Histoire de la presse française/Texte entier
aux combattants de l’époque contemporaine
République française.
Ministère du commerce, de l’industrie, des postes et des télégraphes.
Arrêté,
Le Ministère du Commerce, de l’Industrie, des Postes et des Télégraphes
Arrête :
M. Henri Avenel, propriétaire directeur de l’annuaire de la Presse française et du Monde politique, est chargé de présenter en 1900 au Ministre du Commerce et de l’Industrie des Postes et des Télégraphes un rapport sur l’histoire de la Presse française depuis 1789. Paris, le 28 Janvier 1899
Signé, Paul Delarubre
Pour Ampliation
Le Secrétaire général
Henri Charvay
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AVANT-PROPOS
Un arrêté du 25 janvier 1899 nous a conféré l’honneur et la mission de présenter en 1900 au Ministre du Commerce, de l’Industrie, des Postes et des Télégraphes un rapport sur l’ « Histoire de la Presse française depuis 1789 ».
Ce rapport est devenu, entre nos mains, un ouvrage méthodiquement conçu et consciencieusement documenté, que nous livrons ici à l’appréciation du public.
Nous citons les faits sans commentaires de parti pris ; nous avons, dans la mesure du possible, cédé la parole aux personnages eux-mêmes, les laissant ainsi plaider leur propre cause devant le tribunal de la postérité.
L’iconographie, qui occupe une place considérable dans notre volume, fait vivre aux yeux le monde multiple de la presse, les disparus d’hier, les survivants d’aujourd’hui — par une série de portraits d’après les originaux et par des reproductions de journaux anciens et modernes.
Nous pensons que le public accueillera cet ouvrage avec la faveur qu’il tient en réserve pour les « livres de bonne foy » et que nos jeunes confrères de la presse se plairont à y trouver et à y reconnaître une « Ecole pratique du Journalisme ».
CHAPITRE PREMIER
LA PRESSE FRANÇAISE AVANT LA RÉVOLUTION
On ne peut arriver à bien comprendre la situation actuelle de la presse et sa législation, ni en pénétrer le véritable esprit, si l’on n’a pas d’abord étudié avec soin ses transformations sous divers régimes politiques qui se sont succédé en France depuis 1789.
Comment exposer en effet, apprécier et critiquer une institution, — et la presse est une institution véritable, — sans avoir consulté origines et s’être inspiré a son sujet des enseignements de l’histoire ?
La Révolution française a été le vrai berceau de la liberté de la presse ; aussi ne jetterons-nous qu’un coup d’œil rapide, à titre purement préliminaire, sur la période antérieure à 1789.
Sous l’ancien régime, la liberté d’écrire et de répandre la pensée a généralement été entravée par des mesures de police tout à fait arbitraires et par des pénalités excessives, quelquefois, mais trop rarement, adoucies dans la pratique.
Au xive et au xve siècle, l’Université était investie du droit d’examiner, de corriger et d’approuver les ouvrages mis en circulation ; elle exerçait sur le commerce de la librairie un contrôle auquel les libraires devaient se soumettre d’avance par serment. C’était le règne de la censure dans toute sa simplicité et dans tout l’éclat de sa première jeunesse.
Les livres étaient alors rares et fort chers. Les maîtres et écoliers, trop pauvres pour acheter les manuscrits qui leur étaient utiles, avaient le droit de les louer afin de les copier, moyennant un salaire fixé par l’Université. Pour prévenir les fraudes de toute nature, éviter les interpolations et corriger les fautes des copistes, les manuscrits étaient soumis aux docteurs de la faculté compétente, suivant les matières qui s’y trouvaient traitées. Ceux-ci les revisaient et les revêtaient de leur approbation avant de les livrer au public[1].
L’Université ne se bornait pas à imposer aux libraires une censure préalable ; elle leur enlevait même la faculté de fixer à leur gré le prix des livres mis en vente. Des règlements minutieux imposaient des tarifs précis comme une série d’articles d’une sorte de loi de maximum. « Les imprimeurs et les libraires de Paris ne pouvaient, avant 1789, établir leur domicile en dehors d’une circonscription déterminée ; c’est encore le quartier où un grand nombre d’entre eux s’est maintenu. La Révolution leur donna la liberté de choisir dans toute l’étendue de la ville le lieu qui leur semblait Le mieux répondre à leurs intentions et à leurs intérêts[2]. »
En revanche, les libraires, considérés comme des suppôts de l’Université, participaient à tous les privilèges de cette grande corporation, « Ils étaient exempts de tous péages, aides et impositions : ils étaient dispensés du guet. Enfin, quand venaient les grandes fêtes de l’Université présidées par le recteur lui-même, ils étaient convoqués dans l’église des Mathurins, et là, appelés à haute voix pour prendre rang dans la procession générale avec tous les autres ordres du corps universitaire. Ils y marchaient en compagnie des écrivains, des relieurs, des parcheminiers, sous la bannière de Saint-Jean-Porte-Latine[3] ».
A cette époque, la vie intellectuelle, les connaissances philosophiques et scientifiques étaient renfermées dans des limites as étroites. Aussi, le mouvement de la librairie n’était-il guère entretenu que par des livres de théologie, de morale et par des manuscrits plus ou moins rudimentaires consacrés à l’instruction des nouvelles générations.
C’est dans les chants mordants des trouvères et des troubadours, ou bien dans certains mystères et dans les représentations de la Basoche, sur les tréteaux d’un théâtre primitif, qu’il faut aller rechercher la trace de l’esprit malin et railleur de notre race, au milieu de la société féodale et religieuse. « Savez-vous, dit M. Gidel[4], ce qui faisait une bonne part du succès des trouvères, des ménestrels des jongleurs et des troubadours ? C’est que, dans leur vie errante, ils colportaient les nouvelles de château en château, de ville en ville. Enfermés dans leurs donjons solitaires, en proie à de longs ennuis d’un hiver passé dans l’inaction et le silence, les barons voyaient, au printemps, revenir avec bonheur le poète, qui n’apportait pas seulement des vers et des chants nouveaux, mais qui répandait aussi aventures d’une société où n’étaient pas encore formés tous les liens de la vie civile. Les chansons elles-mêmes n’étaient souvent que nouvelles rimées, récits attendrissants ou caustiques d’événements propres, à réjouir la malignité des auditeurs. Parfois aussi les chanteurs s’élevaient plus haut. Ils attaquaient par des invectives hardies les princes, leur lâcheté, leur violence, leur avarice. Les plus puissants n’étaient pas épargnés ; la cour même de Rome payait comme les autres à ce creuset, et, dans ces temps reculés, si fort éloignés de l’invention des journaux, l’opinion publique ne laissait pas d’être instruite des méfaits des rois et des empereurs, des princes de l’Église et des papes. Le chant portail vite et loin sur ses ailes les âpres satires, les injures de Philippe le Bel contre le pape Boniface, qu’il appelle Maliface, sa fatuité et sa sottise au lieu de sa sainteté. Les peuples apprenaient sans peine et récitaient avec affection les vers d’Eustache Deschamps, où, sous l’allégorie d’animaux dépouillés, la brebis de sa laine, la chèvre de ses petits, la laie de ses soies, chacun pouvait reconnaître la condition de la gent menue, aux oreilles de qui retentissaient ces paroles qui sont de toutes les époques : Çà, de l’argent ! çà, de l’argent ! »
La censure avait donc assez rarement l’occasion de sévir contre des livres dangereux. Protéger la religion, maintenir l’unité et la pureté de la foi catholique, tel était à peu près son unique souci. Elle déployait toutes ses rigueurs contre les écrits suspects d’hérésie ou de magie ; elle les condamnait et les livrait aux flammes, sans préjudice des peines prononcées contre les auteurs.
Les premiers livres imprimés furent naturellement soumis au contrôle et à la censure de l’Université, comme les manuscrits, qu’ils étaient appelés à remplacer. Ce contrôle était d’ailleurs facile à exercer, du moins dans les débuts, puisque c’est au cœur même de l’Université, dans les bâtiments du Collège de Sorbonne, que fut installée, en 1469, la première imprimerie parisienne, conduite par trois ouvriers typographes venus d’Allemagne : Ulrich Géring, Michel Friburger et Martin Krantz. D’un autre côté, les imprimeurs de Paris devinrent membres et officiers de l’Université, comme les libraires eux-mêmes ; et l’Université ajouta à ses privilèges celui de recevoir, d’instituer et de surveiller les membres de la nouvelle corporation.
Les ouvrages imprimés en France à la fin du XVe siècle et pendant les premières années du XVIe, furent en grande partie des livres de religion. C’est ce qui explique les éloges et les bienfaits répandus par Louis XII sur les imprimeurs, en raison des services rendus par l’imprimerie à la foi catholique et à la propagation des bonnes et salutaires doctrines. Par une ordonnance datée de Blois le 9 avril 1513, il exempte d’un nouvel impôt les suppôts et officiers de l’Université, les libraires, relieurs, illumineurs et escrivains ; et il ajoute qu’il accorde cette exemption, « pour la considération du grand bien qui est advenu en notre royaume au moyen de l’art et science de l’impression, l’invention de laquelle semble estre plus divine que humaine, laquelle, grâces à Dieu, a esté inventée et trouvée de nostre temps, par le moyen et industrie desdits libraires, par laquelle notre sainte foy catholique a été grandement augmentée et corroborée, justice mieux entendue et administrée, et le divin service plus honorablement et plus curieusement fait, dit et célébré ; au moyen de quoy tant de bonnes et salutaires doctrines ont été manifestées communiquées et publiées à tout chascun, au moyen de quoy notre royaume précelle tous les autres : et autres innumérables biens qui en sont procédez et procèdent encore chascun jour… ».
C’est à Louis XII que remontent les premiers privilèges accordés aux libraires. Les auteurs ne voyaient alors dans ces privilèges que le moyen de se garantir des contrefaçons et le droit de poursuivre les contrefacteurs.
Ce n’est pas que Louis XII n’ait été effleuré quelquefois par les traits de la satire. Les clercs de la Basoche et les écoliers, dit Brantôme (Mémoires, t. 1er. parlaient du roi avec beaucoup de liberté dans leurs jeux de théâtre.
« Laissons les s’amuser, répondait-il aux observations de ses courtisans : je leur permets de parler de moi et de ma cour, mais respect à la reine ! Sinon, je les ferai pendre tous. »
Mais cet âge d’innocence et de pureté candide ne pouvait pas être et ne fut pas en effet de longue durée pour la presse. Dès le début du xvie siècle, la Renaissance et la Réforme l’emportèrent dans le mouvement universel d’agitation et de rénovation qui secouait alors l’Europe entière.
Avec la Renaissance, l’esprit humain se dégage des mille liens qui l’ont enserré jusque-là, pour se retremper, libre et rajeuni, au milieu de l’antiquité. Avec la Réforme, c’est un grand souffle d’indépendance, d’affranchissement et de libre examen, qui inspire et vivifie un monde nouveau.
L’imprimerie et la presse donnent à ce mouvement un élan prodigieux ; elles le propagent par leurs milliers de voix clandestines et voyageuses, qui chuchotent à l’oreille de tous l’esprit de révolte, le doute et les séductions des temps nouveaux.
C’est ce qu’a si bien compris et si bien exprimé M. Lenient dans son livre sur la Satire en France au xvie siècle[5]. « Jadis, dit-il, le pauvre jongleur errant du château à la place publique, de l’hôtellerie au couvent, colportait par le monde, à ses risques et périls, les médisances et les hardiesses. On pouvait l’arrêter, le jeter dans un cul de basse fosse, étouffer la voix avec l’homme et tout était fini. Mais avec l’imprimerie on a beau condamner au feu l’ouvrage et l’auteur, le livre proscrit renaît de ses cendres comme le phénix. Il dure, il voyage, il pullule : un seul exemplaire en produira des milliers. La formidable machine, toujours haletante, vomit sa mitraille à travers la mêlée des partis : puissance terrible contre laquelle tous les limiers de la police, du Parlement et de l’Inquisition useront en vain leurs yeux et leurs dents. Tandis que l’industrie moderne perfectionne avec les armes à feu le grand art de tuer ses semblables, la presse multiplie les formes militantes de la pensée. Elle engendre le pamphlet, produit éphémère de la médisance et de la haine, qui glisse dans l’air et frappe à l’improviste comme une balle ou un stylet ; puis le placard, impudent moniteur de carrefour, qui affiche et crie le scandale au coin des rues, à la porte des églises ; puis la gravure, sœur et complice du pamphlet, rendant visible aux yeux les mauvais bruits qui bourdonnent à l’oreille. On comprend l’étonnement, la fureur des hommes du passé, contre cet infernal agent de propagande. »
Mais il ne sert à rien de dresser des barrières et d’accumuler les obstacles : les doctrines de Luther et de Calvin se répandent dans toute la France et pénètrent même dans l’Université. La Sorbonne, sur les infatigables dénonciations d’un de ses plus fougueux docteurs, Noël Béda, censure les écrits d’Érasme et arrête la circulation des livres suspects. Le Parlement allume des bûchers, sur lesquels on fait brûler Berquin, Estienne Dolet et bien d’autres victimes illustres. Il semble que les hérétiques vont se multipliant avec les supplices et que l’hérésie prend de nouvelles forces avec les persécutions.
Des premières luttes religieuses et des règnes de François Ier et de Henri II datent les premières mesures rigoureuses contre la liberté de l’imprimerie et de la presse.
À un moment donné, en 1533, la Sorbonne affolée propose au roi, pour extirper l’hérésie et sauver la religion attaquée, a d’abolir pour toujours en France, par un édit sévère, l’art de L’imprimerie, qui enfantait chaque jour une infinité de livres pernicieux ». Sur les sages conseils de Jean du Bellay et de Guillaume Budé. François Ier rejette le projet fanatique de la Sorbonne ; mais il renouvelle et fortifie les édits relatifs à la censure préalable. Des lettres patentes du 28 décembre 1537 et du 17 mars suivant portent défense « de vendre et imprimer aucuns livres, soit d’auteurs anciens ou modernes, avant de les avoir communiqués à Mellin de Saint-Gelais, abbé de Reclus, garde de la librairie et aumônier de François Ier, sous peine de confiscation desdits livres et d’amende ». Cette censure royale ne faisait d’ailleurs nul obstacle à la censure exercée par l’Université, pas plus qu’à celle du Parlement.
Le choix de ce premier censeur royal était bien singulier, comme l’a fait observer avec raison le bibliophile Jacob. « Soumettre ainsi les livres à la tenaille de Mellin si redouté de Ronsard, ne leur laisser prendre leur libre vol que lorsque ce poète des épigrammes licencieuses, des odes érotiques, en a octroyé la permission ! n’est-ce pas au moins étrange ? Que penser de la censure sous l’ancien régime, que dire de sa moralité, quand, cherchant quel fut le premier censeur royal et quel fut l’un des derniers, on trouve d’un côté Mellin de Saint-Gelais, de l’autre Crébillon le fils, deux des hommes dont les œuvres auraient mérité le plus de passer par le creuset légal remis en leurs mains, et qui, approvisionnant eux-mêmes les libraires de livres scandaleux, attirèrent sur la Librairie qu’ils devaient régenter tant d’invectives et de foudres[6]. »
Sous le règne de Henri II, l’édit du 11 décembre 1547 ordonne pour la première fois aux auteurs et imprimeurs l’obligation d’apposer leurs noms et surnoms, avec l’enseigne ou marque de librairie, sur les ouvrages qu’ils publient et subordonne la publication à la permission donnée « par lettres du roi expédiées sous le grand sceau de la chancellerie ».
Pour la première fois aussi, sous ce même règne, l’édit de Châteaubriant du 27 juin 1551 défend les imprimeries clandestines et prohibe les presses secrètes des imprimeurs de profession, défense qui, dans la suite, fut bien souvent renouvelée.
Avec le règne de Charles IX, la Réforme, qui avait été jusque-là une secte religieuse, devient une faction dans l’État. A la suite de la conjuration d’Amboise et après le massacre de Vassy, on voit se dérouler le triste cortège des guerres civiles, la sédition, le régicide, le meurtre et l’assassinat. Aux catholiques comme aux protestants on peut appliquer les vers indignés de Ronsard ; car les uns et les autres prêchent et soutiennent
Un Christ empistolé, tout noirci de fumée,
Qui, comme un Méhémet, va portant en la main
Un large coutelas rouge de sang humain.
La Saint-Barthélémy, ce coup d’état sanglant, cette oppression impitoyable de la liberté de conscience, ne fait qu’exalter et exaspérer les protestants et les stimule dans leur résistance. Elle est en même temps comme le signal d’un débordement de pamphlets, d’une véritable guerre de plume. Hotoman, Simon Goulard, Hubert Languet, Buchanan et toute une légion de pamphlétaires anonymes s’attaquent au pouvoir monarchique, essayant de retrouver dans nos vieilles traditions nationales quelques traces de liberté, assimilant en quelque sorte à l’histoire républicaine de la Grèce et de Rome l’histoire des Germains, des Mérovingiens et des Carlovingiens, encourageant et prêchant l’insurrection à main armée, invoquant contre les tyrans l’exemple des vengeances célestes rapportées dans l’histoire des Hébreux ou dans les histoires grecque et romaine. Les membres de la famille royale sont outragés et invectives avec une rare brutalité, dans des pamphlets tels que la France Turquie et le Discours merveilleux de la vie, actions et déportements de Catherine de Médicis.
Ces circonstances extraordinaires, l’esprit de révolte et de sédition soufflant avec violence dans toute la France, suffisent à expliquer les nouvelles rigueurs édictées par la royauté contre la presse. Une ordonnance de Charles IX du 17 janvier 1661 s’exprime ainsi : « Voulons que tous imprimeurs, semeurs de placards et libelles diffamatoires soient punis pour la première fois du fouet, et pour la seconde de la vie. »
On étendit la censure et les prohibitions aux cartes et peintures, c’est-à-dire aux caricatures, plus redoutables peut-être qu’aujourd’hui, puisqu’elles mettaient des images séditieuses à la portée d’un peuple qui ne savait pas lire. On appliqua de même la censure aux Almanachs, aux livres de pronostications, de prophéties et d’astrologie judiciaire, qui perdaient alors leur innocence avec leur vieille naïveté[7].
Bientôt il ne fut même plus permis de posséder des livres défendus. En effet, l’ordonnance de Moulins de février 1566, après avoir déclaré les auteurs de tels libelles, les imprimeurs et vendeurs « infracteurs et perturbateurs du repos public, veut iceux estre punis des peines portées es édits : et enjoint à tous ceux qui ont tels livres de les brûler dedans trois mois sous les mêmes peines ».
On sait combien de pamphlets outrageants et graveleux furent publiés contre Henri III. sa cour et ses mignons. Le bonhomme L’Estoile nous édifierait, au besoin, sur la licence et les obscénités de la presse, qui reproduisant trop fidèlement l’image des mœurs de ce temps dissolu.
