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Les Croisés de Mayenne en 1158

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Les Croisés de Mayenne en 1158 est un ouvrage de l'abbé Charles Pointeau publié en 1878, qui décrit un épisode qui s'avéra être une invention.

La mention du départ en 1158 d'une troupe de croisés de Mayenne apparut en 1683 dans l'Histoire de Sablé de Gilles Ménage. Ce « fait historique » fut par la suite repris par des savants et des historiens, surtout locaux. À la fin du XIXe siècle, l'Abbé Angot fit un travail de recherche remarquable sur le Chartrier de Goué et mit en évidence qu'il s'agissait du travail d'un faussaire, qu'il détailla avec une extrême précision. Au début du XXe siècle, la polémique remonta à la surface lorsque Alain de Goué exhuma Les Croisés de Mayenne en 1158. Ce fut Ernest Laurain, directeur des Archives départementales de la Mayenne qui par une étude complète en 1912, donna une conclusion définitive à cette Histoire.

Le point de départ est le récit d'une cérémonie qui aurait eu lieu le , dans l'église de Notre-Dame de Mayenne, à l'occasion du départ pour la Terre-Sainte d'une troupe de croisés que Geofroy, fils de Juhel II de Mayenne, conduisait à sa suite. Cette cérémonie est l'objet d'une controverse historique à la fin du XIXe siècle. La conclusion de cette controverse apportée par l'abbé Angot confirme une supercherie historique établie par Jean-Baptiste de Goué, au XVIIe siècle.

Le seul fait historique avéré est que Geoffroy III de Mayenne se croisa en 1158.

Controverse historique

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C'est en 1683, lorsque Gilles Ménage publia dans son Histoire de Sablé[1] que l'évocation de ce départ d'une troupe de croisés partant de Mayenne apparaît. Elle eut depuis lors un grand succès auprès des savants et des historiens locaux surtout.

Description de la cérémonie

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Gilles Ménage développe dans son ouvrage le récit de la cérémonie qui aurait eu lieu le (v.s.), dans l'église de Notre-Dame de Mayenne, à l'occasion du départ pour la Terre-Sainte d'une troupe de croisés que Geofroy, fils de Juhel II, conduisait à sa suite.

La narration est fort détaillée, rien n'y est oublié de ce qui peut intéresser le lecteur. Le premier enrôlement des croisés au concile de Clermont, sous la présidence du pape Urbain II, n'est pas plus minutieusement raconté. L'évêque du Mans, Guillaume de Passavant, vint lui-même bénir les chevaliers, donna à chacun la croix, prononça sur eux la formule consacrée : Tous vos péchés vous sont remis, si vous faites ce que vous promettez.

Le vœu que venaient d'émettre les chevaliers était de combattre, pendant trois ans, pour la défense de la foi et pour la délivrance des chrétiens qui gémissaient sous le joug des infidèles. De son côté, le baron de Mayenne prit solennellement sous sa protection les familles et tous les biens des pèlerins.

Il se trouva là, comme témoin, un moine bénédictin du prieuré de N.-D. de la Futaye, qui, cinq ans plus tard, le , consigna dans une seule notice le récit de la cérémonie du départ, le nom des cent neuf croisés et la mention sommaire du retour de trente-cinq seulement d'entre eux. Tous les autres étaient morts, dit-il, pour la foi, au Mont Sinaï, in Sina, ou, suivant une lecture plus vraisemblable, en Syrie, in Siria.

Propagation

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L'autorité de Ménage, l'intérêt d'un pareil événement pour l'histoire et pour les généalogies des familles si honorablement citées, ont fait entrer ce document dans les travaux historiques les plus sérieux. Naturellement, les auteurs locaux ont été les premiers à l'utiliser, depuis Jean-Baptiste Guyard de La Fosse, dans son Histoire de Mayenne[3] écrite quelques années après la publication du volume de Gilles Ménage, jusqu'au chanoine André René Le Paige, auteur du Dictionnaire du Maine[4], à Thomas Cauvin, dans sa Géographie Ancienne du Diocèse[5], et jusqu'à Dom Piolin dans son Histoire de l'Église du Mans[6], Couanier de Launay dans son Histoire de Laval[7], l'abbé Angot dans sa Monographie de Brée[8], ou même encore dans La Mayenne de village en village de Gilbert Chaussis paru aux Éditions Siloé en 1985.

