Épigrammes (Théocrite, Leconte de Lisle)/1861
I
Cet roses pleines de rosée et ce serpolet touffu sont offerts aux Hélikonides. À toi ces lauriers au noir feuillage, Pœan Pythien, car c’est pour toi qu’ils ont poussé sur la roche Delphienne. Quant à ce bouc cornu, au poil blanc, qui broute l’extrémité des rameaux du térébinthe, il ensanglantera l’autel.
Anathème à Pan par Daphnis.
Daphnis à la peau blanche, qui chante des hymnes bucoliques sur une belle syrinx, a consacré à Pan ces roseaux troués, cette houlette, un javelot aigu, une peau de faon et le sac de cuir dans lequel il portait des pommes autrefois.
Sur Daphnis le chevrier.
Tu dors, Daphnis, tu reposes sur un monceau de feuilles ton corps fatigué, et les pieux que tu as récemment plantés sont encore sur les hauteurs. Mais Pan est sur ta piste, ainsi que Priapos, qui enroule le lierre aux fruits jaunes sur ta tête charmante. Ils vont entrer tous deux dans ton antre. Sors de l’assoupissement du sommeil, éveille-toi et fuis !
Chevrier, va vers ce lieu où croissent les chênes, tu y trouveras une statue de figuier, avec son écorce, récemment sculptée, à trois jambes et sans oreilles. Une clôture sacrée l’entoure, et un ruisseau intarissable, qui s’échappe des rochers, fait verdir de tous côtés les lauriers et les myrtes, et les cyprès odorants. Une vigne lourde de grappes l’environne d’une guirlande ; les merles printaniers y font entendre les sons variés de leurs voix sonores, et les fauves rossignols répondent par le doux gazouillement de leurs gosiers. Assieds-toi là, supplie le charmant Priapos que je cesse d’aimer Daphnis, et dis-lui que je veux lui sacrifier un beau chevreau. S’il refuse, que j’obtienne Daphnis, et je lui sacrifierai trois victimes : une génisse, un bouc velu et un agneau sevré. Mais plutôt, que le Dieu bienveillant m’exauce !
Symphonie.
Veux-tu, au nom des Muses, me jouer un air harmonieux sur une double flûte ? Moi, je toucherai du pektis, et Daphnis nous charmera en jouant de sa syrinx enduite de cire ; et, nous tenant auprès de cet antre dont le seuil est caché par de grandes herbes, nous empêcherons de dormir Pan aux pieds de chèvre.
Sur Thyrsis le chevrier pleurant une chèvre qu’un loup a dévorée.
Ô malheureux Thyrsis, que te sert-il de rougir tes yeux à force de larmes ? Elle s’en est allée, la petite chèvre ; elle s’en est allée dans l’Hadès, la belle petite, car un loup féroce l’a saisie avec ses griffes, tandis que les chiens aboyaient. Que te sert-il de pleurer, puisqu’il ne te reste d’elle ni un os ni même un peu de cendre ?
Sur Nikias le médecin.
Il est parti pour Milet, le fils de Pœan, afin d’habiter avec un homme guérisseur de maladies, avec Nikias, qui, tous les jours, lui fait des offrandes et lui a élevé une statue de cèdre odorant, pour laquelle il avait offert un grand prix à l’habile Héétiôn, et celui-ci a mis tout son art dans cet ouvrage.
Épitaphe d’Orthôn.
Le syracusain Orthôn t’avertit de ceci, Étranger : ne voyage jamais, étant ivre, par une nuit orageuse. C’est pour l’avoir fait que je repose sur une terre étrangère, et non dans ma patrie aux nombreux habitants.
Sur Kléonikos naufragé à Thasos.
Ô homme, ménage ta vie et ne navigue pas hors de saison, car la vie humaine est brève. Malheureux Kléonikos ! tu te hâtais d’aborder à la riche Thasos, avec des marchandises de Célésyrie, avec des marchandises, ô Kléonikos ! Mais tu as passé la mer comme les Pléiades se couchaient, et tu t’es englouti avec les Pléiades !
Sur Xénoklès qui avait dédié aux Muses un groupe en marbre.
Xénoklès vous a élevé ce beau monument marmoréen, Déesses, à toutes les neuf ! Il est musicien, personne ne dira le contraire ; et, loué pour son talent, il n’oublie pas les Muses.
Épitaphe d’Eusthénéos le physionomiste.
Tombeau d’Eusthénéos, l’habile physionomiste, qui lisait la pensée dans les yeux. Il était étranger, et ses amis l’ont enseveli sur une terre étrangère ; mais il était chanteur d’hymnes aussi, et ils l’aimaient beaucoup. À sa mort, tout s’est passé décemment. Bien que pauvre, il avait donc de vrais amis.