« Diverses poésies et écrits satiriques, dit notre chroniqueur parisien, furent publiés contre le roy et ses mignons, en ces trois années 1577, 1578, 1579 ; lesquels, pour estre la plupart d’eux impies et vilains, tout oultre, tant que le papier en rougist, n’estaient dignes avec leurs autheurs que du feu, en un autre siècle que cesluici, qui semble estre le dernier et l’esgoût de tous les précédents…… Dialogue surnommé la Frigarelle, aussi vilain que les autres, traietant des amours d’une grande dame avec une fille, divulgué en mesme temps à la cour où il estait commun, et n’en faisoit-on que rire non plus que des susdits pasquils, et sans recherche, à la grand honte et confusion de nos princes et magistrats de France, comme s’ils eussent adoré tacitement lesdits pasquils descrivans une Cour de Sodome et les affections vilaines et contre nature de nos courtizans et courtizanes telles que nous les lisons en Saint-Pol aux Romains. »
Les dessins et peintures satiriques affichés sur les murs de Paris, pendant les désordres de la Ligue, n’étaient pas moins indécents. En août 1590, dit en effet L’Estoile, « on trouva au logis de Marc Antoine, au faubourg Saint-Germain, une plaisante drollerie, mais vilaine, peinte contre une muraille : à sçavoir une femme nue monstrant sa nature, et un grand mulet auprès. Et il y avait au-dessous de la femme escrit : Madame de Montpensier, et au-dessous de l’âne : Monsieur le Légat. »
On assistait parfois à des actes de répression vraiment cruels. Ainsi le 22 novembre 1586, comme le rapporte L’Estoile, François Le Breton, avocat, fut pendu dans la cour du Palais, « comme séditieux et criminel de lèze-majesté, à raison d’un livre plein de propos injurieux contre le roy, le chancelier et le parlement. Gilles Ducarroy, imprimeur, et son correcteur, furent fustigés et bannis ». Mais, dès le lendemain, les pamphlets satiriques redoublaient d’audace, de violence et de fanatisme.
On a signalé bien souvent le curieux revirement qui se produisit dans les polémiques entre protestants et catholiques, le jour où Henri III, chassé de Paris et sentant son royaume lui échapper, chercha son salut dans l’application des doctrines de Machiavel, fit assassiner le duc et le cardinal de Guise et s’allia avec le roi de Navarre, le futur Henri IV. Dès lors, les écrivains protestants renoncent à leurs théories d’insurrection et d’émancipation, pour devenir les plus fermes appuis de la couronne de France. En même temps, par une volte-face en sens contraire, les catholiques ligueurs déclament en faveur de la souveraineté du peuple et vont jusqu’à justifier et exalter le régicide. L’assassinai de Henri III par Jacques Clément fut le résultat de ces coupables déclamations.
C’est un triste spectacle que celui de tant de principes généraux, de théories de droit public, répudiés ou prônés selon les chances des factions qui se disputent le pouvoir. Le sceptique Montaigne lui-même, témoin de ces variations et de ces apostasies, en était indigné : « Voyez, s’écriait-il, l’horrible impudence de quoy nous pelotons les raisons divines, et combien irréligieusement nous les avons rejetées et reprises, selon que la fortune nous a changés de place en ces orages publics. Ceste proposition si solennelle : si permis au sujet de se rebeller et armer contre son prince pour défense de la religion, souvienne vous en quelles bourbes ceste année passée l’affirmative d’icelle estait l’are-boutant d’un partv. la négative de quel autre party c’estait l’arcboutant : et oyez à présent dequel quartier vient la voix et instruction de l’une et de l’aultre, et si les armes bruyent moins pour ceste cause que pour celle-là[8]. »
On voit qu’en fait de contradictions et de palinodies politiques, il n’y a rien de nouveau sous le soleil.
Henri IV eut beau abjurer la religion protestante, les catholiques ne désarmèrent pas. Ils firent appel à la parole enflammée des prédicateurs comme aux libelles venimeux des pamphlétaires, pour continuer la lutte.
La plume érudite de Charles Labitte, dans son livre de la Démocratie chez les prédicateurs de la Ligue, nous a tracé le curieux tableau de l’éloquence fiévreuse, triviale, bouffonne et sanguinaire des prédicateurs de l’Église militante de cette étrange époque : Guillaume Rose. Guincestre, Pigenat, Genébrard, Panigarole et Commolet, ce Jésuite criard, déchaînant les tempêtes, se démenant et gesticulant dans la chaire comme un démon, en répétant d’une voix de fausset : « Il nous faut une Judith, il nous faut un Aod ! ».
Parmi eux se distinguait le curé Boucher, prédicateur violent, pamphlétaire plus violent encore, ce théoricien de la Ligne, dont les écrits présentent un assemblage incohérent de théocratie et de démocratie, l’utopie d’une sorte de république placée sous la souveraineté du Pape.
Boucher qui faisait de ces mots de la bible : Eripe nos de luto une traduction si bizarre : Seigneur, débourbonnez-nous !
Ces excitations odieuses, ces provocations fanatiques ne restèrent pas sans résultat sur certaines consciences catholiques faussées par de dangereux sophismes et surchauffées par les passions politiques du temps. Une véritable légion d’assassins furieux fut déchaînée contre le Béarnais, même après son entrée à Paris et sa réconciliation avec le Saint-Siège ! Après Barrière et Châtel, il suffit de citer l’avocat Jean Guédon, le chartreux Pierre Ouin, deux jacobins de Gand, Ridicoux et Argier, le capucin Langlois, etc. en attendant le fatal coup de couteau de Ravaillac qui donna la mort à Henri le Grand en 1610.
Chose singulière, et qui vient confirmer cette vérité banale que le plus souvent la presse, comme la lance d’Achille, guérit elle-même les maux qu’elle peut causer, la Ménippée, ce roi des pamphlets, cette satire nationale des Passerat, des Rapin, des Pithou, tua sous un feu roulant d’épigrammes, de couplets et de discours comiques tout ce qui pouvait survivre d’esprit ligueur en France, après les victoires d’Arqués et d’Ivry et la soumission de Mayenne.
Nous nous bornerons à signaler la nuée de satires pour ou contre les Jésuites, qui suivit l’assassinat de Henri IV. L’historien Poirson[9] a fait remarquer avec raison que ce sont précisément des théologiens jésuites, Becan, Emanuel Sa, Mariana, Suarez, qui ont développé les plus dangereux sophismes, « où éclatent, dit-il, les folies d’une théocratie subversive de toute loi divine et de toute loi morale, comme de tout ordre humain ». Le Parlement fit lacérer et brûler le livre de Mariana par la main du bourreau. Il condamna les doctrines ultramontaines des théologiens Jésuites. Ce fut comme le point de départ d’une polémique interminable entre les Jésuites et les royalistes gallicans. Pour donner une idée des libelles et des facturas de ce temps, il suffit de citer l’Anti-coton, le Fléau d’Arislogiton, la Chemise sanglante de Henri le Grand, le Jésuite Sicarius, le Contre-Assassin, le Remerciement des Beurrières, etc.[10].
Les Jésuites, pour leur défense, et aussi pour procurer eux-mêmes des livres à leurs écoliers, avaient recours à une imprimerie clandestine établie dans leur collège de Clermont à Paris, devenu plus tard le collège Louis-le-Grand. Une sentence du Chàtelet du 6 octobre 1614 leur « fit défense de tenir aucune presse, caractères et ustensiles de librairie, imprimerie et reliure, ni d’entreprendre à l’avenir sur l’art et fonctions desdils imprimeurs, libraires et relieurs de livres, à peine de confiscation et de trois mille livres
d’amende[11] ».Comme on le voit d’après tout ce qui vient d’être dit, jamais la législation n’a réprimé plus cruellement qu’au xvie siècle les écarts de la presse, puisqu’elle a été jusqu’à la peine de mort. Mais en réalité. jamais la rigueur des lois n’a été plus enfreinte ni plus adoucie dans l’exécution. Et cette remarque est vraie de toute législation sur la presse en général, sous l’ancien régime comme de nos jours. « Soit tolérance naturelle de la part de nos rois, dit Leber, soit que l’extrême rigueur des mesures répressives provoquées par un péril imminent ait été ensuite tempérée par l’effet d’une position moins critique ou par le danger d’une réparation plus à craindre que le délit lui-même, il est évident que les lois de la presse n’ont été exécutées que de loin en loin, et lorsqu’un coupable audacieux, un fanatique indomptable, un fou à lier, venait braver la justice jusque sous le glaive qui le menaçait. »
Il n’en fut pas autrement au xviie siècle. Nous voyons Louis XIII, par un édit de 1626, remettre en vigueur les prescriptions rigoureuses des ordonnances de Charles IX. Il semble que la peine de mort va être appliquée à tous les imprimeurs, libraires et distributeurs d’écrits « contre la religion et les affaires d’État ». On arrête, en 1627, un pamphlétaire du nom de Fancan, qui excitait à la sédition et cherchait de beaux prétextes à troubler le repos de l’État, s’il faut en croire les mémoires de Richelieu[12]. Néanmoins le terrible cardinal « supplie très humblement Sa Majesté, de se contenter d’arrêter le mal par l’emprisonnement » du coupable.
L’ordonnance de 1629 réglementa la censure des livres, en la aux docteurs de la Faculté de théologie l’examen des écrits concernant la religion. Les censeurs royaux devaient être nommés par le chancelier et choisis parmi les hommes de lettres et les savants. Ceux-ci délivraient leur attestation dans la forme suivante : « J’ai lu, par ordre de M. le chancelier, un manuscrit intitulé… Je n’y ai rien trouvé qui puisse en empêcher l’impression. » Puis le manuscrit était signé par l’examinateur au bas de chaque page, et a toutes les surcharges ou ratures qui pouvaient s’y trouver ; en outre, chaque feuille du premier exemplaire sortant de, dessous la presse était également signée de censeurs, pour que l’on fût assuré que l’imprimé était parfaitement conforme au manuscrit approuvé[13].
Que pensait alors l’opinion publique d’une telle législation ? Nous en avons un écho affaibli, mais assez exact, dans les procès-verbaux des États généraux de 1614. La vérité est que la liberté de la presse, même limitée, n’avait alors pas plus de partisans dans la représentation nationale que dans les conseils du roi. On hésitait seulement entre la censure de l’État et celle de l’Église.
Le Clergé demandait qu’il fût interdit, sous des peines sévères, d’écrire, d’imprimer ou de mettre en vente des libelles diffamatoires et que tout détenteur de pareils écrits fût tenu de les brûler ; qu’il ne fut rien imprimé sans une permission signée de l’auteur, avec l’approbation des docteurs et de l’autorité de l’Évêque diocésain. Le Tiers État, de son côté, pensait qu’aucun livre ne pouvait être mis en vente, s’il ne désignait le nom, le privilège de l’imprimeur, et le lieu de l’impression ; les infracteurs devaient être punis du fouet et d’une amende arbitraire pour la première fois, des galères et de la confiscation pour la seconde ; l’examen préalable de tous les livres devait être confié aux délégués des évêques et des baillis[14].
Les ministres de Louis XIII, on le voit, étaient d’accord avec l’opinion des trois ordres, lorsqu’ils s’efforçaient d’entraver la liberté de la presse.
La période de l’ancien régime la plus fertile en satires, en libellée, en diatribes, où le burlesque le dispute à la licence obscène et au cynisme effronté, c’est assurément la période de la Fronde de 1648 à 1651 Un contemporain, Vaudé, en parle comme d’essaims de mouches et de frelons qu’auraient engendrés les plus fortes chaleurs de l’été. On les criait le matin sortant de la presse, comme les petits pâtés sortant du four. On ne connaît aucune collection assez complète, assez vaste de ces Mazarinades, pour permettre d’en évaluer le chiffre total ; mais ce ne serait pas L’exagérer que de le porter a sept ou huit mille. Mazarin lui-même faisait, dit-on, ou faisait faire des pamphlets de ce genre, répandus par son ordre, pour exciter des émeutes qu’il exploitait ensuite à son profit[15].
Sous le règne de Louis XIV, les pamphlets et les libelles, en forme de Gazettes à la main, reproduisent les intrigues amoureuses de la cour et de la ville et les mille anecdotes scandaleuses du temps, satires violentes, pleines de passion et de fiel, viennent de l’étranger et en particulier de la Hollande, après que Louis XIV a porté ses armes dans ce pays et que les protestants de France ont été obligés d’y chercher un refuge à la suite de la révocation de l’Édit de Nantes.
À ces dangers nouveaux, le pouvoir opposa de nouvelles barrières. On prit les plus grandes précautions pour surveiller la circulation des livres : les conducteurs de coches, les messagers et voituriers par terre et par eau ne purent délivrer aucuns ballots ou paquets de livres sans avoir un billet du syndic des libraires ou de l’un de ses adjoints. Quant aux livres venant des pays étrangers, ils n’entrèrent en France que par les villes de Paris, Rouen, Nantes, Bordeaux, Marseille, Lyon, Strasbourg, Metz, Reims, Amiens, Lille et Calais. Les livres venant de Suisse, de Genève ou d’Italie, et destinés à Paris, entrèrent par le bureau des fermes, établi sur la frontière de Franche-Comté[16].
Les libelles se succèdent cependant comme les accès d'une fièvre intermittente. « Ce sont des critiques amères contre le Gouvernement Louis XIV, dit Leber, des satires personnelles d’une brutalité révoltante, des fictions diffamatoires contre les hommes d’État et Lee du mi : des pamphlets plus attrayants, plus spirituels, mais non moins perfides et mordants ; les farces dialoguées où les personnes du rang le plus à la risée du peuple. »
Les auteurs de pareils pamphlets ne restèrent pas tous impunis. Pour en citer un seul, Chavigny fut enfermé au Mont-Saint-Michel et passa trente années dans une cage de fer : il avait publié en 1669 un dialogue intitulé le Cochon mitré, dirigé contre Le Tellier, archevêque de Reims et frère de Louvois.
Pour détruire les derniers vestiges de l’esprit de la Fronde, Colbert n’avait point hésité à faire condamner à mort les auteurs et les éditeurs de libelles injurieux pour le roi. En 1694, deux hommes furent exécutés pour complicité dans un pamphlet où se trouvait une planche représentant la statue de la place des Victoires entourée de quatre femmes, La Vallière, Fontanges, Montespan et Maintenon, tenant le roi enchaîné. Deux autres subirent le même supplice pour le même motif.
Avec le temps, les peines s’adoucirent : en 1705, le commerce des livres dirigés contre le roi, la religion, Mme de Maintenon et autres personnages de considération, n’est puni que de la Bastille[17].
Au xviiie siècle, de nouvelles ordonnances sur la librairie remettent en vigueur les prescriptions des anciens édits et ne réussissent pas mieux à réprimer les délits de la presse.
Une déclaration du roi du 10 mai 1728 rappelle les principaux édits, ordonnances, déclarations et règlements des règnes précédents concernant l’imprimerie et la librairie.
L’article 2 porte la peine du carcan et des galères contre tout imprimeur qui imprimera des ouvrages sans privilège ni permission. L’article 10 prononce les mêmes peines contre les colporteurs, qui distribuent de mauvais livres. L’article 12 interdit à toute personne, de quelque état et condition qu’elle soit, d’avoir une presse particulière chez soi, à peine de trois mille livres d’amende.
Un arrêt du conseil du 24 mars 1744 ordonne que le règlement du 28 février 1723 sur l’imprimerie et la librairie, fait d’abord pour la ville de Paris, soit étendu à toutes les villes du royaume. Ce travail, rédigé avec un soin particulier par le Chancelier d’Aguesseau, comprenait 123 articles. Il resta en vigueur jusqu’en 1789, date à laquelle
fut proclamée la liberté entière des professions[18].Il ne faut pas croire cependant que, sous l’ancien régime, le sort de la librairie ait jamais été réglé avec une telle simplicité. Six arrêts du conseil du 30 août 1777 réduisirent la durée des privilèges, imposèrent divers impôts. D’ailleurs les Parlements, qui empiétaient souvent sur le pouvoir législatif, publièrent de nombreux règlements sur le fait de la librairie. De telle sorte que la législation de cette époque n’offre, en définitive, qu’un pêle-mèle inextricable de dispositions arbitraires offrant la plus grande latitude aux caprices du despotisme.
C’est ce qui explique comment les philosophes du xviiie siècle siècle eurent tant de peine à faire paraître l’Encyclopédie, même avec la complicité de M. de Malesherbes, alors directeur de la librairie[19]. Comme il y avait des accommodements avec le pouvoir, les ouvrages suspects passaient la frontière en manuscrits, étaient imprimés Genève, à Londres ou à Amsterdam et revenaient ensuite en France à l’aide d’une propagande la plupart du temps ouverte et tolérée. Tel fut le cas du Dictionnaire de Bayle, de l’Esprit des lois imprimé à Genève, et des œuvres les plus remarquables de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau.
Parfois cependant, sur certaines plaintes, on faisait un exemple. Ainsi, à la veille de la révolution, en 1789, le Parlement condamna au feu un ouvrage de l’abbé Raynal sur les Etablissements et le commerce des Européens dans les deux Indes, ouvrage dénoncé au roi par la dernière assemblée du clergé.
L’abbé Raynal avait osé attaquer la religion catholique et déifier la raison. « La philosophie, disait-il, doit tenir lieu de divinité sur la terre ; c’est elle qui lie, éclaire, aide et soulage les humains. » Suivant lui, la philosophie était seule digne de diriger la politique et de devenir l’inspiratrice des lois. « Tout écrivain de génie est magistrat né de sa patrie ; son tribunal, c’est la nation entière, le public son juge, non le despote qui ne l’entend pas ou le ministre qui ne veut pas l’écouter, c’est aux sages de la terre qu’il appartient de faire des lois, et tous les peuples doivent s’empresser de les adopter. » Ce n’est pas tout ; l’écrivain rappelait une ancienne coutume de l’île de Ceylan qui assujettissait le souverain à l’observation de la loi, et qui le condamnait à la mort s’il osait la violer. Il ajoutait avec une hardiesse peu commune : « Si les peuples connaissaient leurs prérogatives, cet ancien usage subsisterait dans toutes les contrées de la terre. »
Une telle audace ne pouvait rester impunie. L’auteur fut décrété de prise de corps ; mais on lui laissa le temps de s’évader, et il se réfugia auprès du roi de Prusse[20].
La censure fut perfectionnée au xviiie siècle. Jusque-là, les examinateurs laïques étaient choisis isolément et pour l’examen d’un seul ouvrage. Dès 1741, on nomma des censeurs royaux en certain nombre, pour chacune des parties des connaissances humaines, et avec un titre permanent. Lottin de Saint-Germain, dans son Catalogue chronologique des libraires de Paris en 1789, donne une liste des censeurs royaux de l’époque : il y en avait dix pour la théologie, dix pour la jurisprudence, dix pour la médecine, histoire naturelle et chimie, huit pour les mathématiques, trente-cinq pour les belles-lettres, un pour la géographie, la navigation et les voyages, un pour la peinture, gravure et sculpture, etc.[21].
Outre la censure préalable des censeurs royaux, les auteurs pouvaient bomber sous la censure de la Congrégation de L’Index, qui siégeait à Rome et qui était représentée à Paris par le Nonce.
Si ces deux censures, ou plutôt ces deux barrières, étaient heureusement franchies, les écrivains étaient encore exposés à voir leurs ouvrages supprimés ou brûlés par arrêts des Parlements, du Conseil du roi ou du Châtelet.
