juillet 1974, un coup d'Etat a été perpétré par Nikos Sampson, Commandant de la Garde nationale, dont le départ a été demandé par Mgr. Makarios. La Grèce, alors sous régime militaire, a soutenu ce coup d'Etat. Les trois Puissances garantes n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur les mesures exigées par la situation. L'armée turque est intervenue et a occupé plus d'un tiers du territoire. La Turquie a justifié cette intervention en invoquant le Traité de garantie de 1960 mais son action a considérablement dépassé les dispositions prévues par le Traité et s'est transformée en une occupation militaire qui dure encore aujourd'hui. Au moment de la visite de la délégation, les Nations Unies évaluaient cette force à 30.000 hommes environ. 10. L'intervention militaire turque de juillet 1974 a débouché sur la création d'une zone séparée dans la partie nord de Chypre (Chypriotes turcs). Depuis lors, une zone tampon (équivalant à 3% du territoire), placée sous le contrôle de la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre, divise le pays d'est en ouest. Son tracé exact fait l'objet de controverses opposant les deux Communautés depuis le cessez-le-feu, ce qui incite constamment les deux parties à essayer "d'avancer leur ligne de cessez-le-feu par le biais de poussées persistantes vers l'avant et d'empiétements sur la zone tampon" . 11. A partir de 1974, l'autorité de la République de Chypre s'est "de facto" limitée à la partie sud de l'île (Chypriotes grecs). La République de Chypre a conservé la Constitution de 1960, bien que toutes les dispositions ayant trait à la participation de la Communauté chypriote turque à l'exercice des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ne soient plus appliquées. 12. La Constitution de 1960 prévoit une Chambre des représentants monocamérale de 80 sièges. La Communauté chypriote grecque doit élire 56 (soit 70%) des représentants de la Chambre et des élections ont lieu régulièrement dans le sud au terme du mandat de cinq ans de ces membres (les dernières élections se sont déroulées le 19 mai 1991 - voir Annexe III). La Communauté chypriote turque doit élire 24 représentants (soit 30%) de la Chambre, mais elle s'y est refusée depuis 1963, date à laquelle elle a estimé que la Constitution de 1960 était "morte et enterrée". 13. Le 13 février 1975, la partie nord de Chypre (représentant 37% de l'ensemble du territoire) a été unilatéralement déclarée "Etat fédéré turc de Chypre", entité uniquement reconnue par la Turquie et, le 8 juin 1975, une "Constitution" s'appliquant à cette partie de l'île a été approuvée par référendum dans cette zone. La "Constitution" prévoit un "gouvernement" et une "Assemblée législative" monocamérale, qui compte actuellement 50 membres (les dernières élections se sont tenues le 12 décembre 1993 - voir Annexe IV). 14. Le 15 novembre 1983, la "République turque du nord de Chypre" a vu le jour suite à une déclaration d'indépendance unilatérale. Cette entité aussi n'a été reconnue que par la Turquie. Dans sa résolution 541 (18.11.1983), le Conseil de Sécurité a affirmé que cette déclaration est "juridiquement nulle" et a demandé à "tous les Etats de ne pas reconnaître d'autre Etat chypriote que la République de Chypre". Dans sa résolution 550 (11.04.1984), le Conseil de sécurité a, en outre "(condamné) toutes les mesures sécessionnistes, y compris le prétendu échange d'ambassadeurs entre la Turquie et les dirigeants chypriotes turcs, (déclaré) ces mesures illégales et invalides et (demandé) qu'elles soient immédiatement rapportées"; il a également demandé à "tous les Etats de respecter la souveraineté, l'indépendance, l'intégrité territoriale, l'unité et le non-alignement de la République de Chypre". 15. Quelque 570.000 personnes habitent dans la partie sud de l'île. Outre les 120.000 Chypriotes turcs, entre 45.000 et 50.000 colons turcs (estimations de l'ONU6 ) vivent dans la partie nord de l'île, où stationne depuis l'intervention militaire de 1974 une force militaire turque (forte de quelque 30.000 hommes environ à l'heure actuelle selon les estimations de l'ONU, comme indiqué ci-dessus.