Dans l’Histoire généalogique de la maison de Quatrebarbes, ouvrage manuscrit considérable dont il existe de nombreuses copies, il est fait deux fois allusion à la croisade de Mayenne. Ceux qui tiennent à innocenter Jean-Baptiste de Goué, pourraient être amenés à conclure de que ce travail a été terminé pour sa partie principale vers 1666, que l'événement mayennais de 1158 était connu avant Ménage (1683). Pourtant ce raisonnement ne vaut rien. Il n'existe aucune copie de la Généalogie de Quatrebarbes antérieure au XVIIIe siècle et toutes sont continuées, ou annotées, ou interpolées jusqu'à cette époque.

Les grandes collections de l'Histoire de France : Rerum Gallicarum et Francicarum Scriptores[9], l’Histoire littéraire de France[10], l'Histoire des Croisades[11], de Joseph-François Michaud, et enfin le XIVe volume du Gallia Christiana[12], ajouté par Jean-Barthélemy Hauréau dans son Histoire littéraire du Maine à l'ouvrage du Pierre de Sainte Marthe ont accepté le fait raconté par le moine de la Futaye et lui ont fait l'honneur d'une insertion intégrale ou d'une mention sommaire.

Ainsi on peut lire en effet, dans l'Histoire des Croisades, à la date de 1159, — remarquable coïncidence, — qu'à la suite de désastres navrants, les chrétiens d'Orient virent « débarquer à Ptolémaïs, comme par un miracle de la Providence, plusieurs navires montés par Étienne, comte du Perche, avec des croisés du Mans et d'Angers, et Thierry, comte de Flandre, accompagné d'un grand nombre de pèlerins flamands. ». Pour l'abbé Angot, malheureusement encore, il faut dire que dans ce texte si plein de faits précis, il y a autant d'erreurs que d'affirmations. Sans compter de très près l'abbé Angot y relève cinq contrevérités qui ne laissent absolument rien debout[13]

Source historique

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Quand, au cours de ses recherches sur l'histoire de la Mayenne, l'abbé Angot s'est trouvé en face de cette question, il a éprouvé d'abord quelque surprise de voir qu'un événement dont le retentissement devait avoir été considérable[14], ait attendu plus de cinq siècles avant d'être mentionné ou découvert par un historien. Il a cru alors devoir remonter à la source historique. La tâche n'était pas difficile, Ménage ayant pris soin d'indiquer : « Cette notice m'a été communiquée par M. de Goué, conseiller au Grand-Conseil, homme d'un mérite égal à sa naissance. »[15].

Armes de la famille de Goué : d'or au lion de gueule surmonté d'un fleur de lys d'azur

Pour l'abbé Angot, la suite de l'enquête était également facile. Le chartrier de Goué, en effet, au moment où le château était vendu, vers 1860, fut remis par le vendeur, à cause de sa valeur historique, à M. l'abbé Charles Pointeau[16]. Grâce à son amitié, l'abbé Angot a pu étudier à fond ce dépôt[17]. Il a recueilli de cet inventaire, fait très soigneusement, la preuve que messire Jean-Baptiste de Goué était, sous le rapport historique, un faussaire avéré. Après sa constatation de flagrantes supercheries, un doute sérieux sur la véracité de cette histoire de croisés, fit rechercher à l'abbé Angot dans le chartrier de Goué quelques traces de la notice communiquée à Gilles Ménage[18].

Chartrier de Goué

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L'abbé Pointeau avait déjà effectué cette recherche et n'avait pas manqué de comprendre de suite l'intérêt qu'il y avait pour le public à posséder une édition des textes ainsi retrouvés, collationnés avec celui qu'avait inséré Ménage dans son Histoire de Sablé. Il a su faire de cette publication un travail fort utile pour l'histoire des familles de la Mayenne[19].

Les Pancartes en cause

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À la date du , on trouve trois exemplaires plus ou moins imparfaits d'une même notice relatant le départ de Geoffroy de Mayenne, fils de Juhel, seigneur de Mayenne, en présence de Guillaume de Passavant, évêque du Mans, qui revenait du Mont-Saint-Michel, accompagné d'un nombre variable de chevaliers et d'écuyers et de l'abbé, de Savigny probablement, Simon. Le doyen du Mans, Audouin — son vrai nom est Hardouin — était témoin. Le sire de Mayenne prend sous sa sauvegarde les familles et les biens des Croisés[20]. Une copie authentiquée de ce document fut communiquée à Gilles Ménage qui se contenta de la grande honorabilité de Jean-Baptiste de Goué pour tout garant, et admit que l'acte avait été tiré des archives du prieuré de Nogent-le-Rotrou, comme l'affirmait cette copie[21]. C'était une supercherie de plus du fils du faussaire, l'honorable conseiller au Grand Conseil. La pièce originale (?) porte au dos, comme les autres falsifications du fonds « Les plus antiens tiltres de la maison (de Goué). — Noms des seigneurs qui allèrent à la croisade de la Terre-Sainte, 1162. »[22]