M. Félix Rocquain, à la fin de son livre sur l’Esprit révolutionnaire avant la Révolution, a dressé le très curieux tableau des livres réprouvés de 1715 à 1789. L’analyse attentive de cette longue liste confirme les observations de M. Rocquain. Les écrits condamnés de 1715 à 1743 se rapportent tous, sauf de rares exceptions, aux querelles soulevées par la bulle Unigenitus. De 1743 à 1752, un voit, à coté de brochures relatives à cette bulle, les premières productions de la philosophie, et en particulier le Dictionnaire de l’Encyclopédie. De 1752 à 1757, les ouvrages poursuivis ont trait presque uniquement aux refus de sacrements. De 1757 à 1774 dominent les brochures concernant les Jésuites, les livres de philosophie, les pamphlets contre le Chancelier Maupeou. A partir de 1774 (mort de Louis XV) jusqu’en 1789, on trouve, avec quelques écrits philosophiques, des brochures relatives aux réformes tentées par Louis XVI et Turgot, et enfin un certain nombre de publications se rapportant aux Etats Généraux.
Le Parlement de Paris laissait au lieutenant de police et au Châtelet le soin de supprimer les ouvrages obscènes, les feuilles volantes, de réprimer les contraventions ordinaires aux règlements de la librairie, les affichages illicites, les placards séditieux, etc. Il se réservait seulement d’exercer sa censure contre les écrits qui attiraient l’attention publique par le mérite littéraire de leurs ailleurs ou par l’active propagande dont ils étaient l’objet.
Le jugement de condamnation ordonnait d’apporter au greffe de la Cour tous les exemplaires de l’ouvrage : en attendant, les volumes saisis étaient lacérés et brûlés au pied du grand escalier du Palais de Justice. Cette procédure d’autodafé tomba dans te ridicule, le jour ou le public voulut lire l’ouvrage proscrit avant de le juger et de le condamner à son tour. Aussi le Parlement eut-il recours le plus souvent à la suppression de l’ouvrage c’est-à-dire à l’interdiction de le vendre et de le distribuer ou colporter.
M Monin, dans son livre plein d’intérêt sur l’État de Paris en 1789[22], rapporte, d’après les documents originaux conservés aux Archives nationales el à la Bibliothèque nationale, divers arrêts du Parlement de Paris de 1775 à 1789 portant condamnation on suppression de 65 écrits déclarés dangereux.
Nous signalerons parmi ces écrits : la Diatribe de Voltaire, destinée à défendre les lois économiques de Turgot, la libre circulation et le libre achat des blés ; les Inconvénients des droits féodaux, avec cette épigraphe : Hinc mali labes, brochure de Boncerf inspirée par Turgot et publiée sous le pseudonyme significatif de Francaleu (franc alleu) ; le Mémoire justificatif pour trois hommes condamnés à la roue, pamphlet célèbre dirigé par Dupaty, président au Parlement de Bordeaux, contre la législation criminelle de l’ancien régime, la procédure secrète, l’interrogatoire secret, le jugement sans contradiction et sans l’assistance d’un défenseur, etc., etc.
Et cependant, par un de ces revirements inexplicables qui ressemble à une cruelle ironie, le Parlement de Paris, à la veille de la réunion des États Généraux, dans un arrêté fameux du 5 décembre 1788, réclame lui-même « la liberté légitime de la Presse, seule ressource prompte et certaine des gens de bien contre la licence des méchants, sauf à répondre des écrits répréhensibles après l’impression, suivant l’exigence des cas ». L’opinion publique jugea sévèrement cette volte-face incroyable, qu’elle qualifia de palinodie honteuse. Il y avait là toutefois comme un signe des temps, un aveu d’impuissance et une sorte d’abdication en faveur des idées nouvelles.
Nous n’avons guère parlé jusqu’ici que des livres, brochures, libelles et gravures. Il nous faut maintenant revenir un peu sur nos pas, pour dire brièvement l’origine du journal et ses développements en France, avant 1789.
Le fondateur du journalisme français fut un jeune médecin originaire de Loudun, Théophraste Renaudot[23]. Le premier numéro de sa fameuse Gazette parut le 1er mai 1631. Richelieu n’hésita pas à donner l’autorisation nécessaire, comprenant tout l’intérêt qu’il y avait à tenir à sa discrétion une feuille qui raconterait les événements sous sa dictée et dans le sens qui agréerait. Il attacha à la rédaction de cette feuille Mézerai, Bautru, Voiture et La Calprenède. « C’était un quatuor qui avait son prix, dit M. Gidel[24]. Le premier de ces hommes y représentait le savoir et la franchise, Bautru la verve plaisante, Voiture le bel esprit délicat, et La Calprenède la rodomontade gasconne, qui n’était peut-être pas déplacée dans cette presse officielle. »
Une feuille périodique paraissant une fois par semaine, de quatre pages d’abord, bientôt de huit, cela peut faire sourire aujourd’hui : maison était alors au début du journalisme, et Théophraste Renaudot, qui en est le père, peut se vanter d’avoir créé une nombreuse famille. La Gazette paraissait rue de la Calandre, à l’enseigne du Grand-Coq. L’emblème, a-t-on dit, était bien choisi : cet oiseau querelleur, pétulant, avec ses ergots, sa crête ardente, sa fière démarche, sa voix perçante, peignait à merveille à l’avance toutes ces générations d’écrivains qui devaient, les unes après les autres, s’exercer dans l’arène ouverte aux hasards et aux hardiesses de la pensée.
Renaudot eut à soutenir bien des luttes contre des adversaires qui ne le ménagèrent nullement, notamment contre son confrère Gui Patin, le docteur le plus ironique, le plus passionné, le mieux instruit, le mieux disant de toute l’ancienne médecine.
Renaudot avait, soit par accident, soit par nature, le nez un peu trop court : il était camus et tout ce qui s’ensuit. Gui Patin s’en égaya de toutes les manières : il alla puiser dans son érudition et jusque dans saint Jérôme des insolences sur ce pauvre nez plus ou moins burlesque, et qui rappelle celui de Cyrano de Bergerac. Renaudot se disant offensé introduisit une plainte contre Gui Patin et demanda des dommages-intérêts, qui lui furent refusés. Au sortir de l’audience, Gui Patin lui dit : « Eh bien ! vous avez gagné, tout en perdant. Vous étiez entré ici avec le nez trop court, vous en sortez avec un pied de nez. »
Théophraste RENAUDOT
Fondateur du Journalisme (1580-1653).
La statue érigée à Théophraste RENAUDOT, rue de Lutèce, à Paris,
a été inaugurée, le 4 juin 1893, sous la présidence de M. Charles Dupuy, président du Conseil des ministres.
Le Comité constitué pour l’élévation de la statue avait pour président : M. Jules Claretie et pour secrétaire général : M. le docteur Gilles de la Tourette. Dans ses assauts contre Renaudot, Gui Patin l’appelait gazetier, ce qui était déjà une très grave injure, vaurien hebdomadaire, polisson à la semaine, et même suppôt du diable, sous prétexte que Renaudot était né à Loudun, ville bien connue par les diableries qui la troublèrent à l’occasion du curé Urbain Grandier[25].
Hatin, dans son Histoire politique et littéraire de la presse et Gilles de la Tourette, dans un travail plus récent, ont donné les détails les plus précis sur la vie et les aventures de ce premier ancêtre bien reconnu des journalistes modernes[26].
Rien de plus singulier que l’existence aventureuse de ce médecin philanthrope, qui, tout en distribuant des consultations charitables et des remèdes gratuits à une clientèle de déshérités, créa la publicité commerciale par son bureau d’adresses, fonda en France les Monts-de-Piété et mourut « gueux comme un peintre ». suivant l’expression d’un de ses contemporains.
Certains détracteurs de la gloire de Renaudot ont prétendu que cet homme de bien ne soupçonnait nullement la haute portée de créations, qu’il faisait du journalisme un passe-temps agréable et rien de plus, qu’il aurait été bien surpris et émerveillé si quelqu’un avait pu lui révéler de son vivant la valeur de l’arme qu’il avait forgée.
Pour faire la lumière sur ce point, il suffit de relire ce qu’écrivait le père du journalisme français en janvier 1633 : « Les suffrages de la voix publique m’espargnent désormais de répondre aux objections auxquelles l’introduction que j’ay faite en France des Gazettes donnoit lieu lorsqu’elle estoit encore nouvelle. Car maintenant la chose en est venue à ce point, qu’au lieu de satisfaire à ceux à qui l’expérience n’en auroit peu faire avouer l’utilité, on ne les menaceroit rien moins que « les Petites-Maisons. »
Y a-t-il rien de plus curieux et de plus prophétique que son intuition surprenante de la puissance du journalisme ? « Seulement, écrivait-il, feray-je en ce lieu deux prières, l’une aux princes et aux Estats estrangers, de ne perdre point inutilement le temps à vouloir fermer le passage à mes Nouvelles, veu que c’est une marchandise dont le commerce ne s’est jamais peu deffendre et qui tient cela de la nature des torrents qu’il se grossit par la résistance. »
Le roi Louis XIII lui-même se piqua au jeu, il inspira souvent la Gazette de Renaudot et quelquefois lui fournit de la copie. Cette collaboration royale était doublement profitable à Renaudot, qui avait ainsi des nouvelles de première main et recevait en outre une pension de cinq cents écus.
Suivant le jésuite Griffet, dans son Histoire de Louis XIII, les preuves matérielles de la collaboration du roi à la Gazette se trouvaient « dans deux volumes des manuscrits de Béthune qui sont à la bibliothèque du roi et qui ne contiennent que les minutes de différents articles écrits de la propre main de Louis XIII, avec une quantité de ratures et de corrections qui sont toutes de la même main ». Le très consciencieux historiographe de la presse française, Hatin, a recherché ces précieux volumes à la Bibliothèque Nationale, mais en vain.
Un collaborateur du journal le Temps a été plus heureux que Hatin. Il a retrouvé dans le fonds français et sous le no 3840 un des volumes manuscrits, que l’on croyait perdus. Le catalogue lui donne le titre suivant : Mémoires en forme de journaux, écrits de la main du roi Louis XIII, concernant les opérations militaires en Lorraine, en Picardie et en Languedoc, de 1633 à 1642.
Philippe de Béthune, frère de Sully, premier possesseur de ce précieux manuscrit, le décrit ainsi, sur une feuille prise dans la reliure du volume : « Relations particulières fort curieuses écrites de la main du roi Louis XIII qu’il faisait de temps a autre et qui m’ont été données par M. Lucas, secrétaire de son cabinet, avec beaucoup d’autres papiers et lettres bien curieux aussi, après la mort dudit roi, qui étaient dans la cassette que Sa Majesté faisait toujours porter avec lui. »
La comparaison des minutes des articles avec les numéros de la Gazette, où ils ont été insérés, est tout à fait intéressante. Elle prouve que Renaudot n’imprimait pas toujours la copie de son royal correspondant telle qu’elle lui était envoyée. S’il n’apportait pas de corrections, au moins y pratiquait-il souvent « les coupures ; il utilisait, au mieux des besoins et des intérêts de sa feuille, les lettres que le roi lui écrivait du camp avec toute la promptitude désirable, car elles sont généralement datées du soir même des opérations : mais il ne se croyait pas obligé d’accepter tout ce que lui adressait son reporter militaire. Certaines pages du manuscrit sont même absentes de la Gazette.
Le second volume, qui n’a pas encore été retrouvé, doit contenir les articles politiques du roi, ceux qu’il écrivait en secret au Louvre, en collaboration quelquefois avec Richelieu et qu’il faisait porter en cachette à Renaudot.
Quand ce volume sera retrouvé, il fournira le sujet d’un piquant chapitre sur les débuts de la presse française et sur le parti que surent tirer Louis XIII et Richelieu de la « nouveauté » introduite par Théophraste Renaudot[27].
Il faut le reconnaître, c’était une entreprise bien difficile que de publier une gazette, dans ces temps reculés, où les moyens de communication étaient si rudimentaires. Renaudot le comprit et il sollicita la bienveillance de ses lecteurs contemporains. « Si la crainte de déplaire à leur siècle, dit-il, a empêché les bons auteurs de toucher à l’histoire de leur âge, quelle doit être la difficulté d’écrire celle de ta semaine, voire du jour même où elle est publiée ! Joignez-y la brièveté du temps que l’impatience de votre humeur me donne, et je suis bien trompé si les plus rudes censeurs ne trouvent digne de quelque excuse un ouvrage qui se doit faire en quatre heures de jour, que la venue des courriers me laisse, toutes les semaines, pour assembler, ajuster et imprimer ces lignes. En une seule chose ne cèderai-je à personne, en la recherche de la vérité, de laquelle néanmoins je ne me fais pas garant, étant malaisé qu’entre cinq cents nouvelles écrites à la hâte, d’un climat à l’autre, il n’en échappe quelqu’une à nos correspondants qui mérite d’être corrigée par son père le temps[28]. »
« La Gazette, dit M. Gidel, traversa les orages de la Fronde sans succomber. Elle suivit et partagea les mauvais jours du roi, pour partager plus tard son triomphe. Installée dans l’orangerie du château de Saint-Germain, la Gazette ne pénétrait pas toujours dans Paris, et l’on y éprouvait plus d’une fois le regret de son absence. Théophraste Renaudot était un fort habile homme. Il comprit qu’il ne fallait pas laisser Paris sans journal. En effet, le journal était déjà devenu un besoin impérieux :. « Les curieux, est-il dit dans un ouvrage du temps, cherchaient partout la Gazette. Il semble disaient-ils, que tout soit mort depuis que la Gazette ne va plus ; l’on vit comme des bêtes sans savoir rien de ce qui se passe ; ainsi, sans quelques rogatons dont les colporteurs, en vidant leurs pochettes, remplissaient ces chambres vides de cervelles, ils prenaient le grand chemin des Petites-Maisons. D’autres, pour suppléer à ce défaut, forgeaient eux-mêmes des nouvelles pleines d’imaginations, bourrées de coq-à-l’âne, en faisant accroire aux simples et donnant à rire aux sérieux. » L’occasion était opportune, le père de la Gazette ne la laissa pas échapper. Il avait deux fils, il en fit des journalistes et fonda pour eux le Courrier français. C’était un journal voué eu apparence à la cause du Parlement. Renaudot avait fait la un véritable coup de maître. En continuant de tenir lui-même pour la cour, il mettait ses enfants dans le camp opposé, sur ainsi d’avoir toujours un refuge, au cas où la cause royale viendrait à succomber. Les fils de Renaudot, fort instruits, dit un contemporain, de toutes les manigances qu’il fallait pratiquer, eurent un succès prodigieux. On se jetait sur le Courrier français. « Le pain ne se vendait pas mieux, dit-on, l’on y courait comme au feu : l’on s’assommait pour en avoir, les colporteurs donnaient des arrhes la veille, afin qu’ils en eussent des premiers : on n’entendait, le vendredi, crier autre chose que le Courrier français, et cela rompait le cou à toutes les autres productions de l’esprit. » Le Courrier se vendait un sou. On en fit des parodies en vers.
« Cet usage d’écrire en vers des chroniques et des nouvelles survécut à la Fronde.
« Au XVIIe siècle, quelques grandes familles avaient des nouvellistes à leurs gages. C’était une sorte de luxe. Un des plus célèbres fut Loret, dont la Muse historique, qui va de 1651 à 1659, offre un tableau exact et intéressant, des faits les plus petits, comme des plus importants, de la société parisienne à cette époque.
« Loret était né à Carentau, en Normandie. Il n’avait pas reçu grande instruction et ne pouvait guère que rimer en vers assez mauvais les nouvelles du jour. Mlle de Longneville, plus tard duchesse de Nemours, le prit à son service, et Loret s’engagea à lui fournir tous les dimanches une lettre en vers sur les événements de la semaine. D’abord, ce n’était que pour un petit nombre de personnes de la confidence de Mlle de Longueville que ces lettres étaient écrites : mais bientôt la curiosité s’en empara, on en fit des copies, on en trafiqua, et ces vers, fort applaudis, devinrent le passe-temps de la belle société. « Le roi, la reine, les princes et les princesses, dit Loret, les grands seigneurs et les dames de notre cour, les hommes mêmes de Longue robe et de profession sérieuse et studieuse quittent leurs autres emplois, afin de se récréer à celui-ci. »
« Loret mêlait ensemble la variété, la licence et l’utilité ! Sa lettre arrivait chaque dimanche à point nommé. Il ne prenait de repos que la semaine sainte. Il rendait compte des régals, des fêtes, des naissances, des morts, des mariages, des aventures scandaleuses, des sermons, des arrivées, des départs.
« La manière dont il terminait chacune de ses lettres était aussi plaisante que négligée.
Fait en avril, le vingt-huit,
Avant que mon souper fût cuit.
— Fait le cinquième jour de may,
D’un style qui n’est pas trop gai.
— Fait du jour de saint Laurent la veille.
En mangeant des œufs à l’oseille.
« Ce badinage en vers amusait le public de cette époque, qui était moins difficile que celui de nos jours.
Lorel recevait pour cette agréable besogne 250 livres de Mlle de Longueville. Plus tard, Fouquel porta le gazetier pour 200 écus dans
la liste des gens qu’il pensionnait. Mazarin lui servit une rente[29]. »
A la suite de la presse politique, que représente la Gazette, vient la presse littéraire et scientifique. Le premier numéro du Journal des savants parut le5 janvier 1663 : cette création fut l’œuvre d’un conseiller au Parlement de Paris, Denis de Salles.
Le journal rendait compte des ouvrages publiés. Il indiquait le nom du libraire où se vendait un livre, son prix, son format. Il en donnait l’analyse et la critique.
La petite presse suivit de très près, avec le Mercure galant, le prototype des petits journaux. Le Mercure, comme le dit Eugène Hatin[30]. « était originairement rédigé sous la forme d’une lettre dans laquelle venaient s’enchàsser les nouvelles politiques et littéraires, les petits faits, les historiettes, les poésies, toutes les matières, en un mot, qui sont le butin des chroniques, courriers, feuilletons de théâtre et revues d’aujourd’hui ».
Le Mercure galant fut fondé en 1672 par Donneau de Visé. Ce terme de Mercure était depuis longtemps synonyme de recueil de nouvelles. Visé le rajeunit en y ajoutant l’épiphète de galant. A l’exemple de cet ancêtre un peu oublié, bien des journaux de nos jours mêlent agréablement les nouvelles de la politique et de la littérature. « Je vous écrirai, disait Visé, tous les huit jours une fois et vous ferai un long et curieux détail de tout ce que j’aurai appris pendant la semaine ; je vous demanderai des choses que les gazettes ne vous apprendraient point, ou du moins qu’elles ne vous feraient pas savoir avec tant de particularités ; les moindres choses qui s’échappent ici n’échapperont point à ma plume. Vous saurez les mariages et les morts de conséquence, avec des circonstances qui pourront quelquefois vous donner des plaisirs que ces suites de nouvelles n’ont pas d’elles-mêmes. Je vous enverrai toutes les pièces galantes qui auront de la réputation comme sonnets, madrigaux et autres ouvrages semblables. Je vous demanderai le jugement qu’on fera de toutes les comédies nouvelles et de tous les livres de galanterie qui s’imprimeront. J’espère vous écrire souvent quelques aventures nouvelles en forme d’histoire. Vous croyez bien que les coquettes de Paris me fourniront assez, de quoi écrire sur ce sujet. »
Avec un tel programme le Mercure galant devait obtenir un grand succès ; et il ne tarda pas en effet à devenir tout à fait à la mode. Mais le mauvais goût s’y glissa bien vite, grâce à la fadeur des sonnets et des madrigaux, à la frivolité des aventures galantes. Ses critiques littéraires ne furent pas heureuses, puisqu’elles furent dirigées trop souvent contre Racine et Molière. C’est ainsi que le Mercure prit la défense de Trissotin, si méchamment mis à mal par notre grand écrivain comique, dans les Femmes savantes.