16. Le Secrétaire général de l'ONU mène
une mission de bons offices pour ce qui est de la question chypriote
depuis 1964 et son Représentant spécial (en ce moment
M. Joe Clark, ancien Premier Ministre du Canada) s'efforce depuis
1966 de promouvoir la concertation aboutissant à un règlement
d'ensemble de la question. Depuis 1975, en application de la Résolution
367 du Conseil de sécurité, sa mission de bons offices
est caractérisée par les éléments
suivants : "convoquer les parties dans le cadre d'une
nouvelle procédure concertée et se mettre personnellement
à leur disposition afin que la reprise, l'intensification
et l'évolution des négociations globales, menées
dans un esprit d'ouverture et de modération réciproques
sous ses auspices personnels et, le cas échéant,
sous sa direction puissent donc en être facilitées".
C'est dans ce contexte que des "entretiens indirects"
8 mettant sur un pied d'égalité les dirigeants des
deux Communautés se déroulent depuis plusieurs années.
Le 14 février 1993, M. Glafkos Clerides (DISY) a été élu Président de la République pour un mandat de cinq ans. Auparavant, les élections générales à la Chambre des Représentants, tenues le 19 mai 1991, avaient abouti au partage suivant des 56 sièges de la Communauté chypriote grecque1 entre les différents partis politiques :
Le DISY et le Parti libéral ont formé une coalition. Deux autres partis officiellement reconnus ne sont pas représentés à la Chambre des Représentants :
Le 22 avril 1990, M. Rauf R. Denktash a été réélu "Président" de la prétendue "République turque du nord de Chypre"1 pour un mandat de cinq ans. A l'époque, il était soutenu par le Parti de l'unité nationale. Au moment où s'est déroulée la mission, il bénéficiait principalement du soutien du Parti démocratique. A la suite des élections qui se sont déroulées le 12 décembre 1993, la représentation des partis politiques dans la prétendue "Assemblée législative" de la partie nord de Chypre est la suivante :
Le 31 décembre 1993, le Parti démocratique et le Parti républicain turc ont signé un protocole de coalition et un "cabinet" de coalition a immédiatement été nommé. Les cinq autres partis suivants n'ont pas obtenu de siège :
Annexe au Rapport du Secrétaire général sur sa mission de bons offices concernant Chypre, N° S/26026 1er juillet 1993
Varosha (Document S/26026) : "Para. 37. La proposition concernant Varosha, telle qu'elle a été développée lors des pourparlers de New York, consiste à placer le secteur fermé sous l'administration des Nations Unies à compter d'une date convenue, en attendant qu'un règlement global conclu d'un commun accord soit trouvé au problème chypriote. Ce secteur serait une zone spéciale de contacts et d'échanges intercommunautaires, une sorte de zone de libre échange où les deux Communautés pourraient se livrer à l'échange de biens et services. Para. 38. Plus précisément, la proposition prévoit ce qui suit :
Aéroport international de Nicosie (Document S/26026) Para. 42. La proposition relative à l'Aéroport international de Nicosie, telle qu'elle a été développée à New York, prévoit l'ouverture de l'Aéroport et son utilisation par les deux parties sur un pied d'égalité. Para. 43. Plus précisément, la proposition prévoit ce qui suit :
"Une équipe d'experts spécialistes de différents domaines, y compris de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, se sont rendus à Chypre à la demande du Secrétaire général de l'ONU et en collaboration avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). L'équipe avait pour mandat d'évaluer les avantages économiques que présente pour les Communautés chypriote grecque et turque l'ensemble de mesures de renforcement de la confiance prévoyant la reprise de l'activité à Varosha et la réouverture de l'Aéroport international de Nicosie et de traiter de questions liées aux modalités d'application de ces mesures. "Les constatations et les conclusions figurant dans le rapport de l'équipe sont le résultat de cinq semaines de travail sur le terrain passées à Chypre, au cours