L'abbé Pointeau donne dans la description scrupuleuse qu'il en fait le moyen de compléter la démonstration de leur fausseté[23] :

  1. Il commence par établir que Ménage n'a donné qu'un texte fautif, et qu'un collationnement soigneux avec les manuscrits de Goué y fait ressortir « des omissions et des erreurs de détail ».
  2. La première copie porte au dos l'annotation suivante : Catalogue des seigneurs qui ont été avec Godefroy de Bouillon, et le crois faux, ainsi inutile. Godefroy de Bouillon est probablement ici un lapsus calami au lieu de Geoffroy de Mayenne. Mais de qui est cette note[24]? La première copie, écrite comme les deux autres d'une écriture qui a la prétention très injustifiée d'imiter le XIIe siècle, offre pour la narration le même texte qu'on retrouvera dans les copies suivantes ; la liste des prétendus Croisés est moins longue de quelques noms. Mais ce qui la rend bien plus curieuse, ce sont les annotations d'une autre main et d'une écriture franchement du XVIIe siècle, par lesquelles le principal auteur indique à son scribe les corrections qui devront être apportées à cette première rédaction[25],[26],[27].
  3. La seconde copie « est la reproduction amendée de la pancarte précédente », nous dit, après l'étude consciencieuse qu'il en a faite, M. Pointeau ; les corrections indiquées au premier texte y sont faites[28].
  4. Reste le troisième exemplaire, encore remanié[29]

Au total, cette charte du est fausse :

  1. parce que l'écriture n'est d'aucune époque, ou est de plusieurs époques, sans caractère, en lignes irrégulières et hésitantes ;
  2. parce qu'elle contient deux noms de la famille de Mayenne qui n'ont jamais figuré nulle part ;
  3. parce qu'elle donne trois ou quatre noms de la famille de Goué, et qu'il n'y en a nulle part ailleurs à cette époque que dans les documents fabriqués ;
  4. parce qu'elle est dans le même fonds qu'une vingtaine de documents archifaux[31]. Pourrait-on me dire enfin pourquoi une pièce rédigée au prieuré de la Futaye pour Mayenne serait allée à Nogent ?

Le texte de Ménage

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On trouve que Ménage, sans parler des autres divergences, a vingt noms ou prénoms tout à fait différents de ceux de la pancarte. Cela n'est pas de son fait. Celui qui agit avec cette liberté n'est pas un copiste mais un inventeur. Le texte de Ménage est celui du manuscrit « Preuves de noblesse de Jean de Goué » (Bibl. nat., f. fr. 32.633), très différent de celui des pancartes[32]. Ces chartes furent offertes à l'examen des notaires complaisants qui permirent à Jean-Baptiste de Goué de dresser son dossier pour ses preuves de noblesse[33].

Conclusion et finalité de la supercherie

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Pour l'abbé Angot, les trois documents que l'abbé Pointeau a si soigneusement étudiés, imitaient les manuscrits du XVe siècle, tandis que les indications marginales prescrivant d'effacer à la poix certains noms, étaient en caractères du XVIIe siècle. Tout montre pour lui l'œuvre d'un mystificateur pris sur le fait, parce qu'il a laissé traîner dans ses papiers de famille des ébauches d'un document faux qu'un amateur a eu, deux siècles plus tard, la bonne fortune de retrouver.

Il est facile de comprendre, en lisant la liste des prétendus croisés de Mayenne, quel but poursuivait Jean de Goué en mettant effrontément au jour cet acte longtemps traité comme historique. Aucune charte, aucune pièce authentique ne donnaient le nom de Goué avant le XIVe siècle. Le catalogue, par contre, le reproduit cinq fois. Aucune autre famille n'y est représentée aussi largement. Toutes les pièces de ce dépôt antérieures à l'an 1323 avaient été fabriquées pour faire remonter la famille de Goué à une ancienneté fabuleuse du Xe siècle.