« Jamais, dans une seule année, disait notre recueil, on ne vit tant de belles pièces de théâtre, et le fameux Molière vient de faire représenter, au Palais-Royal, les Femmes savantes, pièce de sa façon qui est tout à fait achevée. Bien des gens font des applications de cette comédie. Un homme de lettres est, dit-on, représenté par M. Trissotin ; mais M. Molière s’est suffisamment justifié de cela par une harangue qu’il a faite au public deux jours après la première représentation de sa pièce. D’ailleurs ce prétendu original de cette agréable comédie ne doit pas s’en mettre en peine ; s’il est aussi sage et aussi habile homme que l’on dit, cela ne servira qu’à faire éclater davantage son mérite, en faisant naître l’envie de le connaître, de lire ses écrits et « l’aller à ses sermons. »
Dans la célèbre querelle des anciens et des modernes, le Mercure prit parti pour Perrault. Boileau s’en vengea par cet épigramme bien connu, où il suppose que tous les dieux de l’Olympe menacent Perrault de leurs regards plus ou moins foudroyants. Il ajoute :
Comment soutiendrez-vous un choc aussi violent ?
Que vous avez pour vous le Mercure ;
Mais c’est le Mercure galant.
Des privilèges accordés à la Gazette, au Journal des savants et au Mercure galant, assurèrent d’abord au premier le monopole de la presse politique et commerciale, au second le monopole de la presse littéraire et scientifique et au troisième le monopole de la petite presse.
Mais la concurrence ne tarda pas à tourner cette barrière fragile. Ce fut le Journal des Savants qui capitula tout d’abord. Moyennant un tribut annuel de quelques centaines de francs payé à ce doyen des recueils littéraires, le premier venu ou à peu près obtint la permission d’avoir son petit journal. La publicité périodique fut étendue nécessairement aux branches spéciales de la science, jurisprudence, médecine, morale et philosophie.
Au XVIIIe siècle, on imagina d’imposer aux nouvelles feuilles un chiffre plus ou moins élevé de pensions à servir à des gens de lettres ou à tous autres. L’Année littéraire de Fréron en fut grevée pour cinq mille livres. Le Mercure, en 1762, en servait pour vingt-huit mille livres. En 1791, Panckouke, pour publier en même temps le Mercure, la Gazette et le Journal politique, devait payer diverses pensions s’élevant chaque année à plus de cent vingt mille livres.
Notons que ce fut en 1777 seulement que parut le premier journal quotidien sous le titre de Journal de Paris, ou Poste du Soir.
Avons-nous besoin d’ajouter qu’il ne pouvait être question pour des journaux, dont nous parlons, et pour tous ceux qui virent le jour avant la Révolution, de la liberté de la presse, telle que nous la comprenons ?
Ce n’est pas que cette liberté ne fut déjà ardemment sollicitée ! Caron de Beaumarchais, dans son Mariage de Figaro, que Napoléon Ier appelai ! le premier coup de canon de la Révolution française, la réclame ainsi en toutes lettres :
« …… On me dit qu’il s’est établi un système de liberté sur la vente des productions, qui s’étend même à celles de la presse : et que, pourvu que je ne parle en mes écrits, ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sans l’inspection de deux ou trois censeurs. Pour profiter de cette douce liberté, j’annonce un écrit périodique, et croyant n’aller sur les brisées d’aucun autre, je le nomme Journal inutile. Pou-ou ! je vois s’élever contre moi mille pauvres diables à la feuille ; on me supprime ; et me voilà derechef sans emploi[31]. »
J. [illisible] de Delpech. | |
(1743-1794)
Toutes les feuilles qui circulaient dans Paris avant 1789 et qui avaient un caractère politique, le Journal de Genève, le Journal de Bruxelles et les Annales politiques, civiles et littéraires du célèbre Linguet, étaient soumises au visa de la censure.
Quant aux organes qui, comme la Correspondance littéraire et secrète ou le Courrier de l’Europe, voulaient s’affranchir de toute tutelle, leur circulation était le plus souvent entravée soit par les suppôts du ministère, soit par ceux du lieutenant de police.
Il y avait bien aussi des feuilles clandestines, que l’on colportait sous le manteau, de la main à la main. Les Nouvelles ecclésiastiques, écrites et propagées par les Jansénistes contre les Jésuites, ont eu un grand retentissement au XVIIIe siècle. Les poursuites de tout genre furent impuissantes contre les Nouvelles. En dépit des saisies, des brûlures, de la police et de la Bastille, l’opiniâtre feuille reparaissait, suivant le mot de Hatin, toujours plus vive, plus provocante et et plus audacieuse. Mais les Nouvelles n’entretenaient leurs lecteurs que de querelles religieuses, dont l’intérêt était des plus minces pour l’ensemble de la nation, quoiqu’elles fussent écrites d’un style acrimonieux et envenimé, qui fait songer au fameux vers de Boileau :
Comme on le voit d’après ce rapide résumé, l’influence des journaux était trop faible encore, avant 1789, pour faire pénétrer dans toutes les couches sociales de la France les idées et les principes de progrès et de liberté dont le germe fut déposé par les grands écrivains du xviu e siècle : Voltaire, Rousseau, Montesquieu, D’Alembert, Diderot, Beaumarchais, Raynal, Mably, Condillac, Chamfort, Condorcet, etc.
Dès l’année 1776, Condorcet publie des Fragments sur la liberté de la presse du plus haut intérêt[32]. On peut se faire une idée assez exacte de l’importance et de la hardiesse de l’ouvrage de Condorcet par le seul résumé des questions que le philosophe pose à ses lecteurs et des réponses qu’il y fait : Dans quoi cas un écrit peut-il passer pour crime ou délit public ? S’il est simplement l’expression d’une opinion, n’est-il pas inique et imprudent de le frapper ? La persécution n’accroit-elle pas la célébrité d’un écrivain ? Les gens en place ignorent-ils qu’en s’irritant contre qui les attaque, ils découvrent leur petitesse d’esprit et leur lâcheté ?
C’est en 1790 que Caritat de Condorcet aborda le journalisme par la fondation d’une revue politique intitulée : la Bibliothèque de l’homme public. « La fuite du roi Louis XVI (20 juin 1791) ayant déterminé dans la presse une véritable explosion, les moins violents des journaux patriotes demandaient la déchéance : les plus ardents voulaient la République. On pensa à fonder un journal tout spécial pour seconder et diriger le mouvement. Là fut l’origine du Républicain ou le Défenseur du gouvernement représentatif, qui prit naissance chez Pétion, au dire de Mme Roland en ses Mémoires, et qui eut pour pères : Condorcet, Achille Duchâtelet et Thomas Paine[33]. »
Sans doute les livres de ces grands écrivains ne purent pénétrer directement jusqu’aux couches inférieures du Tiers État, on l’a fait observer fort justement. Mais ils y arrivèrent peu à peu, indirectement. Ils descendirent d’abord jusqu’aux hommes de condition moyenne, qui vivent en rapports journaliers avec le peuple, qui ont assez de loisirs pour se livrer à des lectures sérieuses, assez d’instruction pour les comprendre et assez de bon sens pour les traduire, en langage plus simple, aux populations qui les entourent. Une fois gagnés à la Révolution, ces citoyens modestes se chargèrent de répandre les enseignements contenus dans les livres et les brochures des philosophes du siècle jusque dans les derniers rangs de la petite bourgeoisie et du peuple[34].
C’est ainsi que, malgré l’absence d’une presse indépendante, malgré la nécessité des autorisations et des privilèges pour imprimer un volume, il se répandit partout, d’un bout de la France à l’autre, de livres, des brochures, des nouvelles à la main, des pamphlets, des plaquettes, que recherchent aujourd’hui les bibliophiles, où les souverains n’étaient pas plus ménagés que les nobles et les prêtres. Londres, La Haye, Amsterdam, Genève et les presses clandestines de certaines villes de France furent les foyers, où s’alluma
le vaste incendie qui devait consumer l’ancien régime. CHAPITRE II
LA LIBERTÉ DE LA PRESSE ET LES CAHIERS DES ÉTATS GÉNÉRAUX
Instrument inconscient du mouvement qui devait emporter sa tête avec sa couronne, le roi Louis XVI, à la veille de la convocation des Etats Généraux, fit publier le fameux arrêt du Conseil du 5 juillet 1788, par lequel il invitait tous les savans et personnes instruites à adresser au Garde des Sceaux tous les renseignements et mémoires propres à éclairer le gouvernement.
Une telle invitation équivalant, au moins en fait, à une suppression provisoire, à une sorte de suspension de la censure préalable, fut comme le signal d’une campagne des plus brillantes et d’une influence capitale sur les destinées du pays.
Dès lors, la parole et la presse semblent changer d’accent. « Au lieu d’une conversation générale et spéculative, dit M. Taine[35], c’est une prédication en vue d’un effet pratique, subit, profond et prochain, vibrante et perçante comme un clairon d’appel. Coup sur coup éclatent des pamphlets révolutionnaires qui paraissent par centaines et par milliers, tous répétés et amplifiés dans les assemblées électorales où les nouveaux citoyens viennent donner libre cours à leur éloquence enflammée. Le cri unanime, universel et quotidien roule d’écho en écho jusque dans les casernes, les faubourgs, les marchés, les ateliers, les mansardes. »
Cette effervescence, fruit naturel de la gravité des circonstances, inspira cependant les plus vives alarmes au roi et à son ministre Necker, qui s’efforcèrent d’en arrêter le cours. Mais les sévérités et les maladresses de la police ayant suscité des protestations indignées, le gouvernement dut se résigner à laisser passer ce déluge d’écrits qui inonda en un moment tout le royaume.
Parmi les protestations qui contribuèrent à affranchir les brochures et les pamphlets des rigueurs de la police, il faut signaler celle de Mirabeau sur la liberté de la presse vers la fin de 1788[36]. On y retrouve tous les traits de son éloquence parfois un peu boursouflée, mais toujours entraînante. « C’est au moment, s’écrie le grand tribun, où la nécessité des affaires, la méfiance de tous les corps, de tous les ordres, de toutes les provinces, la diversité des principes, des avis. des prétentions, provoquent impérieusement le concours des lumières et le contrôle universel ; c’est dans ce moment, que parla plus scandaleuse des inconséquences, on poursuit, au nom du monarque, la liberté de la presse, plus sévèrement, avec une inquisition plus active, plus cauteleuse que ne l’a jamais osé le despotisme ministériel le plus effréné. Le roi demande des recherches et des éclaircissements sur la constitution des Etats Généraux et sur le mode de leur convocation……, et ses ministres arrêtent l’ouvrage posthume d’un des publicistes les plus réputés de la nation[37].
« On semble vouloir mettre tous les livres en quarantaine pour les purifier de la vérité. Certes, ils commettent un grand attentat, ceux qui dans la situation où se trouve la France, arrêtent l’expansion lumières. Ils éloignent, ils reculent, ils font avorter, autant qu’il est en eux, le bien public, l’esprit public, la concorde publique…… » Mirabeau terminait par une éloquente apostrophe aux futurs députés des Etats Généraux : « Que la première de vos lois, disait-il, consacre à jamais la liberté de la presse, la liberté la plus inviolable, la plus illimitée, la liberté sans laquelle les autres ne seront jamais acquises, parce que c’est par elle seule que les peuples et les rois peuvent connaître leur droit de l’obtenir, leur intérêt de l’accorder : qu’enfin votre exemple imprime le sceau du mépris public sur le front de l’ignorant qui craindra les abus de cette liberté. »
Le Parlement eut un instant des velléités d’intervenir, pour opposer une digue au débordement des brochures populaires. Il ne tarda pas à s’en repentir et à se réfugier, à son tour, dans une prudente réserve. Le docteur Guillotin, député aux Etats Généraux, le même qui demanda dans la séance du 1er décembre 1780 que la décapitation lut le seul supplice adopté, et qu’on cherchât une machine qui put être substituée à la main du bourreau[38], avait publié un écrit intitulé : Pétition des citoyens domiciliés à Paris. Il fut mandé à la grand’Chambre. Il eut peine à se frayer un passage travers une multitude immense, curieuse d’apprendre les suites de cette affaire. Le docteur Guillotin ne chercha pas à se disculper et prouva par son attitude qu’il ne redoutait pas l’issue des poursuites. Le Parlement n’osa ni le condamner ni l’absoudre ; et il se fit dès lors une loi absolue du silence, certain qu’il était d’être abandonné et même désavoué par le roi. Le conseiller Sallier nous a laissé son impression attristée à ce sujet ; suivant lui, la prudence conseillait au Parlement « de ne pas compromettre vainement les restes d’une autorité déjà trop peu respectée, et surtout d’éviter que ses arrêtés ne devinssent la cause ou le prétexte de désordres plus grands. » Il osait a peine élever la voix pour censurer la licence inouïe des libelles. « Il est des temps, disait l’avocat général Séguier, dans l’un éloquents réquisitoires, où les ministres de la Justice doivent par prudence cesser d’interroger les oracles[39]. »
C’en était fait, le débordement des brochures ne rencontra plus aucun obstacle. Un historien contemporain de la Révolution[40] raconte qu’un amateur en réunit 2 500, rien que dans les derniers mois de 1788, et qu’il renonça à continuer sa collection, désespérant de la voir jamais complète. Les brochures jouèrent alors le rôle que jouent nos journaux aujourd’hui, elles suppléèrent avec avantage les journaux privilégiés aveuglément soumis à l’arbitraire du pouvoir.
La liberté, l’indépendance de fait, dont jouit alors la presse sont attestées par les Mémoires du Chancelier Pasquier[41]. « On parlait, dit-il, on écrivait, on agissait avec la plus grande indépendance, on bravait même l’autorité avec une entière sécurité. La presse n’était pas libre de droit, cependant tout s’imprimait, tout se colportait avec audace. Les personnages les plus graves, les magistrats mêmes qui auraient dû réprimer ce désordre, le favorisaient. On trouvait dans leurs mains les écrits les plus dangereux, les plus, nuisibles à toute autorité. Si quelque dénonciation était de loin en loin lancée dans le Parlement par quelques-uns de ses membres plus zélés, plus consciencieux, elle paraissait presque ridicule et demeurait le plus souvent sans résultat. »
Tous ceux qui savent manier la plume écrivent alors des brochures et les font pénétrer dans toutes les couches de la nation à l’aide de sociétés secrètes, comme la Franc-Maçonnerie. Un certain nombre d’hommes politiques et d’écrivains se réunissent chez le banquier Kornmann, où ils établissent une sorte d’association pour tancer les pamphlets révolutionnaires. Bergasse y parle d’une monarchie constitutionneUe à la façon de Montesquieu ; Brissol de Warville rêve de république ; d’Eprémesnil et l’abbé Sabatier, tous deux violents parlementaires, tendent à débourbonailler la France au profil de leur Corps. Chez Kornmann viennent encore Pétion, le futur maire de Paris, Clavière, le futur ministre de la Gironde, La Fayette, Carra, Gorsas, enfin le comte de Mirabeau[42].
Mais Paris n’absorbe pas à lui seul, comme on serait tenté de le penser, la direction du mouvement. Personne ne s’en désintéresse, même au fond des provinces. Les écrits du comte d’Entraigues et de Rabaut-Saint-Etienne en Languedoc, de Mounier en Dauphiné, de Volney à Rennes et à Angers, de Kervélégen et de Gleizen en Bretagne sont là pour attester l’activité des esprits dans la France entière à l’unisson de Paris[43].
Le plus violent de ces écrits est assurément celui du comte d’Entraigues : Mémoire sur les États Généraux, leurs droits et la manière de les convoquer. Il débute par une apologie de la République et un anathème contre la Monarchie. « Ce fut sans doute, dit-il, pour donner aux plus héroïques vertus une patrie digne d’elles, que le ciel voulut qu’il existât des républiques ; et peut-être, pour punir l’ambition des hommes, il permit qu’il s’élevât de grands empires, des rois et des maitres. » Il dénonce toutes les cours, sans distinction aucune, comme des foyers de corruption, tous les courtisans comme des ennemis naturels de l’ordre public, comme une foule avilie d’esclaves à la fois insolents et bas, la noblesse héréditaire comme le plus épouvantable fléau, dont le ciel dans sa colère pût frapper une nation libre. Il répète que le Tiers est le peuple et que le peuple est l’Etat lui-même, que, dans le peuple réside la toute-puissance nationale. Et il s’écrie « qu’il n’est aucune sorte de désordres qui ne soit préférable à la tranquillité funeste que procure le pouvoir absolu ».
La brochure du comte d’Entraigues produisit autant et peut-être plus d’effet que la France libre, où Camille Desmoulins discutait ouvertement et d’une manière méthodique l’établissement de la République.
Parmi les autres écrits qui eurent le plus de retentissement, il suffira de mentionner ceux de Cerutti : Mémoire pour le peuple français, Etrennes au public, Vues générales sur la constitution française ; ceux de Condorcet sur les affaires présentes, sur les assemblées provinciales, etc. ; la Lettre sur les États Généraux, par Target ; le Cahier des États Généraux de Bergasse ; une Idée sur le mandat des députés aux États Généraux, de Serran ; la Voix du Citoyen par Lebrun, le futur consul ; les écrits du prince de Beauveau, du marquis de Casaux, de comte de Kersaint, de Delandine, de Desmeuniers, de Rœderer, etc.
Il nous faut insister particulièrement sur les trois brochures célèbres publiées par l’abbé Sieyès.
En novembre 1788, parut d’abord l'Essai sur les privilèges, où l’on retrouve, mais fort clairsemées, les traces de l’esprit mordant qui caractérise l’auteur.
Un peu plus tard, parut l’immortelle brochure : Qu’est-ce que le Tiers État[44] ? On sait qu’elle débute par ces trois aphorismes : Qu’est-ce que le tiers état ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? A être quelque chose. Afin que le Tiers État devienne quelque chose et prenne la place qui lui est due, l’abbé Sieyès expose un programme aussi hardi qu’original. Suivant lui, lors de la réunion des États Généraux, « le Tiers doit s’assembler à parL ; il ne concourra point avec la noblesse et le clergé, il ne votera avec eux ni par ordre, ni par tête. Il prie qu’on fasse attention à la différence énorme qu’il y a entre l’Assemblée du Tiers État et celle des deux autres ordres. La première représente vingt-cinq millions d’hommes et délibère sur les intérêts de la nation. Les deux autres, dussent-elles se réunir, n’ont des pouvoirs que d’environ deux cent mille individus, et ne songent qu’à leurs privilèges. Le Tiers seul, dira-ton. ne peut pas former les États Généraux. Eh ! tant mieux. Il composera une Assemblée nationale. » Voilà l’idée, le mot capital lancé par Sieyès. On comprend maintenant l’importance de sa brochure et la légitime célébrité dont elle demeure entourée. Elle porte en germe les événements qui vont se développer. On peut conséquemment affirmer, sans trop d’exagération, qu’à la Presse revient l’honneur d’avoir préparé et tracé les voies à la Révolution.