desquelles l'équipe a longuement discuté avec un large éventail d'hommes politiques, d'hommes d'affaires, de syndicalistes et de techniciens à propos de la situation économique des deux Communautés vivant à Chypre et de l'ensemble de mesures portant sur Varosha et l'Aéroport international de Nicosie. Au cours de ses travaux, l'équipe a également pu compulser une vaste quantité de documents fournis par les deux parties et les organisations internationales et présentant un intérêt dans le cadre de son mandat. "L'équipe d'experts est persuadée que la mise en oeuvre des mesures présenterait des avantages significatifs pour les deux Communautés. Ces avantages seraient proportionnellement plus importants pour la partie Chypriote turque étant donné la taille relative de son économie et le fait que ces mesures auraient pour conséquence de réduire les obstacles auxquels l'économie chypriote turque est actuellement confrontée. "Les recommandations de l'équipe ont été conçues pour permettre aux deux parties de bénéficier des avantages des mesures sans exposer l'une ou l'autre des économies aux éventuels effets négatifs pouvant découler des différences de prix, de droits de douane et autres décalages existant entre les systèmes économiques des deux parties. "Les principaux avantages présentés par l'ensemble de mesures pour la partie chypriote grecque seraient que les Chypriotes grecs pourraient regagner le secteur fermé de Varosha, redonnant ainsi à Varosha son statut d'important centre touristique, ce qui pourrait représenter une augmentation de 15% de la capacité touristique chypriote grecque. En outre, la reconstruction de Varosha, qui devrait, selon les estimations, exiger des investissements d'au moins 1 milliard de USD sur cinq ans environ, donnerait lieu à une activité économique significative pour l'économie chypriote grecque en raison de la demande en personnel qualifié et en matériel. La reconstruction de l'Aéroport international de Nicosie, dont le coût est estimé à quelque 37 millions de dollars, et sa mise en service dégageraient également une activité économique considérable du côté chypriote grec. "Pour la Communauté chypriote turque, ces propositions feraient augmenter de 20% le PNB dans un avenir proche. Les avantages des mesures peuvent être résumés comme suit : La reprise de l'activité à Varosha : la part chypriote turque en emplois et, dans une moindre mesure, en contrats prospectifs pour la reconstruction de Varosha sur cinq ans pourrait représenter la somme de 500 millions de USD. Il semble probable que la moitié environ des 9.000 emplois que, selon les estimations, la remise en activité de Varosha devrait créer, reviendront à des chypriotes turcs. De plus, une partie des ventes de biens et de services que la réouverture du centre de Varosha dégagerait devrait aller aux entreprises dirigées par des Chypriotes turcs. Les co-entreprises que les Chambres de commerce des deux parties détermineraient et prépareraient devraient se révéler très avantageuses pour les deux Communautés. L'afflux de touristes quittant le sud de l'île par Varosha pour se rendre dans le nord, et celui de touristes visitant le nord au départ de Varosha devrait alimenter l'économie chypriote turque de quelque 34 et 19 millions de USD par an respectivement. La réouverture de l'Aéroport international de Nicosie : la réouverture de l'aéroport donnerait du tonus à l'économie chypriote turque. Sans augmenter la capacité hôtelière actuelle, l'arrivée directe de touristes par l'Aéroport international de Nicosie ferait passer le taux général d'occupation de 31 à 55 pour-cent, ce qui ferait augmenter les revenus chypriotes turcs d'environ 43 millions de USD par an. La remise en service de l'Aéroport devrait, de surcroît, faciliter l'augmentation de la capacité hôtelière de 3.000 lits prévue sur une période de cinq ans et se concrétiser par une hausse des revenus représentant 90 millions de USD par an. Le grand nombre d'emplois rendus nécessaires par la réouverture de l'Aéroport international de Nicosie ne