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Jamais le pouvoir exécutif français n’aura, comme aujourd'hui, autant parlé de l’«autisme». Emmanuel Macron, président de la République, suivi d’Édouard Philippe, Premier ministre puis Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées viennent en quelques heures de dévoiler les grandes lignes du quatrième volet d’un «Plan autisme», rebaptisé «Stratégie nationale».
C’est ici l’aboutissement d’une large réflexion-concertation lancée par Emmanuel Macron en juillet 2017. Il s’agit d’en finir avec les violentes polémiques théoriques et médicales générées depuis des décennies –polémiques sur les causes et les meilleures modalités de sa prise en charge. Il s’agit aussi de combler le retard français dans le diagnostic précoce et la prise en charge d’un vaste ensemble mal défini dans lequel l’autisme est désormais systématiquement associé aux «troubles du neurodéveloppement».
Impliquer tous les ministères
Pour l’heure, le gouvernement martèle son message: cette «stratégie nationale» est radicalement différente des politiques précédentes; des politiques qui avaient fait se succéder trois «Plans autisme» et conduit à une situation insupportable, vivement dénoncée par la Cour des comptes, mais aussi par l’Inspection générale des affaires sociales ou encore par l’Académie nationale de médecine.
«Stratégie nationale», donc. Entendre sortir du «médico-social» et impliquer tous les ministères, celui de la santé mais aussi ceux en charge de l’éducation nationale, de l’emploi, de la recherche, de la culture, du sport… Éléments de langage: «Les personnes handicapées seront considérées avant tout comme des personnes, citoyens d’une société inclusive»; «permettre à tous les enfants autistes d’aller en maternelle».
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L’une des ambiguïtés et des sources de confusion tient à la définition du champ concerné. On continue, officiellement à parler de «l’autisme» alors même que ce «trouble neurodéveloppemental» renvoie à de multiples situations différentes pouvant concerner le langage, la sociabilité, le développement moteur et sensoriel.
«Nous avons étendu la stratégie à tous les troubles neurodéveloppementaux reconnus par les nomenclatures internationales, comme le trouble du déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH) ou les déficiences intellectuelles, a expliqué Sophie Cluzel au Monde. Cet élargissement de focale était nécessaire pour ne pas passer à côté de certaines situations en matière de repérages, de troubles associés. La prévalence des troubles du spectre autistique est de 1%, celle des troubles du neurodéveloppement de 5%.»
Dans le même temps, la secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées reconnaît que son estimation de «1 % d’autistes» (soit environ 700.000 personnes en France) ne repose sur aucune donnée épidémiologique solide.
«Il est vrai que la France manque de statistiques fiables, d’abord parce qu’il n’existait pas de système d’information unique des maisons départementales des personnes handicapées [MDPH], dit-elle. Depuis mon arrivée, j’ai accéléré le déploiement d’un système d’information commun, pour disposer notamment d’un état des lieux d’ici à deux ans. Par ailleurs, nous allons lancer un appel d’offres pour constituer une cohorte qui permettra de recueillir des données épidémiologiques, le suivi, l’impact social sur les familles.»
L’accompagnement débutera avant même d’avoir un diagnostic précis
Tous les spécialistes soulignent l’importance de diagnostiquer ces troubles le plus tôt possible afin de mettre en place, sans attendre, des interventions personnalisées et coordonnées pour favoriser le développement et les apprentissages. Or, en France, les enfants concernés continuent d’être diagnostiqués trop tardivement, en moyenne entre 3 et 5 ans. Et ce avec de très grandes injustices, en raison notamment d’inégalités d’accès au diagnostic sur le territoire et d’un manque de visibilité pour les familles qui ne savent pas à quels professionnels s’adresser.
Emmanuel Macron le 5 avril lors d'une visite à la Creche Graffiti’s, gérée par l'association Le Moulin Vert, où des enfants autistes et non autistes sont mélangés. | Christophe Ena / POOL / AFP
Volontariste, le gouvernement annonce vouloir modifier radicalement la donne et assurer «un accompagnement dès les premiers troubles, avec un minimum de reste à charge pour les familles». Pour contourner le «goulot d’étranglement» qui s’est créé au niveau des Centres ressources autisme (CRA) sont annoncée des «plates-formes autisme-troubles du neurodéveloppement» pour confirmer l’alerte des professionnels de première ligne, et diriger immédiatement les enfants vers des psychomotriciens et psychologues.
L’accompagnement débutera avant même d’avoir un diagnostic précis et un bilan complet. Dans ce cadre seront créés des «forfaits intervention précoce» pour diminuer le reste à charge des familles (budget prévu: 90 millions d’euros).
«Les sommes annoncées sont nettement inférieures aux besoins»
Quelle lecture faire d’une telle stratégie? «Nous vivons ici un moment important dans les rapports de la société, du handicap et de la politique», explique à Slate.fr la pédopsychiatre Catherine Barthélémy, professeure émérite à la faculté de médecine de Tours, membre de l’Académie nationale de médecine et l’une des meilleures spécialistes française du sujet.