La troisième brochure de l’abbé Sieyés, Délibérations à prendre dans les assemblées de bailliage, fut publiée au mois de février 1789. Elle n’a guère que 46 pages, et son intérêt parait aujourd’hui bien effacé. Il faut, dit l’auteur, que les députés soient de vrais représentant doyens chargés par leurs commettants de proposer, de discuter, de délibérer et de statuer ». Il faut que chacun d’eux se regarde non comme le représentant d’un seul bailliage, mais de la nation tout entière. « Je m’arrête, dit-il, en terminant. Les pouvoirs qu’un se propose d’exercer aux prochains États généraux sont certainement trop étendus : mais la circonstance est telle qu’il ne faut pas trop réclamer les meilleurs principes. Aussi faut-il laisser les pouvoirs indéfinis ; sans le marquer expressément. Les arrêtés, que nous avons rédiges plus haut sur la constitution, montrent assez que l’on confie aux députés de 1789 le sort de la France. »
au milieu de ce débordement de brochures et dans cet état d’esprit « le rénovation, de révolution générale répandu dans les provinces, les villes et les villages, que se réunirent les bailliages et sénéchaussées du royaume pour dicter leurs Cahiers aux députes des trois ordres envoyés aux États Généraux.
On a souvent répété, et avec raison, qu’il n’y eut jamais d’élections plus libres que celles de 1789. Aussi jamais vœux exprimés par le corps électoral n’ont-ils été plus sincères et plus dignes d’attention que ceux consignés par nos pères dans leurs immortels Cahiers.
Il est curieux et instructif de dépouiller et de résumer les opinions émises à cette époque pour et contre la liberté de la presse[45].
D’une manière générale, on peut affirmer que le clergé se prononce contre la liberté de la presse. Il demande le maintien de la censure préalable ; les intérêts de la religion, des bonnes mœurs et de l’Église doivent tout dominer. Le plus souvent cependant les intérêts du trône sont unis à ceux de l’autel dans une étroite solidarité.
Le clergé d’Anjou demande « qu’aucun ouvrage concernant la religion, les mœurs et le gouvernement ne soit imprimé sans les noms de l’auteur et de l’imprimeur, et sans l’approbation des censeurs, qui seront établis à cet effet dans les endroits où il y aura imprimerie ». Le clergé du Boulonnais veut qu’on mette les plus grandes entraves à la liberté de la presse. « L’essai qu’on fait, dit-il, dans le moment actuel de cette malheureuse liberté de la presse montre les horreurs qu’elle est capable de produire et confirme de plus en plus l’absolue nécessité d’en réprimer les excès. Il est donc de la sagesse de Sa Majesté de renouveler les ordonnances et édits de 1547 et de 1551 déjà rendus sur cette matière, et surtout de tenir la main à leur exécution. »
Le clergé de la prévôté et vicomte de Paris hors les murs exprime des vœux analogues. Aucun ouvrage ne doit pouvoir « être imprimé ou débité dans le royaume, à moins qu’au préalable il n’ait été examiné et que l’impression ou la distribution n’en ait été permise ».
Le clergé d’Amiens a des vues plus originales. Il demande avec instance « que la librairie soit désormais soumise à une inspection aussi sévère qu’éclairée, et qu’il soit établi une chambre composée d’un magistrat intègre, d’un homme de lettres incorruptible et d’un théologien exact qui motiveront leurs jugements. »
Le clergé de Dax va plus loin. Il veut « qu’on déclare incapables de toutes charges, places dans les académies, les collèges et les universités, les auteurs convaincus d’avoir écrit contre la religion, les mœurs ou le gouvernement ». Il ajoute « qu’il serait à désirer que S. M. voulût bien ordonner, conformément aux États de Blois, qu’aucun livre sur la religion ne fût imprimé et vendu sans avoir et approuvé par l’évêque diocésain ou ses vicaires généraux dans les villes où il n’y a ni censeurs royaux, ni faculté de théologie… qu’aucun marchand colporteur ne puisse exposer des livres en vente sans en avoir présenté la liste à l’évêque diocésain dans les villes épiscopales, on aux curés dans les villes éloignées ».
Enfla le clergé de Hantes demande « qu’une loi, renouvelant les anciennes, proscrive d’une manière efficace cette foule d’écrits qui se répandent de tous cotés contre la religion ». Il serait a souhaiter, ajoute t-il. « qu’il fût établi, surtout dans la capitale, un comité ecclésiastique (par exemple la faculté de théologie), de veiller à l’exécution de ces lois, et autorisé à dénoncer légalement ces sortes d’ouvrages au ministère public, après les avoir examinés, en avoir analysé les erreurs et les avoir combattus par une réfutation sommaire. »
Certaines assemblées du clergé, prévoyant que la censure pourrait bien être supprimée et la liberté de la presse accordée, demandent, dans ce cas, une répression sévère de tous les abus pouvant en résulter. C’est le cas de l’assemblée du clergé de Rouen, qui donne mandat à ses députés « dans le cas où la liberté de la presse serait accordée contre le vœu du clergé, de demander que l’on condamne à des peines sévères tous les auteurs, libraires ou colporteurs qui seraient convaincus d’avoir composé ou distribué des ouvrages contre la religion ou les mœurs ».
On voit de quel esprit d’hostilité résolue contre la presse était animé le clergé. Pour lui. la presse est comme le véhicule de l’esprit philosophique, contre lequel il s’élève avec indignation. « Un esprit de philosophie et d’impiété, dit le clergé d’Auch, a répandu depuis quelques années dans tout le royaume un esprit de système qui altère tous les principes religieux et politiques, qui a porté les atteintes les plus mortelles à la foi et aux mœurs, et relâché les liens les plus sacrés de la société. Effet funeste de ce nombre prodigieux d’ouvrages scandaleux, fruits malheureux de l’amour de l’indépendance, enfantés par le libertinage et l’incrédulité, où l’on attaque avec une égale audace la foi, la pudeur, le trône et l’autel. Livres impures et corrupteurs, qui, circulant de toutes parts, ont semé le poison dans tous les états et ont ôté au peuple fiançais une partie de son énergie. »
Mais la noblesse et le tiers état manifestent des sentiments opposés. Ils se prononcent résolument en faveur de la liberté de la presse ; ils demandent cependant, à titre de garantie, que les auteurs et les imprimeurs signent leurs œuvres et en soient personnellement responsables devant la juridiction répressive ; ce qui est de toute justice.
Le point capital sur lequel s’accordent la noblesse et le tiers état, c’est la nécessité de détruire la censure préalable et toutes entraves préventives, que le clergé voudrait maintenir et même renforcer. Les cahiers du tiers et de la noblesse mettent en évidence et célèbrent l’envi les avantages de la liberté de la presse. « La nécessité de propager les lumières, dit le tiers état d’Amiens, l’utilité d’une censure publique qui éclaire la conduite des hommes, épure les mœurs, arrête les injustices ou venge les opprimés, qui fixe l’opinion sur les administrations en général, les corps et les individus en particulier, tout réclame que la presse soit libre ; mais en môme temps tout indique qu’il faut prendre des précautions pour réprimer les écrits séditieux et contraires à la religion et aux bonnes mœurs. »
Le tiers état de Clermont-Ferrand déclare que « l’avantage reconnu de la communication des idées fera considérer la liberté de la presse comme de droit naturel ». La noblesse de Clermont en Beauvoisis, animée du souffle le plus libéral, affirme « que la liberté entière donnée à la presse pour tout objet d’administration ne peut que produire le double avantage d’instruction pour les citoyens et de censure toujours active pour les ministres dont la conduite serait répréhensible. »
Les habitants et propriétaires de la paroisse de Montgeron (Seine-et-Oise ) s’expriment en termes non moins élevés et non moins pressants : « La liberté de publier les opinions faisant la partie essentielle de la liberté individuelle, puisque l’homme ne peut être libre quand sa pensée est esclave, la liberté de la presse sera accordée indéfiniment, sauf les réserves qui pourront être faites par les États Généraux. »
Si la liberté de la presse avait eu lieu, dit la noblesse du Boulonnais, la nation aurait été éclairée plutôt sur ses véritables intérêts.
La noblesse de Châtillon-sur-Seine réclame la liberté de la presse comme le seul moyen de faire parvenir jusqu’aux chefs de l’administration les connaissances et les lumières nécessaires pour les guider et les éclairer dans tontes leurs opérations.
ha difficulté consistera à établir une ligne de démarcation entre la liberté légitime et la licence de la presse. « La liberté de la presse. dit en effet le tiers de la ville d’Angoulême, tient a l’ordre social et au besoin d’éclairer l’administration : elle paraît devoir être sans bornes pour le bien, mais prohibée pour tout ce qui peut corrompre le cœur et l’esprit. »
Voilà un idéal magnifique, niais difficile à réaliser dans une société livrée aux luttes et aux disputes de toute sorte. On s’en remet aux États Généraux du soin d’assurer, par une loi claire et précise, la liberté des écrivains, tout en protégeant l’honneur des particuliers et les principes d’ordre public.
À peine quelques cahiers se prononcent-ils sur la juridiction qui sera appelée à réprimer les délits de presse. Le tiers état d’Auxois veut qu’il soit rédigé a un règlement, dont l’exécution sera confiée aux juges royaux ordinaires » : et la noblesse de Blois entend réserver « le droit qu’a tout citoyen de se pourvoir par les moyens de droit et dans les tribunaux ordinaires contre l’auteur et l’imprimeur dans le cas de diffamation ou de lésion ». Mais la « preuve parjurés » est réclamée en termes formels par la noblesse d’Auxois et par le tiers état de Versailles. Suivant la noblesse d’Auxois, on ne doit procéder contre l’auteur ou l’imprimeur « qu’en employant la preuve des jurés, de manière que la religion, l’honnêteté publique et l’honneur des citoyens ne puissent être attaqués impunément ». La ville de Versailles est plus explicite encore : « Pour prévenir l’abus que les juges ou les gens puissants pourraient faire de leur autorité, aucun écrit ne pourra être regardé comme libelle, s’il n’est déclaré tel par douze jurés, lesquels seront choisis suivant les formes prescrites par la loi qui interviendra sur cette matière. »
Il faut bien reconnaître que le choix de la juridiction destinée à réprimer les délits de presse était fort malaisé à faire de prime abord. La nation n’avait ni les mœurs ni la pratique de la liberté ; et on comprend à merveille ses hésitations, ses tâtonnements, lorsqu’elle est appelée brusquement à résoudre une question difficile, complexe, qui est encore aujourd’hui, après pins d’un siècle, livrée aux controverses politiques, sans jamais recevoir une solution, que les partis s’accordent à considérer comme définitive.
Quoi qu’il en soit, la réunion des États Généraux fut le signal d’une ère nouvelle Major rerum nascitur ordo. Il y eut alors de beaux jours les aspirations les plus généreuses, les rêves sublimes de justice, de liberté et de fraternité ! Ce fut en même temps la période la plus éclatante de l’épanouissement de la presse en France.
L’année 1789 fut vraiment le berceau de la presse périodique. Le journal n’est plus dès lors une simple feuille de nouvelles renseignant un petit nombre d’abonnés sur les mille racontars de la ville et de la cour, sur les anecdotes plus ou moins piquantes touchant le monde des théâtres et la république des lettres. C’est une tribune retentissante où montent des publicistes, les uns inspirés par l’amour le plus pur du bien public, les autres par toutes les passions qui agitent des âmes basses et envieuses.
J.-P. Brissot de Warville, d’abord rédacteur du Courrier de l’Europe, eut le premier la pensée de fonder un journal politique indépendant de toute attache gouvernementale. Un séjour prolongé à Londres lui permit d’apprécier les bienfaits de la liberté, et il voulut en doter la France.
Au mois d’avril 1789, il publia le prospectus d’un journal intitulé le Patriote français, en tête duquel il inscrivit cette épigraphe empruntée au Dr Jebb, publiciste anglais : Une gazette libre est une sentinelle qui veille sans cesse pour le peuple. Les idées exposées dans ce prospectus sont vraiment remarquables ; et on nous saura gré d’en reproduire ici quelques fragments :
« Ce serait insultera la nation française que de lui démontrer longuement l’utilité et la nécessité de ce journal dans les circonstances actuelles… Il faut trouver un autre moyen que les brochures pour instruire tous les Français, sans cesse, à peu de frais, et sous une forme qui ne les fatigue pas. Ce moyen est un journal politique ou une gazette ; c’est l’unique moyen d’instruction pour une nation nombreuse, gênée dans ses facultés, peu accoutumée à lire, et qui cherche à sortir de l’ignorance et de l’esclavage. Sans les gazettes, la révolution de l’Amérique, à laquelle la France a pris une pari si glorieuse, ne se serait jamais faite… Ce sont les gazettes qui ont tiré l’Irlande de la langueur et de l’abjection où la tenait le Parlement anglais ; ce sont les gazettes qui conservent le peu de liberté politique qui reste en Angleterre.
« Mais c’est d’une gazette libre, indépendante, que le docteur Jebb parlait ainsi, car celles qui sont soumises à une censure quelconque portent avec elles un Bceau de réprobation. L’autorité, qui les domine, en écarté, ou, ce qui revient au même, est supposée en écarter les faits et les réflexions qui pourraient éclairer la nation ; elle est soupçonnée d’en commander les éloges et les satires. Eh ! jusqu’à quel point cette prostitution des gazettes censurées n’a-t-elle pas été portée dans ces derniers temps !… Mais ce trafic honteux de la presse, qui, en France, a tant avili la profession de journaliste et de gazetier, profession vraiment respectable dans un pays libre, lorsqu’elle est exercée par des hommes indépendants, ce trafic va cesser… Plus éclairée aujourd’hui, et surtout plus irréprochable, l’autorité n’arrêtera plus, ne commandera plus la pensée. L’homme de génie, le bon citoyen, peuvent donc développer leurs idées : et c’est dans cet heureux ordre de choses que nous nous proposons de publier un journal politique, national, libre, indépendant de la censure et de toute espèce d’influence[46]. »
Le directeur général de la librairie. M. de Maissemy, s’empressa d’interdire ce prospectus, qui « lui parut le dernier degré de l’audace enhardie par l’impunité » ; et Brissot ajourna son projet de journal.
Mais presque aussitôt on vit paraître, sans autorisation préalable, comme le précédent, un nouveau prospectus, dont l’auteur n’était autre que Mirabeau. C’était un appel éloquent à la liberté de la presse, pour éclairer le peuple sur les discussions et les actes de ses représentants aux États Généraux.
Mirabeau insistait sur l’utilité des journaux « pour les nations déjà constituées, pour les peuples libres, et. à plus forte raison, pour ceux qui aspirent à l’être. Plusieurs bons citoyens, au nombre desquels il en est qui auront l’honneur de siéger parmi les représentants de la nation, pénétrés de cette vérité, ont résolu de faire paraître une feuille qui pût être à la fois, et le compte rendu de ceux-ci à leurs commettants, et un nouveau tribut de zèle et de civisme que tes premiers apportent à la France… Les muses gracieuses obtiennent depuis assez longtemps le culte de la nation ; assez de journaux, assez de feuilles leur sont, assez leur resteront consacrées. Notre nommage est réservé à des muses plus sévères ; Patrie, Liberté, Vérité, voilà nos Dieux ».
Des le 4 mai 1789, au sortir de la procession « les États Généraux, Mirabeau mit la dernière main au premier numéro de son journal intitulé États Généraux qui parut le lendemain. Ce premier numéro et le second se vendirent, parait-il. jusqu’à douze mille exempta Lé grand tribun y prenait directement les ministres à partie : Son langage n’avait en lui-même rien de bien hostile au gouvernement : mais il était nouveau dans une gazette : et une telle hardiesse de ton était faite pour étonner, pour effrayer des ministres, qui redoutaient l’audacieuse énergie de Mirabeau et sa magnifique insolence méridionale.
Ils se décidèrent donc à la résistance.
On premier arrêt du Conseil, du 6 mai, « considérant qu’on distriPage:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/60 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/61 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/62 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/63 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/64 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/65 lesquelles se fondait alors un journal. « On désire depuis longtemps, y était-il dit, un détail exact, circonstancié et impartial des travaux de l’Assemblée nationale, et le moyen d’obtenir des résultats, de l’authenticité desquels on puisse être assuré. C’est dans cette vue que nous offrons au public, dans le Journal des Débats et Décrets, les avantages réunis à la plus prompte expédition possible, puisque l’impression du journal que nous proposons se fait à Versailles, immédiatement après chaque séance… Le journal composé d’une demi-feuille, sera remis tous les matins dans la demeure de MM. les souscripteurs de Paris et de Versailles… Le prix de la souscription est de 9 livres, franc de port pour Paris, et de 10 livres pour tout le royaume, pour deux mois. MM. les députés ne payeront que 6 livres pour deux mois. »
Telles sont les humbles origines des Débats. Leur berceau ne fut pas orné de la moindre fleur de rhétorique. D’ailleurs ils n’aspirèrent à la célébrité et ne commencèrent à être une force qu’après le 18 Brumaire, lorsque les frères Bertin en devinrent les propriétaires.
Toute l’attention du pays, on le voit, se concentra aux débuts de la Révolution, sur les travaux de l’Assemblée nationale ; la légitime curiosité du public donna naissance à la presse politique quotidienne. Que de questions du plus haut intérêt allaient être agitées : la nouvelle organisation administrative en départements, districts, cantons et communes, le veto, le droit de paix et de guerre, les biens du clergé, la réforme des tribunaux, celle de l’armée, celle des impôts, etc. ! On comprend avec quelle impatience de nombreux lecteurs attendaient, et avec quelle avidité ils lisaient les comptes rendus de ces débats immortels.
L’activité intellectuelle se portait tout entière de ce côté ; et beaucoup de rédacteurs gratuits s’empressaient d’aider Les députés dans leur rédaction. Depuis l’ouverture des États Généraux, dit très bien M. Bardoux[47], les jeunes gens voues aux lettres montraient la plus vive ardeur pour assister aux séances. Lorsque, à la suite des journées des 5 et 6 octobre, l’Assemblée nationale fui transférée à Paris, l’empressement n’en devint que plus grand. Pour obtenir une place très disputée dans les tribunes, la jeunesse lettrée se faisait
attacher à la rédaction d’un journal. C’est ainsi que Charles Lacretelle entra au Journal des Débats.Trois hommes nous paraissent avoir incarné plus particulièrement les qualités et les défauts qui ont marqué les débuts du journalisme quotidien en France : Loustallot, Camille Desmoulins et Rivarol. Nous n’avons à nous occuper en ce moment que de leurs premiers pas. en 1789.