sera sans doute pas sans retombées positives pour la partie chypriote turque, qui fournira à n'en pas douter une large part des marchandises dont l'Aéroport devra être approvisionné. L'aéroport international de Nicosie établirait aussi un lien direct entre les Chypriotes turcs et le monde extérieur, facilitant donc considérablement ses activités commerciales et touristiques. "Les avantages que les deux Communautés retireraient de la mise en oeuvre de l'ensemble de mesures de confiance iraient bien au-delà des avantages économiques significatifs déjà décrits. L'application des mesures jouerait également un rôle catalyseur dans les efforts visant à surmonter la méfiance que ressentent les deux Communautés et à dégager un accord d'ensemble. Les avantages politiques, sociaux et culturels pourraient donc se révéler encore plus importants pour l'avenir des Communautés chypriote grecque et chypriote turque et pour Chypre toute entière. La reprise de l'activité à Varosha et la réouverture de l'Aéroport international de Nicosie ouvriraient enfin la voie à une prise de contact entre les deux Communautés et leur donneraient la possibilité, dans un cadre restreint dépourvu de risques pour leurs Communautés respectives, de se découvrir et de se révéler leur bonne volonté et leur respect, ainsi que leur désir de se rapprocher et de collaborer de façon harmonieuse. L'objectif de fédération que se sont fixé les deux Communautés prendrait ainsi un tour plus concret. "Au cours de son travail sur le terrain, des questions et des inquiétudes portant sur l'application de l'ensemble de mesures ont été posées à l'équipe d'experts. Celle-ci y a soigneusement réfléchi et le rapport contient un certain nombre de suggestions à cet égard. Quelques uns des points évoqués sont effectivement essentiels pour une mise en oeuvre efficace des mesures, notamment des arrangements visant à assurer que les Chypriotes turcs pourront quitter sans difficulté l'Aéroport international de Nicosie, que des locaux seront disponibles pour les personnes n'étant pas propriétaires à Varosha, mais étant désireuses de se lancer dans des activités commerciales dans cette zone, que la qualité du contrôle du trafic aérien à l'Aéroport international de Nicosie et dans les environs sera bonne, et la façon exacte dont les frais d'administration du secteur fermé de Varosha et de l'Aéroport international de Nicosie seront absorbés. Ces questions devront être soigneusement analysées pour qu'il soit possible d'appliquer les mesures. L'équipe est d'avis que ces question peuvent être résolues sans difficultés particulières avec un minimum de bonne volonté. Bien d'autres questions devront être traitées, mais l'intérêt que présente les mesures ne sera pas remis en cause par les solutions adoptées. Il s'agit entre autres du cadre juridique s'appliquant au secteur de Varosha et des questions financières et fiscales relatives à cette zone. Ces questions pourraient être résolues par l'ONU en sa qualité d'administrateur de Varosha et de l'Aéroport international de Nicosie, avec l'assistance, le cas échéant, d'experts techniques et en consultant les deux parties." Décembre 1993
Résumé "L'équipe d'experts a été chargée d'entreprendre un examen approfondi de l'état actuel de l'Aéroport international de Nicosie et de déterminer les mesures à prendre pour le rendre opérationnel. Ce rapport présente un ensemble exhaustif de propositions pour la remise en service de l'Aéroport international de Nicosie, où toute activité a cessé depuis 1974 et qui se trouve actuellement dans la zone tampon sous contrôle de l'ONU, entre les lignes de cessez-le-feu de la Garde nationale et des forces Turques. En bordure d'Aéroport, lui-même situé dans la zone se trouvant sous la protection de l'ONU, se trouve un certain nombre de terrains appartenant au Royaume-Uni, qui sont actuellement sous administration britannique, mais qui doivent, en vertu des traités dans le cadre desquels ils ont été acquis, être rendus à la République de Chypre lorsque les Britanniques ne verront