«Il était devenu important d’en finir avec une forme de médicalo-centrisme, d’ouvrir les portes, de déployer de nouveaux moyens, de passer à un autre paradigme. De ce point de vue, de nombreux aspects de la “stratégie nationale” du gouvernement doivent être salués. Pour autant les moyens développés devront être suffisants pour que la nouvelle dynamique ne conduise pas, paradoxalement, à exclure les plus faibles, les enfants les moins parlants ou présentant des troubles associés. C’est, de mon point de vue, un défi majeur à relever et auquel j’accorde la plus grande importance.
Pour le reste les sommes annoncées sont nettement inférieures aux besoins, notamment ceux de la recherche. Celle-ci devra avant tout porter sur la clinique. La génétique, la biologie du cerveau et les réseaux neuronaux sociaux sont sans doute des domaines d’avenir mais nous n’en sommes pas là et les urgences sont ailleurs: dans la compréhension fine et précoce des signes pouvant être interprétés par des médecins cliniciens.»
«La société française méprise les personnes autistes»
«Les prises de parole du gouvernement sur le sujet témoignent d’une prise de conscience croissante de la réalité et de l’ampleur du sujet», a déclaré à Slate.fr Hugo Horiot. À la fois autiste, comédien et écrivain, il est l’auteur d’un récent et puissant manifeste –Autisme: j’accuse!– mettant en lumière la puissance des intelligences différentes des autistes.
Et si l’autisme faisait partie de la biodiversité humaine, était une autre intelligence douée d’un potentiel hors normes, comme celui des surdoués?
«Soumise à une injonction de normalité, la société française méprise les personnes autistes, gênée par leur comportement différent, parfois mutique. Elle les enferme, les drogue, les marginalise et les envoie en Belgique dans des institutions spécialisées. Pour y échapper, certains d’entre eux choisissent l’exil et partent dans des pays plus éclairés, comme l’Italie, l’Espagne, La Suède ou encore le Canada.
Aujourd’hui, de nombreuses voix s’élèvent contre ces fondements médicaux archaïques. Il est urgent de considérer cette différence sous un autre angle que celui de la santé mentale ou de la pathologie. Et si l’autisme faisait partie de la biodiversité humaine, était une autre intelligence douée d’un potentiel hors normes, comme celui des surdoués? De nombreux autistes non verbaux, et donc considérés comme «sévères», «lourds» ou de «bas niveau», peuvent présenter des aptitudes surprenantes voire exceptionnelles dans divers domaines, avec une mémoire visuelle, auditive ou olfactive phénoménale.»
«Pour ma part j’ai décliné l’offre qui m’avait été faite de participer à la concertation gouvernementale», nous a-t-il expliqué. Je ne souhaitais pas être une forme de caution face aux deux lobbies, le médico-social et le sanitaire, deux forces qui ont tout intérêt à maintenir les personnes concernées dans une forme d’enfermement –à la différence de ce que l’on peut voir dans les pays voisins de la France. Pour autant je reconnais que les premiers éléments de langage d’Emmanuel Macron –parlant “d’école inclusive” – vont dans le bon sens. Il ne reste plus qu’à réussir une révolution: s’opposer avec succès aux deux lobbies et ouvrir les portes de l’Éducation nationale. Or, de ce point de vue, les 344 millions d’euros annoncés sur un budget 2018-2022 ne sont nullement à la hauteur des besoins en matière de personnels scolaires et de formation. Dans son dernier rapport sur le sujet, la Cour des comptes parlait de sept milliards. Il ne s’agit pas, ici, de s’adapter –mais bien d’un changement complet de logiciel.»
Pour Hugo Horiot, cette révolution sociale impose de changer les termes qui sont une source de confusion généralisée. Ne plus parler d’«autisme» ou de «déficience mentale» mais d’«intelligences multiples», d’«intelligences non verbales»; ne plus parler de «prise en charge» mais d’«accompagnement».
«L’affichage politique de l’importance donnée au “diagnostic précoce” est une excellente chose, dit-il encore. Mais cela n’aura de sens et de portée que si tout change en aval. Sinon c’est l’échec assuré.»
Mêmes interrogations, chez lui, quant au développement de la «recherche» annoncé par le gouvernement: «De quelle recherche parle-t-on? Plus que la recherche sur les causes et les “gènes”, nous avons besoin d’une recherche sur les meilleurs modalités de l’accompagnement des autres formes d’intelligences humaines.»
Le plus grand risque, selon Hugo Horiot, serait la mise au point de méthodes qui permettraient un dépistage prénatal des différentes formes d’autisme.
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«Nous sommes déjà dans une société eugéniste, déclarait-il récemment au Figaro. Regardez ce qui se passe pour les trisomiques. Certains rêvent de traquer l’autisme in utero. Dans quel but? Je précise que je ne suis pas du tout anti-IVG, mais il ne faut pas que le dépistage se transforme en système d’éradication et c’est forcément un risque dans une société où l’autisme est uniquement considéré comme une maladie, un fardeau.»