Le récit circonstancié d'une croisade où figurent plus d'une centaine des membres de nos anciennes familles de chevalerie, ignoré depuis 1158 jusqu'à la fin du XVIIe siècle, est mis au jour par Gilles Ménage en 1683 ; La seule référence qu'il indique émane d'un personnage formellement reconnu comme faussaire ; Trois des copies du document inventé par lui, ébauches de la mystification qu'il projetait, entachées de toutes les marques d'une supercherie évidente, sont retrouvées dans les titres de famille qu'il avait réunis et, pour un grand nombre, forgés ; On ne peut donc s'empêcher de conclure à la supercherie et, malgré son succès momentané, de retrancher de tout ouvrage sérieux cette notice apocryphe.

Le seul point vérifié est que Geoffroy de Mayenne se croisa en 1158[34]. Le fait est mentionné dans une charte postérieure de son père. Cette charte des archives de Savigny, le seigneur de Goué la connaissait et il l'a prise comme base de son roman.

Bien d'autres chevaliers de cette région se croisèrent individuellement aux XIIe et XIIIe siècles. Ils font souvent à cette occasion des largesses, des restitutions ou des emprunts aux abbayes, qui en consignent le souvenir dans leurs annales.

Notes et références

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  1. L'abbé Angot est très critique envers cet ouvrage. (Voir : Gilles Ménage).
  2. Il y a, outre les trois pancartes, une rédaction de la fausse croisade semblable aux autres productions du trésor de Goué. Remarquons que Ménage n'a pu connaître la prétendue provenance nogentaise que par un document de cette nature. Les pancartes n'y font aucune allusion. Voici ce qui s'est passé. Quand M. de Goué voulut mystifier Ménage, il ne se fia pas à ses pancartes, et ne les exhiba point. Mais il avait fait de sa main une copie du même récit, accompagnée d'un vidimus des notaires du siège de Chauffours, transcrit de sa plume comme le reste, et la présenta à Ménage qui l'a utilisée. Les pancartes n'ont jamais servi. L'existence de la Notice de Nogent-le-Rotrou, vient de la même source que la copie fournie à Gilles Ménage, si Jean-Baptiste de Goué était l'unique correspondant sur cette question de l'auteur de l'Histoire de Sablé. S'il en avait existé un autre à Nogent qui fût authentique, il eût présenté des différences sensibles qui eussent été remarquées par Ménage, en supposant qu'il en ait eu connaissance par lui-même, ou qui lui eussent été signalées par le témoin quelconque qui lui faisait la communication.
  3. Histoire des seigneurs de Mayenne et de ce qui s'est passé de plus considérable en cette ville, par J.-B. Guyard de la Fosse, prêtre.
  4. Tome II, p. 298-301.
  5. Géographie ancienne du diocèse du Mans, par Thomas Cauvin, de Caen, ancien Oratorien, directeur général de l'Institut des provinces de France et membre de plusieurs sociétés savantes. Paris, 1845. — Voir aux Instrumenta, p. LXXXII.
  6. Tome IV, p. 113-118.
  7. Il cite en référence : Ménage, Histoire de Sablé. Guyard De la Fosse, Histoire de Mayenne. Michaud, Histoire des Croisades. Voir : Étienne-Louis Couanier de Launay, Histoire de Laval (818-1855), Imp. Godbert, , 608 p. [détail des éditions] (lire en ligne)
  8. L'abbé Angot indique que personnellement, il doit à Jean-Baptiste de Goué d'avoir commis des erreurs dans la Monographie de Brée, qu'il juge a posteriori mauvais travail, qu'il ne recommande pas et qui vaut autant que deux ou trois autres brochures analogues écrites par lui dans le même temps avec aussi peu d'expérience. (Voir : Famille de Brée).
  9. T. XII, p. 556. — Ce volume est dû à Dom Clément et à Dom Brial, continuateurs de Dom Bouquet.
  10. 2, XII, p. 365. — Ce volume, comme les suivants, est l'ouvrage d'une commission spéciale de l'Institut composée de MM. Brial, de Pastoret, Ginguené, Amaury Duval, Petit-Radel et Daunou. Les douze premiers tomes sont dus à DD. Rivet, Taillandier, Clémencet et Clément.
  11. Tome II, p. 173.
  12. Gallia Christiana, XIV, Provincia Turonensis, p. 385.
    1. les chrétiens ne virent personne, que nous connaissions, arriver à cette époque à Ptolémaïs.