plus la nécessité de les garder. Ces terrains ne posent pas de problème à la remise en service de l'Aéroport. L'ensemble de propositions contenues dans ce rapport repose sur les critères techniques nécessaires au fonctionnement d'un Aéroport dans le respect plein et entier des normes techniques et opérationnelles de l'OACI. Grâce à la mise en oeuvre de ces propositions, l'Aéroport remplirait tous les critères permettant de lui donner le titre d'Aéroport civil international, conformément à ce qui figure dans le numéro actuel du Plan de navigation aérienne pour la région Europe de l'OACI à la rubrique "Chypre", avec la mention : "fermé temporairement". Il serait placé sous la tutelle de l'ONU, conformément à leur mandat de trouver des solutions à long terme au "problème chypriote". Le projet de remise en service prévoit que les formalités de douane et de prise en charge des passagers se déroulent dans deux terminaux satellites situés tous deux à l'extérieur du périmètre de l'Aéroport, l'un au nord de la zone tampon, et l'autre au sud. Seuls les passagers ayant accompli les formalités d'embarquement et leurs bagages seraient transportés à bord de véhicules sûrs jusqu'au terminal de l'Aéroport, sous la protection du personnel de l'ONU. Au terminal de l'Aéroport, les passagers devraient identifier leurs bagages et seraient pris en charge par le personnel des lignes aériennes jusqu'à l'embarquement, qui s'effectuerait normalement. Les passagers à l'arrivée récupéreraient leurs bagages et seraient acheminés par le personnel de l'ONU vers des bus les menant, sous la protection de l'ONU, jusqu'à leur destination finale dans l'un ou l'autre des satellites. Cet accord prévoit que seuls les employés de l'Aéroport autorisés et les passagers aient accès au terminal de l'Aéroport. Les passagers quitteraient ou retrouveraient les personnes les accompagnant aux satellites. De plus, les passagers en partance passeraient par des contrôles de sécurité dans les terminaux satellites et dans le terminal de l'Aéroport. L'administration de l'ONU pourrait disposer de sa propre procédure de prise en charge des passagers entrants, notamment pour faciliter leurs déplacements ultérieurs entre les parties nord et sud de l'île. L'administration de l'ONU pourrait également, le cas échéant, se charger des formalités concernant les passagers au départ. Les installations de navigation de l'Aéroport, les installations de communications mobiles, le système d'éclairage, les services du trafic aérien, les services météorologiques et les services de lutte contre les incendies ont été enlevés ou complètement détruits et devront être remplacés dans leur intégralité. Comme la plupart des bâtiments ont subi des dégradations plus ou moins considérables, et ont été laissés à l'abandon, les coûts de remise en état seront relativement élevés. Les pistes, les taxiways et les parkings n'ayant plus été utilisés depuis près de vingt ans, les intempéries et la végétation ont causé de nombreux dégâts. Malgré leur état actuel, il n'en représentent pas moins un atout considérable. Il semblerait qu'un système circulaire de distribution électrique soit encore partiellement utilisable. L'estimation des coûts de rénovation des divers éléments nécessaires au bon fonctionnement de l'Aéroport conformément aux normes internationales de l'OACI est ventilée de la façon suivante : a) Pistes et zones de déplacement : 5.930.000 $ b) Eclairage des pistes : 3.900.000 $ c) Bâtiments, y compris les nouveaux bâtiments : 12.520.000 $ d) Installations de manutention et de prise en charge, y compris la sécurité et le transport : 9.318.000 $ e) Services de secours et de lutte contre les incendies : 1.750.000 $ f) Equipement de nav. et com. : 2.163.000 $ g) Services de trafic aérien, d'information aéronautique et météorologique, de recherche et sauvetage : 575.700 $ TOTAL 36.156.700 $ Le personnel nécessaire au bon fonctionnement de l'Aéroport est estimé à 584 personnes, chiffre supérieur à la normale pour un Aéroport de cette capacité, et qui s'explique