Demandons-leur cependant l’idée qu’ils se faisaient eux-mêmes de leur mission, à cette époque unique de notre histoire, où éclataient avec une ardente naïveté tous les enthousiasmes et toutes les illusions d’un peuple, qui croyait pouvoir réaliser, presque sans efforts, un bonheur sans mélange et sans limites. Camille Desmoulins nous répondra, avec sa verve, son entrain et sa pétulance, dans qu’il a tracé d’Elysée Loustallot. le principal rédacteur des Révolutions de Paris, le plus brillant et le plus convaincu des journalistes de la Révolution, mort en 1700, à l’âge de vingt-huit ans, avant l’heure des déceptions, consumé, comme on l’a dit, par le patriotisme qu’il avait allumé dans des millions de cœurs.
« Le journaliste, tel que Loustallot s’en formait et en remplissait l’idée, exerçait une véritable magistrature et les fonctions les plus importantes comme les plus difficiles. Telle était, selon lui, la nécessité de ces fonctions, qu’il ne cessait de répéter cette maxime d’un écrivain anglais : Si la liberté de la presse pouvait exister dans un pays où le despotisme le plus absolu réunit dans une seule main tous les pouvoirs, elle suffirait seule pour faire contrepoids.
« Aujourd’hui, il fallait à l’écrivain périodique, et la véracité de l’historien qui parle à la postérité, et l’intrépidité de l’avocat qui attaque des hommes puissante, et la sagesse du législateur qui règne sur ses contemporains. Il se représentait un véritable journaliste tel que l’un d’eux en a fait le portrait, connue le soldat de l’innocence et de la vérité, engagé à un examen scrupuleux avant que d’entreprendre, à un courage inébranlable après avoir entrepris. Il pensait que tous les citoyens devaient trouver en lui un ennemi implacable de l’injustice et de l’oppression… Si ce ministère est pénible, combien, d’un autre côté, il le trouvait honorable pour les journalistes (je parle de ceux qui sont dignes de ce nom !)… Ils étaient, à ses yeux, les rois d’armes de la nation, les Stentor de l’opinion, qui se faisaient entendre de tout le camp des Grecs… Ils occupaient la tribune extérieure de l’Assemblée nationale, d’où ils proclamaient les décrets, d’où leur voix remplissait non seulement la place publique, mais tout l’empire, mais toutes les nations ; c’était le levier d’Archimède qui remuait le monde. Les deux cent mille lecteurs de Loustallot sont une preuve qu’il n’était pas au-dessous de cette idée qu’il s’était faite du journaliste. »
Quant à Camille Desmoulins, l’histoire de sa vie est bien connue. On sait qu’il se rencontra sur les bancs du collège Louis-le-Grand avec Maximilien de Robespierre. L’étude des grands écrivains de l’antiquité semble leur avoir inspiré de bonne heure l’idée de fonder une république à l’image de Rome et d’Athènes.
« Les premiers républicains qui parurent en 1789, a écrit Desmoulins lui-même, étaient des jeunes gens qui, nourris de la lecture de Cicéron dans les collèges, s’y étaient passionnés pour la liberté. On nous élevait dans les écoles de Rome et d’Athènes et dans la fierté de la république pour vivre dans l’abjection de la monarchie et sous le règne des Claude et des Vitellius : gouvernement insensé, qui croyait que nous pourrions nous passionner pour les pères de la Patrie, du Capitole, sans prendre en horreur les mangeurs d’hommes de Versailles, et admirer le passé sans condamner le présent ».
Dès l’ouverture des États Généraux, son enthousiasme touche à l’ivresse. Tous les jours il fait le voyage de Versailles, assiste aux séances, applaudit Mirabeau, va diner chez les députés du Dauphiné et de la Bretagne, « qui le connaissent tous pour un patriote, et qui ont pour lui des attentions qui le flattent ». Il demande à Mirabeau « d’être un des coopérateurs de la fameuse gazette de tout ce qui va se passer aux Etats Généraux, à laquelle on souscrit ici par mille, el qui rapportera cent mille écus, dit-on, à l’auteur. »
S’il ne peut devenir rédacteur d’un journal, il va lancer une brochure retentissante. « Il pleut des pamphlets, dit-il, tous plus gais les uns que les autres ; il y a une émulation entre les graveurs et les auteurs à qui divertira le mieux le public. » Mais comment trouver un imprimeur ? Camille Desmoulins n’en trouva qu’après la journée du 14 juillet, qui le rendit célèbre, pour la harangue enflammée qu’il jeta, au Palais-Royal, du haut d’une table, à la foule indignée du
Geoffroy. sc. | Publié par Furne, à Paris. |
(1762-1794)
de la Bastille.
A l’allégresse, à la vivacité des transports, que manifeste Camille Desmoulins, dans sa première brochure, la France libre, nous pouvons juger l’état d’esprit de ses contemporains, au milieu de l’année 1789.
« Altérés d’une soif de douze siècles, s’écrie-t-il, nous nous sommes précipités vers la source dès qu’elle nous a été montrée. Il y a peu d’années, je cherchais partout des âmes républicaines ; je me désespérais de n’être pas né Grec ou Romain… Mais c’est à présent que les étrangers vont regretter de n’être pas Français. Nous surpasserons ces Anglais si fiers de leur Constitution, et qui insultaient à notre esclavage. Plus de magistrature pour de l’argent, plus de noblesse transmissible, plus de privilèges pécuniaires, plus de privilèges héréditaires, plus de lettres de cachet, plus de décrets, plus d’interdits arbitraires, plus de procédure criminelle secrète. Liberté de commerce, liberté de conscience, liberté d’écrire, liberté de parler. Plus de ministres oppresseurs, plus de ministres déprédateurs, plus d’intendants vice-despotes, plus de jugements par commissaires. plus de Richelieu, plus de Terrai, plus de Laubardemont, plus de Catherine de Médicis, plus d’Isabelle de Bavière, plus de Charles IX, plus de Louis XL Plus de ces boutiques de places et d’honneurs chez la Dubarry, chez la Polignac. Toutes les cavernes de voleurs seront détruites, celle du rapporteur et du procureur, celles des agioteurs et celles des monopoleurs, celles des huissiers-priseurs et celles des huissiers-souffleurs. L’extinction de ces parlements qui ont tant enregistré, tant décrété, tant lacéré, et se sont nosseigneurisés ; qu’il en périsse jusqu’au nom et à la mémoire… La même loi pour tout le monde. Que tous les livres de jurisprudence féodale, de jurisprudence fiscale, de jurisprudence des dîmes, de jurisprudence « les chasses, fassent le feu de la Saint-Jean prochaine ! Ce sera vraiment un feu de joie et le plus beau qu’on ait jamais donné au peuple… La Bastille sera rasée, et sur son emplacement s’élèvera le temple de la liberté, le palais de l’Assemblée nationale… Oui, tout ce bien va s’opérer ; oui, celle révolution fortunée, cette régénération va s’accomplir ; nulle puissance sur la terre en état de l’empêcher. Sublime effet de la philosophie, de la liberté et du patriotisme ! »
Chose à peine croyable, le Parlement de Toulouse, à la veille de disparaître avec les autres cours souveraines, condamna au feu la France libre. Camille Desmoulins lui en adressa de spirituels remerciements.
Ce premier succès l’encouragea à faire paraître un nouveau pamphlet, le Discours de la lanterne aux Parisiens, qui parut sans nom d’auteur avant la fin de l’année 1789. Le titre est singulier et a été jugé odieux : il a été inspiré à l’auteur par son esprit de gavroche parisien et par le désir de piquer la curiosité publique. Quelques passages sont d’une violence de polémique regrettable, et d’autres révèlent une nature quelque peu rabelaisienne : mais le fond est modéré, au point qu’il a mérité l’approbation d’hommes tels que Sieyès, Target. Mirabeau. « Oubliez le titre, dit Despois[48], et dites si vous avez jamais lu pamphlet plus vif. plus coloré, plus entraînant. »
C’est le panégyrique de la fameuse nuit du 4 août, qui détruisit tous les privilèges. La joie de l’auteur s’exalte jusqu’au délire dans une série de strophes lyriques : « Haec nox est, s’écrie-t-il,… C’est cette nuit qui a aboli la dîme et le casuel… C’est cette nuit qui a supprimé les justices seigneuriales et les duchés-pairies, qui a aboli la main-morte, la corvée, le champart, et effacé, de la terre des Francs tous les vestiges de la servitude. C’est cette nuit qui a réintégré les Français dans les droits de l’homme… C’est cette nuit qui a supprimé les maîtrises et les privilèges exclusifs. Ira commercer aux Indes qui voudra. Aura une boutique qui pourra. Le maître tailleur, le maître cordonnier, le maître perruquier pleureront : mais les garçons se réjouiront, et il y aura illumination dans les lucarnes… Ô nuit désastreuse pour la grand’chambre, les greffiers, les huissiers, les procureurs. Les secrétaires, sous-secrétaires, tes beautés solliciteuses, portiers, valets de chambre, avocats, gens du roi, pour tous les gens de rapine… »
Puis, cette strophe qui semble avoir été écrite sous la dictée de Rabelais : « Mais ô nuit charmante, ô vere beata nax, pour mille jeunes recluses, Bernardines, Bénédictines, Visitandines, quand elles vont êtres visitées par Les pères Bernardins, Bénédictins, Carmes et Cordeliers… »
Ces traits de légèreté graveleuse ne sont pas particuliers à Camille Desmoulins ; ils tiennent au goût dominant dans la seconde moitié du xviiie siècle. On les rencontre chez les écrivains de tous les partis, même chez les défenseurs du trône et de l’autel comme Rivarol, qui a été l’un des plus habiles et certainement le plus spirituel.
Rivarol, dont les prétentions nobiliaires ont toujours prêté beaucoup à rire, s’était fait connaître avant la Révolution, comme lauréat de l’Académie de Berlin, pour son Discours sur l’universalité de la langue française et par une satire littéraire, le Petit Almanach des grands hommes, véritable chef-d’œuvre de persiflage, qui avait déchaîné contre lui les colères et les haines de Cerutti, de Garât, de Chamfort, de Joseph Chénier, de tous les écrivains du temps, objet de ses mordantes épigrammes.
Dans les débuts de la Révolution, Rivarol hésita à prendre rang. Mais il se décida pour la défense du parti royaliste, lorsqu’il vit classés dans le parti populaire tous ceux dont il s’était moqué, les Necker, les Mirabeau, les Condorcet, les Chamfort, les Chénier, les La Harpe, les Le Brun, les Volney, les Brissot, les La Fayette, les Staël, etc. Il s’improvisa publiciste et publia ses premiers articles dans le Journal politique national de l’abbé Sabatier, présentant la critique de la Révolution plus encore que la défense de la monarchie.
Comme l’a dit le dernier biographe de Rivarol[49], sa manière, aussi originale que peu efficace, consistait moins à avoir un avis qu’à critiquer les opinions de tout le monde, et à promener tour à tour sur ses amis et ses ennemis une clairvoyance et une verve également inexorables. C’est ainsi qu’il s’adressait au parti populaire : « Voltaire a dit : Plus les hommes seront éclairés, et plus ils seront libres. Ses successeurs ont dit au peuple que plus il serait libre, plus il serait éclairé, ce qui a tout perdu. »
Il disait au roi : « Il en est des personnes des rois comme dis statues des dieux : les premiers coups portent sur le dieu môme ; les derniers ne tombent plus que sur un marbre défiguré. — Il faut attaquer l’opinion avec les armes de la raison ; nu ne tire pas des coups de fusil aux idées. — L’imprimerie est L’artillerie de la
pensée. »
Il avait de ces mots à double tranchant qui coupaient également les doigts aux deux partis contraires, trop prompts à s’en emparer : « Les vices de la cour ont commencé la Révolution. Les vices du peuple l’achèveront. La populace de Paris et celle de toutes les villes du royaume ont encore bien des crimes à commettre avant d’égaler les sottises de la cour et des grands. »
Dans le Journal politique national, Rivarol ne prétendait écrire, suivant ses propres expressions, qu’une suite de réflexions sur les décrets de l’Assemblée nationale, sur les fautes du gouvernement et sur les malheurs de la France. Mais, grâce à l’éclat de son style, ses récits et ses tableaux sont dignes d’être lus par la postérité, car quelques-uns touchent au chef-d’œuvre.
A la même époque, Rivarol burinait certains portraits de la Galerie des Etats Généraux et des dames françaises ; et, un peu plus tard, il publiait le Petit Dictionnaire des grands hommes de la Révolution, par un citoyen actif, cy devant rien, où la haine la plus aveugle se donne carrière avec une liberté qui dégénère en licence. Dans une Epitre dédicatoire à S. E. Madame la baronne de Staël, Rivarol poursuit d’une haine injuste, qui va jusqu’à la méchanceté et à la cruauté, une femme d’un esprit et d’un cœur généreux. Il nous suffira de rappeler le début de cette Epitre dédicatoire : « Madame, publier le Dictionnaire des grands hommes du jour, c’est vous offrir la liste de vos adorateurs. » Ce n’est plus là du persiflage, ce ne sont plus de légères égratignures, mais des blessures profondes, qui arrêtent le rire et inspirent le dégoût.
C’est surtout dans les Actes des Apôtres, journal qui commença à paraître le 2 novembre 1789, le jour des Morts, que Rivarol donna un libre cours à ses bouffonneries grossières, parfois même ordurières. Il fait la guerre aux hommes et aux choses de la Révolution par tous les moyens, bons ou mauvais. Il écrit, comme on l’a dil. pour la meilleure société de son temps, sur le ton de la plus mauvaise compagnie. Ecoutez-le : « C’est toute la canaillerie de l’Assemblée Nationale qui a dicté le décret qui supprime la noblesse. La clique purulente des avocats n’y a pas peu contribué. »
Rivarol collaborait, dans les Actes des Apôtres, avec Peltier, Champcenetz, Suleau, Mirabeau cadet, Montlosier, le comte de Langeron, Bergasse, Régnier, Béville, Langlois, Artaud, le chanoine Turménie, l’abbé de la Bintinaie, etc.
Ces nobles défenseurs du trône et de l’autel ramassent la boue du ruisseau, pour salir leurs adversaires, sans trop se soucier des éclaboussures qui pouvaient retomber sur eux et sur leur parti. Rabelais et Voltaire, dans leurs accès de gaieté cynique, ne sont pas plus graveleux que ces soutiens de l’Église et de la Royauté.
Les lecteurs curieux qui voudront s’en assurer, n’auront qu’à se reporter au numéro XVI des Actes des Apôtres, où se trouve le récit des couches de Target, mettant au monde la constitution de 89.
Mais nous retrouverons Rivarol, de même que Camille Desmoulins, au milieu des luttes plus ardentes et plus meurtrières du temps de la Convention ; et nous donnerons alors les derniers traits aux rapides esquisses, que nous venons de tracer de ces deux grands journalistes.
Notre conclusion, au moment précis où nous sommes parvenus, c’est que, dans les débuts de la Révolution, la presse française a fait apparaître toute sa puissance, un peu étonnée elle-même de son prestige et de son influence sur la marche des événements. Mais elle n’en a pas abusé. Elle n’a pas encore versé dans la licence : elle est restée digne de la liberté, qu’elle venait de conquérir.
CHAPITRE III
LA LIBERTÉ ILLIMITÉE DE LA PRESSE, DE 1789 AU 10 AOÛT 1792
À SES EXCÈS ET PREMIERS ESSAIS DE LÉGISLATION
La presse, subissant l’impulsion des mouvements et « les soubresauts de la Révolution, grandit au fur et à mesure des événements : crescit eundo.
Mais en même temps elle se divise et se subdivise à l’infini, se diversifie en journaux de toutes couleurs et de toutes nuances, suivant l’exemple des représentants du peuple à la Constituante, à la Législative, à la Convention, qui se partagent en groupes et en factions, forment plusieurs partis, se disputent le pouvoir, se combattent avec acharnement, se déchirent avec fureur.
Sans classer tous les journaux éclos pendant la période révolutionnaire, suivant les doctrines qu’ils propageaient ou les partis qu’ils servaient, travail d’ailleurs aussi inutile que fastidieux[50], on peut les ranger dans les deux grands partis alors en présence : d’un coté, les journaux du mouvement en avant, de l’action révolutionnaire : de l’autre côté, les journaux de la monarchie, de la résistance, de la contre-révolution.
Cependant, de 1789 à 1792, il a existé un parti intermédiaire, représenté dans la presse par des organes, qui n’ont été ni sans éclat ni sans célébrité ; c’est le parti constitutionnel monarchique des Mounier, des Bergasse, des Clermont-Tonnerre, des Lally-Tollendal, des Yirieu, des Malouet, qui voulaient introduire en France le régime parlementaire des deux chambres imité de l’Angleterre. Le Mercure de France, la Gazette universelle, le Modérateur et le Journal de la société de 1789 furent ses principaux organes.
Le Mercure, cette vieille feuille privilégiée, ayant été gravement atteint dans sa prospérité par le développement inattendu de la presse au lendemain du 14 juillet, son propriétaire, Panckoucke, prit le parti de le transformer. Dans le numéro du 5 novembre 1789, il annonça à ses lecteurs qu’a partir du 1er janvier suivant, Marmontel, la Harpe et Chamfort seraient chargés de la rédaction du Mercure, de concert avec Mallet du Pan, qui exposa, dans le même numéro, le plan d’un grand journal politique tel qu’il le comprenait. Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/79 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/80
Dessiné par Tony Johannot. | Gravé par Baudrau. |
(1762-1794)
Poète et publiciste.
Peint par F. Bonneville. | Gravé N.-F. Maveiz. |
Né le 14 janvier 1754
peuvent examiner enfin si, pour être libres, ils ont besoin de se donner un roi. » Et il réfute, une à une. les objections classiques contre la République. L’étendue de la France ? Elle est plus favorable que contraire à l’établissement d’un gouvernement républicain, puisqu’elle « ne permet pas de craindre que l’idole de la capitale paisse jamais devenir le tyran de la nation. » Un tyran ? Cornaient pourrait-il s’en établir un avec la division des pouvoirs telle qu’elle existe et surtout avec la liberté de la presse ? Qu’une seule gazette soit libre et l’usurpation d’un Cromwell est impossible. On dit qu’un roi empêchera les usurpations du pouvoir législatif. Mais comment ce pouvoir pourrait-il usurper, s’il est fréquemment renouvelé, si les bornes de ses fonctions sont fixées, si des Conventions nationales révisent la Constitution à des époques réglées ? Il vaut mieux, dit-on, avoir un maître que plusieurs. Mais pourquoi faudrait-il avoir des maîtres ? Aux « oppressions particulières ». il faut opposer, non un roi, mais des lois et des juges.
Néanmoins, la majorité de l’Assemblée législative élu octobre 1791 fut loin d’être républicaine. Les jacobins étaient alors monarchistes et les rares républicains qui furent élus à l’Assemblée cachèrent leur drapeau, ou même, comme Condorcet, renoncèrent provisoirement à établir la République en France. En dehors de l’Assemblée, presque personne ne se disait républicain. Presque aucun journal ne demandait nettement la République. Les Révolutions de Paris étaient presque seules à afficher encore des tendances républicaines.
Chose singulière, ce fut cette Assemblée monarchique qui, sous le coup des nécessités de la défense nationale, après le fameux manifeste de Brunswick, proclame la patrie en danger et résolut de la sauvée sans le roi et. an besoin, contre lui. Les journaux s’accordent alors avec les fédérés des communes de France, avec les sections de Paris, avec l’opinion publique, pour précipiter Louis XVI du trône. Le républicanisme, on l’a dit avec raison, naquit de l’exaspération du patriotisme
La journée fameuse du 10 août proclama la vacance de la royauté. Il y eut jusqu’au 22 septembre une sorte d’intérim innommé. Le nom du roi fut effacé de tous les titres, de tous les actes, de tous les emblèmes officiels ; le pouvoir fut exercé par an comité exécutif au nom de la nation française.