    2. il n'y eut jamais de comte du Perche qui se nommât Étienne. Rotrou III du Perche, qui était comte du Perche en 1158 eut bien un frère nommé Étienne, mais il alla encore adolescent, nous dit Bry de la Clergerie, auprès de sa cousine la reine de Sicile ; il fut son conseil quand elle resta veuve dans une situation très difficile ; devint archevêque de Palerme, et, vers 1167, fut obligé par l'opposition et sous les menaces de mort des grands du pays, dont il s'était attiré l'hostilité par sa justice impartiale, de s'enfuir en Palestine où il mourut presque aussitôt de douleur. Le Père Anselme et les auteurs de l'Art de vérifier les dates donnent sur Étienne du Perche des renseignements d'une parfaite conformité avec ceux qui précédent. Étrange méprise! Un Étienne, frère d'un autre comte du Perche, débarqua bien à Ptolémaïs, mais ce fut en 1202 ; c'est ce fait cependant qui est cause de l'erreur de l'historien.
    3. les « Croisés du Mans et d'Angers » qui semblent, dans la phrase citée plus haut, monter les vaisseaux d'un comte du Perche qui n'exista jamais, ne sont autres, hélas! que ceux de Ménage, empruntés par l'historien confiant à la Collection des Historiens de France. Il n'y a, en effet, qu'à se reporter à quelques pages plus haut du même volume, pour voir l'analyse de ce document dans une longue note qui explique l’allusion présente.
    4. Thierry d'Alsace, comte de Flandre, n'arriva point en Palestine en 1158 ou 1159, par la raison très simple et très bonne qu'il était arrivé en l'année 1157. C'était, du reste, la seconde fois qu'il y venait, car il avait pris la croix à Vézelay en 1147. Dans les campagnes par lesquelles, de 1157 à 1159, les chrétiens rétablirent leurs affaires, il n'est question dans les historiens des Croisades que du Comte de Flandre et de ses guerriers Flamands. Comme il arriva non au port de Ptolémaïs, mais au port de Bérite.
    5. Pour l'abbé Angot, tout ceci est facile à vérifier en consultant les textes des historiens des Croisades dans la traduction publiée par M. Guizot, et surtout dans l'édition du texte de Guillaume de Tyr, qui fait partie de la grande collection des Historiens orientaux.
  13. Et dont d'ailleurs la narration avait été soigneusement élaborée par un contemporain.
  14. Histoire de Sablé, p. 181. Ménage avait cependant de bonnes raisons de se défier de son estimable correspondant. Son flair de philologue l'avertissait qu'on lui envoyait du château de Goué des documents frelatés. Qu'on ouvre son Histoire de Sablé à la page 166, on y lira : Je trouve dans un ancien Titre de la Maison de Goué un Asbertus de Alta Noxia. Ce de alta noxia paroist avoir été fait du François d'Antenoise : ce qui pourroit faire douter de l'antiquité de ce titre.
  15. Un des plus érudits des collègues de l'abbé Angot, et un des spécialistes des généalogies de la Mayenne
  16. Ce chartrier est l'un des plus importants de l'ancien duché de Mayenne. Il contient sur la famille de Goué des documents authentiques, remontant au commencement du XIVe siècle et qui établissent sur les bases les plus solides, depuis cette époque, les titres de noblesse de cette maison.
  17. Le détenteur des archives de Goué, M. l'abbé Pointeau, découvrit trois exemplaires de la fameuse notice.
  18. Pour l'abbé Angot, il a cependant traité avec trop de respect un document apocryphe, mais sa brochure reste fort utile à consulter et précieuse.
  19. D'après une attestation d'un moine, Jean de la Futaye, du 20 juin 1163, qui certifie le retour de 35 des pèlerins le 7 novembre 1162.
  20. La « charte » de la croisade de Mayenne n’était pas plus à Nogent que celle du Pont-Aubrée (980) à la Futaie, celle d'Avesgaud (1002) à Laval, celle du meurtre d’Hircand (1050) à la Futaie, celle de la dame de Derval et de son beau-frère (1067, 1071) à l'Abbayette, celle de Raoul de Fougères (1112) à Fougères, celle de Clémence ou Constance de Mayenne (1169 ou 1205) à la cour du Bourgnouvel, etc., etc. Tout cela est du même système et sort simplement de l'encrier de M. de Goué. Personne ne m'a signalé l'omission de la prétendue provenance nogentaise de la charte des croisés. C'est une invention de M. A. de Goué. Le chartrier de Goué était, au sujet de la croisade mayennaise, plus riche que ne nous le dit M. A. de Goué. On y conserve l’original non rendu. Mais on y avait aussi une copie vidimée de 1515, puisque l'acte de vidimation se trouve dans les « preuves de noblesse » de Goué. Où voulez-vous qu'ait été pris cet acte notarié sinon sur la pièce vidimée ? À moins que les rats ne l'aient mangée.