en partie par le dédoublement des activités et les exigences relatives au personnel de transport. Les recettes devraient être presque exclusivement constituées des droits d'atterrissage et de manutention qui, c'est entendu, correspondront aux droits prélevés dans les autres Aéroports de l'île de Chypre. Les recettes générées par le stationnement automobile, les concessions, etc., représentent une source de revenus considérable dans certains Aéroports modernes, mais ces recettes sont en majorité destinées aux exploitants des terminaux des deux côtés, où les passagers sont séparés des personnes venues les accompagner. D'autre part, les frais d'exploitation devraient être supérieurs aux frais encourus dans les Aéroports normaux en raison du dédoublement des contrôles de sécurité, du transport au sol des passagers et de la complexité accrue des procédures administratives. L'exploitation de l'Aéroport exigera la collaboration des deux parties. Du fait de la direction du vent, la plupart des avions survoleront au décollage un territoire sous contrôle chypriote turc situé au nord de la zone tampon gérée par l'ONU et des dispositions devront être prise pour que les véhicules de secours et de lutte anti-incendie ait un accès immédiat à la zone en cas d'accident. Il devrait être possible que tout l'équipement de navigation essentiel et l'équipement de communications mobiles puisse être limité au périmètre de l'Aéroport ou à la zone tampon de l'ONU adjacente, mais les deux parties devront collaborer étroitement à l'organisation de l'espace aérien. Il est possible d'élaborer des procédures d'approche sures en fonction de la division géographique de l'espace aérien, mais elles seraient beaucoup plus efficaces s'il s'agissait en fait d'un système fonctionnant sur la base d'une zone d'approche coordonnée. Quoi qu'il en soit, l'activité des quatre ou cinq aérodromes et terrains d'aviation situés aux alentours de l'Aéroport international de Nicosie devra être coordonnée et il faudra, pour que l'efficacité soit maximale, qu'un accès aux installations de sécurité situées des deux côtés de la zone tampon soit garanti. Toutes ces mesures ont pour but de satisfaire à l'un des objectifs de principe stipulés dans le préambule de la Convention sur l'aviation civile internationale : "(...) que les services de transport aérien international puissent être développés de façon sûre et ordonnée, et que les services de transport aérien international puissent être établis sur la base de l'égalité des chances et gérés de façon judicieuse et économique". Le travail sur le terrain s'est étalé sur une période de travail intensif d'une durée de 15 jours et, même si les conclusions de ce rapport sont fondées sur une vaste expérience et une étude approfondie, il ne peut toutefois pas être considéré comme un plan d'action, étant donné qu'aucun essai et aucune recherche approfondie n'ont pu être réalisés dans le temps imparti. Il faudrait donc que des spécialistes qualifiés effectuent une planification et une étude détaillées de tous les travaux proposés dans les recommandations avant de donner suite aux principales d'entre elles. Différentes façons de procéder pourraient être envisagées, par exemple demander au Bureau de la coopération technique de l'OACI de fournir des spécialistes et chercher une aide financière pour engager une entreprise de consultants indépendante chargée de concevoir et de surveiller les travaux exécutés par des entrepreneurs, ou engager un entrepreneur en lui confiant la conception et la construction. De surcroît, il serait bon d'élaborer à un stade précoce un plan d'avancée des travaux destiné à atteindre les objectifs fixés et à garantir l'entretien et l'amélioration sensés et logiques de l'infrastructure de l'Aéroport.
Enfin, l'équipe est d'avis que le programme de remise en
service pourrait être mené à bien en 18 mois
environ à partir du moment où le projet de remise
en service obtiendrait une approbation définitive."
Décembre 1993
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