Dès lors, le mouvement fut irrésistible. Le peuple de Paris se prononça pour la République et les jacobins, par la propagande de leurs clubs, ne tardèrent pas à déroyaliser la France. On sait d’ailleurs que la Convention, en se réunissant, proclama la République en France (22 septembre 1792).
CHAPITRE IV
LA PRESSE SOUS LA CONVENTION ET SOUS LE DIRECTOIRE
(1702-1799)
Le 10 août 1792, la Commune de Paris déclara que le salut public exigeait qu’elle s’emparât de tous les pouvoirs. À l’égard de la presse, elle ordonna, dès le 12 août, la suppression de tous les journaux royalistes, l’arrestation des écrivains qui les rédigeaient et la confiscation des presses servant à leur publication, comme en témoigne le texte même de cette décision, d’après le procès-verbal de la Commune :
« Sur la proposition de l’un de ses membres, le Conseil général arrête que les empoisonneurs de l’opinion publique, tels que les auteurs des divers journaux contre-révolutionnaires, seront arrêtés. et que leurs presses, caractères et instruments seront distribués entre les imprimeurs patriotes, qui seront mandés à cet effet. L’assemblée nomme trois commissaires, à l’effet de se rendre au bureau de l’administration et d’envoi de la poste, pour arrêter l’envoi des papiers aristocratiques, entre autres : le Journal royaliste, l’Ami du roi, la Gazette universelle, l’Indicateur, le Mercure de France, le Journal de la Cour et de la Ville, la Feuille du jour, ouvrages flétris dans l’opinion publique, dont ils empêcheront l’envoi dans les provinces. »
Les dépouilles des vaincus furent réparties entre les journalistes du parti vainqueur, Carra, Hébert, Gersas et quelques autres ; précédent redoutable, qui ne fut que trop suivi dans le cours de la dévolution. En effet, le 10 mars suivant. L’émeute brisa chez Gorsas les presses Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/133 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/134 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/135 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/136 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/137 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/138 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/139 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/140 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/141 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/142 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/143 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/144 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/145 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/146 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/147 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/148 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/149 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/150 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/151 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/152 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/153 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/154 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/155 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/156 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/157 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/158 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/159 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/160 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/161 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/162
Flameng ar. | D'après de Sève |
Dit Caïus-Gracchus BABEUF
Prévost, 1818. | |
(1764-1811)
(1761-1840)
CHAPITRE V
LA PRESSE SOUS LE CONSULAT, LE PREMIER EMPIRE
LA PREMIÈRE RESTAURATION ET LES CENT-JOURS
(1799-1815)
(E. Plon, Nourrit et Cie, édit.)
Mme de Staël s’était installée près de Blois pour surveiller l’impression de la publication de l’Allemagne. Les censeurs Pellenc et Delasalle signalaient l’esprit frondeur de l’auteur qui semblait inspiré par Schlegel, le détracteur de la littérature française ; ils blâmaient sa tendance à représenter la France comme gémissant sous un régime qui dérobait à la Nation la connaissance de l’esprit du siècle. Ils ajoutèrent que l’analyse des œuvres de Schiller, Lessing, Goethe et d’autres écrivains allemands était faite avec un enthousiasme qui indiquait plus d’imagination que de goût et de jugement. Mais ils furent d’avis que la publication de l’ouvrage pouvait être autorisée, si l’auteur se soumettait aux retranchements et aux modifications qui lui seraient indiqués.
L’imprimeur Mame avait commencé l’impression de l’Allemagne, sur la foi des premiers renseignements qui lui avaient été donnés par la direction de la librairie et de l’imprimerie, lorsque tout à coup, le 24 septembre 1810, le duc de Rovigo fit mettre les scellés sur toutes les feuilles de l’ouvrage. En même temps, il fit signifier à Mme de Staël l’ordre de quitter la France.
Celle-ci demanda un répit de quelques jours, et, comme elle attribuait au silence gardé, dans son livre, sur l’Empereur, le redoublement de sévérité dont elle était l’objet, elle fit présenter des explications à ce sujet par le professeur Schlegel. Elle s’attira la réponse fameuse du duc de Rovigo, qu’elle fit insérer plus tard dans la préface de l’Allemagne. En voici la première partie, que tout le monde doit connaître, pour apprécier comme il convient, les procèdes et le style de la police impériale : « J’ai reçu, Madame, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Monsieur votre fils a dû vous apprendre que je ne voyais pas d’inconvénient à ce que vous retardassiez votre voyage de sept à huit jours ; je désire qu’ils suffisent aux arrangements qui vous restent à prendre, parce que je ne puis vous en accorder davantage. Il ne faut point rechercher ta cause de L’ordre que je vous ai signifié, dans le silence que vous avez gardé à l’égard de l’Empereur dans votre dernier ouvrage ; ce serait une erreur : il ne pouvait pas y trouver de place qui lût digne de lui ; mais votre exil est une conséquence naturelle de la marche que vous suivez constamment depuis plusieurs années, il m’a paru que l’air de ce pays-ci ne vous convenait pas, et nous n’en sommes pas encore Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/217 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/218 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/219 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/220
(1768-1848)
Laderer del. et sc. | Publié par Pagnerre (Livre des Orateurs). |
(1767-1830)
CHAPITRE V
LA PRESSE SOUS LA SECONDE RESTAURATION
(1813-1830)
Pendant plus de quinze années, au commencement de ce siècle, nous avons vu la presse, et avec elle la littérature tout entière, l’esprit français, en un mot, opprimés et humiliés sous la main de fer d’un despote.
L’Empereur vaincu et détrôné, le génie national devait naturellement se réveiller et reprendre ses aspirations vers la liberté, avec d’autant plus d’ardeur qu’il fut plus longtemps comprimé. Napoléon lui-même en avait eu le pressentiment, lorsqu’il disait un jour, en 1809, à M. de Fontanes : « Fontanes, savez-vous ce que j’admire le plus dans le monde ? C’est l’impuissance de la force pour organiser quelque chose. Il n’y a que deux puissances dans le monde, le sabre et l’esprit. À la longue, le sabre est toujours battu par l’esprit. »
La deuxième Restauration eut pour premier et pour principal effet de soustraire la France à cette ivresse militaire, qui lui avait fait oublier les grandes conquêtes civiles et politiques de la Révolution. On eut le spectacle d’une effervescence, d’une agitation merveilleuse des esprits, d’un mouvement intellectuel des plus intenses, comme à la veille de l’enfantement d’un monde nouveau.
Mais on ne tarda pas à s’apercevoir que la société française se divisait en deux camps nettement tranchés : celui qui était dévoué aux idées issues de la révolution, et l’autre, celui de la royauté de droit divin, de la Sainte-Alliance.
Les royalistes ultra, qui allaient composer la majorité de la Chambre introuvable, rentrés en France avec le secours des baïonnettes étrangères, ne prenaient pas la peine de dissimuler leur dessein de faire retirer par des ordonnances les concessions dune charte octroyée. Ils revenaient de leur exil, pleins d’illusions, n’ayant Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/243 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/244 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/245 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/246 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/247 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/248 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/249 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/250 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/251 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/252 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/253 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/254 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/255 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/256 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/257 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/258 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/259 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/260 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/261 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/262 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/263 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/264 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/265 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/266 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/267 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/268 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/269 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/270 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/271 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/272 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/273 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/274 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/275 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/276 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/277 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/278 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/279 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/280 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/281 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/282
Adèle Ethiou, 1863. | Publié par Blaisor. |
(1772-1823)
Publiciste et érudit.
(1808-1893)
(1800-1836)
(1809-1870)
CHAPITRE VIII
LA PRESSE SOUS LA SECONDE RÉPUBLIQUE
Ce fut la presse qui organisa le Gouvernement provisoire de 1848 : c’est là ce qu’atteste l’histoire impartiale. Le National et la Réforme Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/398 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/399 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/400 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/401 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/402 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/403 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/404 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/405 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/406 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/407 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/408 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/409 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/410
Lith. de Léveillé | Coll. Bouasse-Lebel. |
(1801-1850)
Phot. Philippon (Versailles). |
Phot. Pierre Petit.
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Auguste COMTE |
Lieut.-colonel CHARRAS
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Phot. Reutlinger.
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F.-M.-C. FOURIER Extrait des Journées révolutionnaires (Flammarion, édit.) |
Joseph PROUDHON
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Coll. Bouarse-Lebel. | |
(1812-1882)
Publiciste et historien.
Représentant du peuple.
Il y eut cependant d’héroïques résistances, entre antres celle d’Alphonse Baudin, qui montra au peuple comment un de ses représentants savait « pour vingt-cinq francs » affronter la mort pour la défense de ses droits et de la loi — comme le témoignent la statue, œuvre d’Aimé Millet, érige, à Paris, au cimetière Montmartre et celle que Nantua, sa ville natale, a élevée en 1888, au noble martyr de la liberté.
C’en était fait. Les républicains désespérèrent de la sentinelle, qu’ils avaient vainement invoquée. Pendant vingt ans encore, pendant toute la durée du Second Empire, cette sentinelle devait demeurer muette et invisible !
(3 décembre 1851.)
Phot. Pierre Petit. |
Phot. Ch. Reutlinger.
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Émile DESCHANEL |
PRÉVOST-PARADOL
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Phot. Ad. Braun et Cie. |
Phot. Ad. Braun et Cie.
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CUVILLIER-FLEURY |
SAINTE-BEUVE
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son âme stoïque et délicate. Il est devenu, sous la troisième république, membre de l’Institut et directeur de l’École normale supérieure.
Ernest Bersot a surtout donné au Journal des Débats des articles de philosophie, de critique littéraire et de pédagogie. Dans sa vie et dans ses œuvres, qui en sont le pur reflet, comme l’a écrit un de ses disciples, Ernest Bersot a été, du commencement à la fin, un libéral, c’est-à-dire un esprit indépendant et mesuré.
C’était un voltairien ; et c’est lui qui a donné du voltairien cette belle définition… a Qu’est-ce qu’un voltairien ? Un Voltairien est un homme qui aime assez à voir clair en toutes choses, en religion et en philosophie, il ne croit volontiers que ce qu’il comprend et il consent à ignorer, il estime plus la pratique que la spéculation, simplifie la morale comme la politique et la veut tourner aux vertus utiles ; il aime une politique tempérée qui préserve la liberté naturelle, la liberté de la conscience, de la parole et de la personne, retranche le plus possible de mal, procure le plus possible de bien et met au premier rang des biens la justice ; dans les arts, il goûte par-dessus tout la mesure et la vérité ; il déteste mortellement l’hypocrisie, le fanatisme et le mauvais goût ; il ne se borne pas à les détester, il les combat à outrance. »
Mais le plus brillant et le plus connu des journalistes des Débats sous le second Empire, ce fut Prévost-Paradol, né à Paris le 8 août 1829 et mort à Washington le 20 juillet 1870, ambassadeur de Napoléon III.
Il avait remporté le I er prix de discours français au concours général en 1848 et le prix d’honneur de philosophie l’année suivante. Entré à l’École normale supérieure, une année après Taine, About et Francisque Sarcey, il en était sorti en 1851.
Mais l’École normale et l’Université étaient alors suspectes et frappées comme la liberté l’était dans le pays. Prévost-Paradol cul peur de la sujétion qui le menaçait dans l’enseignement ; aussi, comme beaucoup de ses camarades, il en sortit et se fit journaliste, après avoir été professeur à In faculté des lettres d’Aix.
Il entra en 1856 au Journal des Débats. Là et au Courrier du DiPage:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/483 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/484 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/485 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/486 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/487 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/488 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/489 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/490
Collection Pierre Petit. | |
Phot. Pierre Petit. |
Phot. Pierre Petit.
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Auguste NEFFTZER |
Adrien HÉBRARD |
Cliché Carjat. |
Phot. Reutlinger.
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Jules CLARETIE |
Edmond SCHERER |
Collection Pierre Petit.
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circulation sans l’impôt du timbre. Mais, il y a plus encore, ajoutait-il ; l’État, non content de se faire journaliste, s’arroge le pouvoir de désigner aux directeurs de journaux les collaborateurs qu’il leur est permis de s’adjoindre. »
Granier de Cassagnac, qui essaya de répondre à Picard, déclara nettement que l’Empire devait ajourner la liberté de la presse jusqu’au jour où les partis auraient désarmé et les prétendants abdiqua.
L’amendement de la gauche ne fut voté que par les dix-sept députés qui l’avaient présenté. Thiers, Ollivier et Darimon s’abstinrent.
Quant à l’amendement des Quarante-cinq, il fut soutenu avec éclat par M. Buffet d’abord, par MM. Martel et de Talhouet ensuite. H. Buffet revendiqua pour les journaux le droit d’apprécier en toute liberté, dans les bornes de la convenance et de la modération, les discussions parlementaires. « Mais il ne suffit pas, disait-il, que nos débats paissent être discutés : il faut encore que les questions sur lesquelles ces débats doivent porter soient préalablement et librement discutées par la presse. Je considère la presse comme l’auxiliaire nécessaire de la tribune. J’avoue que les considérations présentées hier ne m’ont pas convaincu, que, dans la situation actuelle, après quinze ans de calme et de gouvernement régulier, nous ne puissions pas espérer pour la presse un régime meilleur que celui qui la soumet purement et simplement à L’arbitraire administratif, à l’autorité discrétionnaire du ministre de l’intérieur ayant sur elle droit de vie et de mort ; je ne puis pas, pour ma part, trouver que le régime soit bon. Je ne me dissimule, assurément, aucun abus, et, à un certain égard, les dangers de la presse ; mais, tout en désirant une législation qui réprime ces abus autant qu’il est possible, je ne crois pas qu’un puisse laisser la presse dans la situation où elle est : car, malgré ces abus, pour tout homme qui réfléchit, elle est véritablement la garantie des autres garanties. »
M. Martel s’attaqua à la presse littéraire : « Que sont, disait-il, ces petits journaux qui paraissent, sans subir le timbre, le cautionnement, les droits de poste, qui n’ont besoin, pour paraître, que d’une simple déclaration faite au ministère de l’intérieur ; quels sont-ils Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/544 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/545 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/546 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/547 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/548
1. Léon Gozlan. — 2. Jules Noriac. — 3. Ernest Legouvé. — 4. Edouard Plouvier. — 5. Louis Ulbach. — 6. Arsène Houssaye. — 7. Pierre Véron. — 8. Jules Moinaux. — 9. Jules Michelet. — 10. Emile Littré. — 11. Prosper Mérimée. — 12. Paul Avenel. — 13. Roger de Beauvoir. — 14. J.-A. Castagnary. — 15. Philibert Audebrand
Phot. Th. Truchelat et Valkman. |
Phot. Pierre Petit
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Édouard HERVÉ |
CUCHEVAL-CLARIGNY
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Extrait de l’Illustration.
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Hippolyte TAINE
membre de l’académie française
(1828-1893)
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Phot. Pierre Petit. |
Phot. Pierre Petit.
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Jules FERRY |
Charles FLOQUET |
Phot. Pierre Petit. |
Phot. Pierre Petit.
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Ernest PICARD |
Henri BRISSON |
que nul, parmi les défenseurs les plus bruyants du pouvoir qui tombait, ne s’est levé pour le soutenir. Il s’est effondré lui-même sous le poids de ses fautes, sans qu’une goutte de sang ait été versée, sans qu’une personne ait été privée de sa liberté. »
(4 septembre 1870.)
Jules Favre. — Général Trochu. — Léon Gambetta. — Emmanuel Arago. — Adolphe Crémieux. — Henri Rochefort. — Ernest Picard. — Glais-Bizoin. — Jules Simon. — Garnier-Pagès. — Jules Ferry. — Eugène Pelletan.
D’après une peinture d’E. Carrière | Collection de M. G. Geffroy. |
(1805-1881)
1. Gustave Isambert. | 2. Eugène Spuller. | 3. Arthur Rane. |
4. Waldeck-Rousseau. | 5. Challemel-Lacour. | 6. Paul Bert. |
7. Georges Avenel. | 8. Hector Depasse. | 9. Gaston Thomson. |
Phot. Pierre Petit. |
Phot. Bary.
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Edmond ABOUT |
Francisque SARCEY
|
Phot. Boyer. |
Phot. Benque.
|
Emmanuel ARÈNE |
Henry FOUQUIER
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aperçut une tête nouvelle ; c’était un brave petit garçon, engagé le matin même pour faire la Mercuriale des Halles et marchés.
— Ah ! lui dit About, vous êtes notre nouveau collaborateur ?
— Oui, monsieur, fit l’autre, timidement…
— Et vous allez faire la mercuriale des Halles et marchés ?
— Oui, Monsieur…
— Très bien. Je ne vous ferai qu’une seule recommandation :
Inspirez-vous toujours de la ligne de conduite du journal !…
Edmond About était cependant quelque peu susceptible. Il n’aimait pas que ses collaborateurs missent, en dehors de lui, le journal en avant, et il prit fort mal la décoration donnée par Jules Simon à Schnerb, comme principal rédacteur du XIXe Siècle. C’est ce qui obligea Schnerb à quitter le journal et le journalisme, pour entrer dans les fonctions administratives, où il termina sa carrière.
Edmond About explique, dans un article du 2 mai 1872, le programme politique qu’il se proposait de suivre. En voici un extrait, qui peint très exactement l’état des esprits à cette époque : « Le peuple n’appartient qu’à lui-même, il le sait ; il ne croit plus au droit divin de ceux-ci ni à la mission providentielle de ceux-là. Il s’est livré pieds et poings liés à l’Empereur Napoléon III, et cet acte de foi lui a coûté 10 milliards et deux provinces. Instruit par une si cruelle expérience, il sent que désormais il aura tout profit à économiser les frais du culte monarchique et à faire ses affaires lui-même. Ce sentiment, qui parait être celui de la majorité des Français, est le nôtre. Nous sommes résolus à le défendre au jour le jour et à combattre poliment, mais résolument, les prétentions des restaurateurs de l’Empire et de la Royauté. Si la France a besoin d’un gouvernement stable, le plus stable de tous est celui qui n’a rien à craindre des caprices des princes, de leur ambition, de leur minorité, de leur sénilité, de leur mort… La majorité de la nouvelle Chambre sera républicaine, nous en sommes bien sûrs ; la seule question pour nous est de savoir si elle aura assez de bon sens, de droiture et de modération pour construire une République habitable. Si le suffrage universel choisit des radicaux, il nous jette dans l’anarchie, c’est-à-dire dans un chemin qui mène droit au despotisme : … Supposez au contraire que la France ait l’esprit de confier ses destinées à des républicains conservateurs. c’est-à-dire à des hommes convaincus que les États se fondent sur l’ordre, sur les lois, sur l’esprit de famille, sur le travail, l’épargne et Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/691 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/692 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/693 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/694
Phot. Pierre Petit. |
Phot. Le Lieure. Homa.
|
Alfred ASSOLLANT |
Francis MAGNARD
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Phot. Benque.
| |
John LEMOINNE |
Hector PESSARD
|
Phot. Eug. Pirou.