Sur un trépied consacré à Dionysos par Démotélès.
Démotélès le khorège, ô Dionysos, celui qui a dédié ce trépied au plus aimable des dieux heureux, n’a pas réussi dans les chœurs d’enfants, mais il a vaincu avec un chœur d’hommes. Il tend au beau et au bien.
Sur une statue d’Aphrodite Ouranienne.
Ce n’est pas Kypris populaire ; implore cette déesse en la nommant Ouranienne. C’est un anathème de la chaste Khrisogona, consacré par elle dans la maison d’Amphiklès, dont elle partage la vie et dont elle a des enfants. D’année en année, leur destinée a été plus heureuse, car ils ont toujours commencé par t’honorer, ô Vénérable ! Et les mortels prospèrent qui ne négligent pas les Immortels.
Épitaphe d’Eurymédôn.
Tu as laissé un fils enfant, et, mort loi-même durant ta jeunesse, on t’a élevé ce tombeau. Maintenant ta place est parmi les hommes divins, et tes concitoyens honoreront ton fils, sachant qu’il est né d’un homme de bien.
Sur le même.
Je saurai si tu honores les bons, ô voyageur, ou si tu les confonds avec les méchants. Dis donc : — Heureux ce tombeau, puisqu’il repose léger sur la tête sacrée d’Eurymédôn !
Sur une statue d’Anakréon.
Regarde bien cette statue, ô Étranger, et dis, quand tu seras de retour dans ta demeure : — J’ai vu à Téos une image d’Anakréon, le plus grand des anciens poètes. — Et ajoute : — Il aimait les jeunes hommes. — Et tu auras raconté exactement l’homme tout entier.
Sur Épikharmos.
Ceci est en langue dorique, et cet homme est Épikharmos, qui inventa la comédie. Ô Dionysos, les étrangers établis dans Syracuse t’ont consacré sa statue, afin d’honorer leur concitoyen. Il avait des paroles en abondance ; il a dit beaucoup de maximes utiles : une grande reconnaissance lui est due.
Épitaphe de Klita, nourrice de Médeios.
Le petit Médeios a élevé sur le bord de la route ce tombeau à sa nourrice thrace, et il y a inscrit : Tombeau de Klita. C’est ainsi que cette femme aura été récompensée d’avoir nourri ce jeune homme. Pourquoi ? Parce qu’elle aura été utile jusqu’à la mort.
Sur Arkhilokhos.
Arrête et regarde Arkhilokhos, l’ancien poète, l’Iambique, dont la gloire immense a pénétré l’orient et l’occident. Certes, il était aimé des Muses et du Délien Apollôn, car il fut savant et harmonieux, soit qu’il fît des vers, soit qu’il chantât sur la lyre.
Sur une statue de Peisandros, auteur de l’Hérakléide.
Cet homme est le premier des anciens poètes, Peisandros de Kamira, qui chanta le fils de Zeus prompt à l’action, le vainqueur du lion, et il a aussi chanté ses autres combats. Or, afin que tu le saches, le peuple l’a placé ici, fait de bronze, bien des mois et bien des années après sa mort.
Sur Hipponax.
Ici repose l’artiste Hipponax. Si tu es méchant, n’approche pas de ce tombeau ; si tu es honnête et né d’un père irréprochable, tu peux t’y asseoir en sûreté et même y dormir.
Sur son livre.
Il y a un Théokritos de Khios ; mais moi, Théokritos, qui ai fait ce livre, je suis un des nombreux habitants de Syracuse, fils de Praxagoras et de l’illustre Philinna. Et ce livre ne contient rien que je n’aie conçu.
Épitaphe de Péristéris.
Entre toutes les enfants de son âge et toute jeune, cette enfant s’en est allée vers Aidès, pleurant, la pauvre petite, un frère âgé de vingt mois et mort au berceau. Hélas ! Péristéris, que ta destinée a été déplorable ! Et que les Dieux ont placé de grandes tristesses auprès des hommes !
Sur le changeur Kaïros.
Cette table est aux citoyens et aux étrangers. Prends ce que tu y as mis : le caillou a complété ton compte. Qu’un autre use d’un prétexte ; quant à Kaïros, il compte l’argent d’autrui, pour qui veut, même pendant la nuit.
Épitaphe de Glaucé.
L’inscription dira quel est ce tombeau et ce qu’il renferme : — Je suis le tombeau de Glaucé qui fut illustre.