Georges CLÉMENCEAU
|
Phot. Nadar. |
Phot. Nadar.
|
Alex. MILLERAND |
Camille PELLETAN
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Phot. Eug. Pirou, rue Royale. |
Phot. Touranchet.
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Jules DELAFOSSE |
Robert MITCHELL
|
Phot. J. Oricelly. |
Phot. E. Appert.
|
Lucien MILLEVOYE |
QUESNAY de BEAUREPAIRE
|
Georges MONTORGUEIL |
L. POGNON
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Emile BERR |
Gaston CALMETTE
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Henry BAUER |
Philippe GILLE
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Anatole FRANCE
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Edmond LEPELLETIER |
Ernest JUDET
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Édouard DRUMOND |
Maurice BARRÈS
|
Phot. Nadar. |
Phot. A. Capette.
|
Émile ZOLA |
Aurélien SCHOLL |
Phot. Benque. |
Phot. Benque.
|
Émile BERGERAT |
SÉVERINE |
Les interviewers tiennent une si grande place dans la presse d’aujourd’hui, qu’ils ont fondé un dîner placé sous l’invocation de Saint-Simon, lequel, à les en croire, aurait été le premier des interviewers. Font partie de ce dîner Saint-Simon, Mme Séverine qui a interviewé le pape, Gaston Calmette qui a interviewé le roi Humbert, des Houx qui a interviewé Bismarck, et 25 ou 30 de nos plus spirituels journalistes qui n’ont interviewé, jusqu’ici, que des seigneurs de moindre importance.
Notons cependant parmi eux : M. Maurice Barrès, qui a publié deux interviews célèbres de Renan et de M. Fouillée, sans avoir d’ailleurs, — comme il l’a conté lui-même — vu ni l’un ni l’autre de ces deux philosophes, avant d’écrire leurs réponses imaginaires à des questions qu’il n’avait pas posées.
Une chose est certaine, c’est que le public goûte de plus en plus l’interview, et que l’interview, discrètement employée, sert au développement des informations précises qui sont plus que jamais une nécessité pour notre esprit[51].
C’est également pour répondre à cette curiosité ardente et à cette incessante recherche du document pris sur le vif, que les journaux politiques eux mêmes ont pris l’habitude, depuis environ cinq années, d’enrichir leurs faits divers ou leurs chroniques de croquis intercalés dans le texte, à propos d’une inauguration de statue, d’un accident sensationnel, d’un événement quelconque passionnant le public, etc. ; la vulgarisation des procédés de reproduction, chaque jour plus nombreux et plus à la portée de tous, a contribué largement à donner un grand essor à ce genre d’illustration dans la presse quotidienne.
Il s’en est suivi une transformation dans le format qui s’est agrandi et dans le nombre de pages qui s’est élevé jusqu’au chiffre de six pour quatre de nos grands quotidiens de Paris : le Figaro, le Vaulois, le Journal, le Matin et pour certains journaux des départements, tels que l’Écho du Nord, le Petit Niçois, etc.
Ce serait une erreur de penser que l’information et la politique bornent l’horizon de la presse. Il s’est fondé, depuis longtemps, des périodiques, sous le nom de Revues, destinés à satisfaire les goûts raffinés d’une élite intellectuelle pour les études de haute littérature, d’art, de philosophie, d’histoire, d’économie politique, etc. Ces Revues, auxquelles ont collaboré de tous temps les premiers écrivains du siècle, qu’il serait trop long d’énumérer, s’appellent la Revue des Deux-Mondes, la Nouvelle Revue, fondée par Mme Juliette Adam, la Revue Bleue, la Revue du Monde Latin, la Revue parlementaire, la Revue de l’Art ancien et moderne, la Revue des Revues, les Annales politiques et littéraires, le Correspondant, le Monde Moderne, etc.
La jeune école littéraire de ces trente dernières années a fait de son côté éclore une quantité d’organes militants, ou nous remarquons Mascarille, l’Ermitage, la Revue de la France moderne, le Mercure de France, qui aborde toutes les questions : art, bibliophilie, ésotérisme, littérature étrangère ; la Revue Blanche, à la fois humoristique et sociale, d’Alexandre Natanson, qui dirige également le Cri de Paris, publication hebdomadaire illustrée, des plus goûtées, etc., etc.
Il nous reste à signaler, enfin, une catégorie d’organes qui ne sont pas les moins écoutés : ce sont les journaux spéciaux, professionnels, corporatifs. La Médecine et la Finance tiennent la tête, la première avec 215 organes, la seconde avec 201 ; puis viennent les Modes, qui en ont 117, le Commerce et l’Industrie une centaine environ à eux deux, l’Automobilisme n’en a encore qu’une trentaine, mais ce chiffre ne tardera pas à être doublé.
Afin de compléter ce tableau, nous mentionnerons le rôle utile, indispensable, et dont toute la presse reconnaît l’importance, rempli par les Agences et Correspondances de Journaux, pour la propagande et la diffusion de tout ce qui touche à l’information et à la politique dans les départements et à l’Étranger ; la plus ancienne est l’Agence Havas, aujourd’hui sous la direction de M. Henri Houssaye, avec M. Pognon comme administrateur.
Comme conclusion, nous ne saurions mieux donner une idée de la force de résistance du journalisme français, qu’en établissant la physionomie actuelle des grands porte-paroles de l’opinion, qui ont traversé les tempêtes et les orages de seçonde moitié de ce siècle, et,
Tableau de J. Béraud. | D'après héliog. Dujardin. |
(Le Livre du Centenaire du Journal des Débats. E. Plon, Nourrit et Cie, édit.)
1 Eran Lami Edmond Frank, 7 Fal Le Henquire Ruarden on Renault 1 Greg Pet Andri Heart 16 Jules lijst 111. Chriller. 10 Fried Benin 11 Jallhor Heari de Puville, 15 Our 12 Chule Malu Michet 17, A Barlow Himent. 16 Kaness legur. 19. Jules Diere 20 H. G Montferries 12 Ernest Renan 21 Jules 1.0m.lille 26 In John Lomolun.. USA PA 25 R Krechlin 23 André Hallays 27 Harry Alis M. Battalovch 28. Andre Michel JJ Weise. 30 Franse tharmes 29 Julys Simon 15 Put Leany-Beaulieu 35 Homs Ghanavoine 30. Henry Houway! 37. Fienne Luny 3.5 Lany, SL Poul Hoviget. 31 Mei Vid 32 de Maho 39 H Toine Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/840 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/841 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/842
Phot. ad. Braun et Cie | |
F. Didier. A. Perreau. André Lebon. L. Guilaine. E. Robbe. Laurent Lapp. P. d’Alheim. G. Villain. Souriau. Henry Michel. Charlier-Tabur. X. Mélet. Ch. Renoist. G. Bourdon. G. Manchez. A. Dumazet. J. Legrand. Em. Alglave. F. Perréal Deffés. P. Souday. Edg. Hément. Guyon. Armand Schiller. J. Weber. Jacques Hebard. Paul Delombre A. Bergougnan. Chiarisolo. M. Morhardt. Alb. Sorel. F. de Pressensé. Malosse. L. d’Hurcourt. A. Sabatier. Adrien Hébrard. C. Pariset. Alfred Marchand. G. de Cherville Alf. Mézières. L. Grandeau. Ad. Aderer. Dumont. Francisque Sarcey. Jules Claretie. Ch. Mayet.
Thiébault-Sissos. Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/844Fernand de RODAYS |
J. CORNÉLY
|
Arthur MEYER |
Paul GINISTY
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(D’après les photographies de Benque, Nadar, Chalot, Pirou, Boyer, Tourtin, Reutlinger, Pierre Petit, Guy et Mockel, E. Appert, Gaudin, Carjat, Lumière, Carlier, Terpereau, Dabois, etc.)
Jules CHAPON |
Gustave DUBAR |
Auguste FERROUILLAT |
Henri HOUSSAYE |
Phot. Pierre Petit. |
Phot. Eug. Pirou, Bd St. Germain.
|
Jean DUPUY |
Arthur RANC |
Phot. Eug. Pirou, rue Royale. |
Phot. Eug. Pirou, Bd St. Germain.
|
Alfred MÉZIÈRES |
Paul de CASSAGNAC |
CHAPITRE II
LA PRESSE À CINQ CENTIMES
Il s’est produit, au cours de ces quarante dernières années, une évolution très importante dans la presse, relativement à l’accroissement du nombre des journaux, à leur diffusion de plus eu plus étendue, a l’augmentation de leur tirage et à une tendance progressive et continue vers l’abaissement du prix d’abonnement ainsi que du prix du vente au numéro.
La lecture des « papiers publics », comme on les appelait au temps de la première Révolution, a cessé d’être le monopole, le privilège petit nombre, pour devenir l’aliment quotidien du plus humble citoyen aussi bien que du chef de l’État.
D’où est né ce mouvement ? Quelle en a été l’origine ? Quels motifs lui ont, dès le début, valu la faveur et le suffrage de la foule ? Tels
sont les points qu’il nous parait intéressant d’examiner et qui forPage:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/866 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/867 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/868 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/869 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/870 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/871 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/872 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/873 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/874 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/875 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/876 Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/877TABLEAUX DU MOUVEMENT DES JOURNAUX EN FRANCE PARIS ET DÉPARTEMENTS DE 1865 À 1899
TABLE DES CHAPITRES
TABLE ALPHABÉTIQUE DES GRAVURES
ET ILLUSTRATIONS DIVERSES
A
B
C
D
E
F
G
H
I
J
K
L
M
Sain jaune de 1863 | e (fac-similé).
Nalèche ide).
National (le) du 96 février ls*8 (fae siinilei. Nrtltzer (Auguste).
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Petit Parisien (le. (fac-shnUé, Peuple le) du 21 avril 1849 fac-sim Peuple (le) de février i s
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- ↑ Dubreuil, Antiquités de Paris. p. 118. — Peignot, Essai sur la liberté d’écrire et sur la liberté de presse, Paris, 1832.
- ↑ L’imprimerie et la librairie à Paris de 1789 à 1813, par Paul Delalain (Libr. Delalain frères).
- ↑ Histoire du Livre en France, par Edmond Werdet, t. I, p. 100. Paris, Dentu, 1861.
- ↑ Les Français du xviie siècle, p. 309. Paris, Garnier.
- ↑ Hachette, Paris, 1866, in 8e. p. 7.
- ↑ Histoire de l’Imprimerie, Paris, 1852, grand in-8e
- ↑ Leber. De l’état réel de la presse depuis François Ier jusqu’à Louis XIV, p. 16. Paris, Techener, 1834, in-3°.
- ↑ Essais, 1, II, ch. xii.
- ↑ Tome IV. p. 205 de l’édition in-12.
- ↑ Leber, loc. cit., p. 99. — L’Université de Paris et les Jésuites, par Douarche, p, 182 et suiv.. Hachette, 1888.
- ↑ Peignot, loc. cit., p. 71.
- ↑ Collection Michaud et Poujoulat, 1, I, p. 41, 65, 452 et 483.
- ↑ Peignot, loc. cit., p. 78.
- ↑ États généraux, par A. Desjardins, p. 688 et 659. Paris, Durand, 1871.
- ↑ Leber, p. 103 et 106.
- ↑ Saugrain, Code de la Librairie, p. 287 et suiv.
- ↑ Rapports inédits du Lieutenant de police René d’Argenson, publiés par Paul Cottin. Paris, Plon, 1891, p. cxxvi.
- ↑ En voici l’analyse, d’après Paul Boiteau (Etat de la France en 1789) :
Les imprimeurs libraires sont considérés comme faisant partie du corps de l’Université ; ils jouissent de l’exemption de tous droits à la sortie de France et à l’entrée ; ils peuvent vendre des livres et les colporteurs ne doivent débiter qui ; des alphabets et des almanachs.
Les libraires doivent demeurer tous dans les quartiers de l’Université et n’occuper qu’un seul magasin, qui sera fermé le dimanche.
Nul n’est imprimeur sans avoir fait quatre ans d’apprentissage et trois ans de compagnonnage, et dans aucune imprimerie il n’y aura plus d’un apprenti. Le nombre des colporteurs est fixé à 120.
Aucun ouvrage ne peut être imprimé avant que le libraire ou imprimeur ait obtenu permission du lieutenant de police, approbation des censeurs et lettres du grand sceau.
Neuf exemplaires sont remis : 2 à la Bibliothèque du Roi, 1 au Cabinet du Louvre, 1 au garde des sceaux, 1 au censeur qui a lu l’ouvrage et 5 à la communauté des libraires
. Les contrefacteurs sont punis corporellement.
Les libraires seuls peuvent décrire les livres et faire les ventes des bibliothèques sans affiches.
Une imprimerie ou une librairie ne peut être transmisse sans la permission du lieutenant de police.
Le syndicat de la communauté est chargé d'une surveillance rigoureuse du matériel et de la défense des intérêts des imprimeurs et libraires.
On peut consulter aussi à ce sujet la Propriété littéraire au XVIIIe siècle, par Laboulaye et Guiffrey, Paris, 1859. - ↑ Etudes sur le XVIIIe siècle, par Brunetière, Revue des Deux-Mondes, 1882, p. 567.
- ↑ L’esprit révolutionnaire avant la Révolution, par Rocquain, p. 389 et suiv.
- ↑ Peignot, loc. cit. p. 79.
- ↑ Paris, maison Quantin, 1889.
- ↑ Dans une thèse soutenue en Sorbonne, en 1896, M. l’abbé Dedouvres, qui avait
choisi pour sujet le Père Joseph polémiste, a prétendu que le terrible capucin
était le premier en date des journalistes français. Il s’est appuyé sur une longue
liste de pamphlets anonymes destinés à défendre la politique de Richelieu et publiés
par le Mercure français. Ces pamphlets semblent devoir être attribués au P. Joseph.
On sait que le Mercure français était un recueil historique, paraissant en principe tous les ans, mais qui n’a en que vingt-quatre volumes de 1615 à 1643 ; c’est ce qu'on appellerait aujourd’hui une Année politique. Cette sorte de compilation impersonnelle porte, à partir de 1624 jusqu’à la mort du P. Joseph, la trace visible du style et des idées de la fameuse Eminence grise.
Sans doute le P. Joseph a été des premiers à comprendre l’importance de la périodicité et son influence sur l’opinion publique. Mais la périodicité annuelle du Mercure ne nous semble pas suffisante pour lui attribuer le titre de journal. Nous réservons ce titre à la Gazette, qui fut d'abord hebdomadaire, et cela permet de laisser intacte la gloire de Renaudot. - ↑ Les Français du XVIIesiècle, p. 325.
- ↑ Gidel, op. cit., p. 322.
- ↑ Voir le Livre d’or de la Presse française dans l’Annuaire de la Presse de 1892, p. ccxxxviii et suiv.
- ↑ Le Petit Temps, supplément au journal le Temps du 8 novembre 1894.
- ↑ La Gazette fut tour à tour rédigée par les fils, les petits-fils et le neveu de Renaudot, puis par Hellot, Laugier, Meusnier de Querlon, Mouhy, Rémond de Sainte-Albine, Louis de Boissy, Suard et l’abbé Arnaud, Marin, l’abbé Aubert. Son privilège passa successivement entre les mains des héritiers de son fondateur, du président Aunillon, de MM. de Verneuil père et fils, de MM. de Meslé et de Courmont, avant de faire retour au gouvernement qui, par lettres patentes d’août 1761, t’attribua au ministère des affaires étrangères. Le 1er janvier 1762, la Gazette prend le titre de Gazette de France et revêt les armes royales en guise de frontispice. Elle conserva l’un et l’autre lorsque Panckouke prit à bail, en octobre 1786, la direction de la feuille officieuse moyennant la redevance du tiers du prix net fixé pour chaque souscription. Ce produit fut du 1er janvier 1787 à 1789, de 20 ou 25 000 livres. (Bibliographie de l’histoire de Paris pendant la Révolution, par Maurice Tournent, t. II, p, 485.)
- ↑ Gidel, op. cit., p. 343 et suiv.
- ↑ Bibliographie de la presse périodique, p. LXVII.
- ↑ Le Mariage de Figaro (acte V, scène III).
- ↑ Œuvres de Condorcet, t. XI, p. 255 et suiv. de l’édition Didot. Paris, 1847.
- ↑ Condorcet, sa vie son œuvre, par le Dr Robinet. Paris, maison Quantin.
- ↑ La chute de l’ancien régime, par Aimé Chérest, t. II. p. 287. Paris, Hachette, 1884.
- ↑ La Révolution, I. I, p, 35.
- ↑ Archives parlementaires, t. I, p. 569-570.
- ↑ Il s’agit des écrits de Mably, qui avait prévu, prédit, et pour ainsi dire ordonné les Etats Généraux. Son livre devint le catéchisme des Français, suivant l’expression de Rabaut-Saint-Etienne, t. I. p. 281. Précis de l’histoire de la Révolution française.
- ↑ C’est à tort qu’on a attribué au docteur Guillotin l’invention de l’instrument qui porte son nom et qui fut construit par un mécanicien allemand nommé Schmitt, sous la direction du docteur Louis. Aussi la guillotine fut-elle d’abord appelée Louisette. (Ludovic Lalanne, Dictionnaire historique de la France. Hachette, Paris, 1877.)
- ↑ Annales françaises, p. 306.
- ↑ Droz, Histoire du règne de Louis XVI pendant les années où l’on pouvait prévoir et diriger la Révolution française. Paris. 1839-1842, t. II. p. 103.
- ↑ Tome I. p. 46. Paris, Plon, 1893.
- ↑ La Presse clandestine à la fin de l’ancien régime, par H. Carré, dans la revue : la Révolution française du 14 février 1894.
- ↑ Archives parlementaires, t. I, p. 563 et suivantes, chapitre intitulé : « Notice de quelques-uns des écrits politiques les plus influents qui ont précédé l’ouverture des États Genéraux. » Réimpression de l’Ancien Moniteur, introduction hisrique. Paris, Plon frères, 1851.
- ↑ Elle a été rééditée en en 1888. ainsi que l’Essai sur les privilèges, par la Société de l’histoire de la Révolution française, avec une introduction et des notes par {{M.|[[Auteur}} :Edme Champion|Edme Champion]].
- ↑ Archives parlementaires, t. I. II. III. IV V.
Les cahiers des états Généraux en 1789 et la législation criminelle, par Albert Desjardins. Paris, Durand et Pedone, 1883. - ↑ Hatin, Histoire de la presse, t. V, p. 8.
- ↑ Le livre du centenaire du Journal des Débats, p. 10.
- ↑ Liberté de penser, t. IV, p. 497. — Gérusez. Littérature française pendant la Révolution, p. 49 et suivantes.
- ↑ De Lescure. Rivarol et la Société française pendant la Révolution et l’émigration. Paris, Pion, 1883, in-8e.
- ↑ Les lecteurs curieux de longs détails, les trouveront dans la Bibliographie de Hatin et dans son Histoire de la Presse. Ils consulteront surtout avec fruit la Bibliographie de l’Histoire de Paris par Maurice Tourneux, t. II. ch. viii.
- ↑ Voir le journal le Temps du 21 octobre 1894, article sur l’interview, signé E. L.