  21. Aucune cote ne rappelle une autre origine. Si la pièce venait de Nogent, elle en porterait des traces. Quand on me traite de faussaire pour n'avoir pas mentionné cette provenance dans mon premier travail, on joue l'indignation. L'affirmation démentie par toutes ces circonstances n'a aucune valeur. Ce dossier vaut celui des cinq pièces qui furent fabriquées pour introduire une nouvelle branche de la maison de Mayenne, les enfants d'Hamelin et ses petits-enfants. Les écritures se valent, le défi au bon sens est le même ; des noms sont inventés, des contradictions pullulent. Dans la Croisade, on introduit des membres de la famille de Mayenne qui ne virent jamais le jour. La seule adresse de l'inventeur est de n'avoir point donné aux personnages les noms personnels connus dans les familles. Le nouveau défenseur veut établir une distinction entre les deux pièces plus informes et celle qui lui semble très bonne, non pas l'originale pourtant qui aurait péri avant 1515, mais une copie qui en aurait été prise au XIVe siècle. Il se fait donner un certificat anonyme d'authenticité pour celle-ci, d'écriture ferme, régulière, par de savants archivistes.
  22. On parle de copies, ou de pancartes. Les trois pancartes du chartrier de Goué, qui s'étaient trouvées momentanément égarées en 1893 aux archives départementales de la Mayenne ont été recouvrées, grâce à l’exacte révision que le nouveau titulaire de l'époque, Ernest Laurain, a faite de son dépôt.
  23. Jean de Goué n'eut que deux enfants, qui moururent en bas âge, et son héritier fut M. de Baugy, gendre de M. Honoré Caille du Fourny, collaborateur du Père Anselme et de ses continuateurs. C'est lui qui compulsa, en 1707, le chartrier de Goué pour en utiliser les titres anciens, et c'est lui qui juge ainsi le document qu'il avait eu le loisir d'examiner. Ce qui lui fit porter ce jugement, indépendamment de l'étude du texte, ce fut peut-être les indications données au scribe par celui qui l'employait : Faut manger ceci avec de la poua, lit-on en regard de deux noms de croisés dont il ne reste plus que les prénoms Ludo (vicus), Henricus. Plus loin les prénoms Andreas, Asselinus, Rol…, Gaud…, qui précédaient les noms des sires : de Bulcheria, de Flavennis, de Malo Cornu, de Bello Cossio, sont biffés d'un trait de plume, et là encore on a écrit : Faut manger ceci qui est assez (?) et ce qui suit aussy. M. Pointeau croit que ces annotations sont de M. de Baugy, mais la vraisemblance s'y oppose : la pancarte est écrite avant lui, il la juge fausse, pourquoi y ordonnerait-il des modifications ? Cela est même impossible, puisque les indications données par la main du maître ont été suivies dans les autres copies qui sont de la même main.
  24. Sans s'arrêter aux rectifications sans importance de mots mal lus par le copiste, ou de fautes d'orthographe, on peut relever celles qui ont une tout autre signification. Dans la formule indiquant la date du départ : Anno ab Incarnatione Domini milo co lo octavo, le scribe avait mis une lettre quelconque au lieu du signe lo et son guide le lui fait remarquer en écrivant dans l'interligne : Lo, c'est un l qui fait cinquante.
  25. Plus loin, en regard de trois noms de la liste qui ne sont indiqués que par les premières lettres, dans l'espace blanc du parchemin, le faussaire indique à son auxiliaire quel usage il doit faire de cette lacune : « Il faut manger ceci avec la ponce », lui dit-il. M. Pointeau avait lu poua. Le texte porte ponce et d'ailleurs la poix n'eût jamais produit sur le parchemin les ravages que l'on constate à cet endroit aux exemplaires 2 et 3. Si nous nous y reportons en effet, nous trouvons l'espace soigneusement mangé, comme l'eût pu faire un rongeur intelligent. Un peu plus bas dans la liste, plusieurs noms de la première pancarte sont rayés et une indication de la main qui ne déguise pas son écriture prescrit également : « faut manger ceci qui est effassé et ce qui suit aussi ». Il n'y a qu'à examiner l'endroit correspondant des pancartes amendées pour constater que la leçon a été comprise, et que là aussi la ponce a fait un trou.
  26. Allons maintenant jusqu'à la formule finale de l'acte, celle qui contient l'attestation du prétendu moine du XIIe siècle, rédigé dans le style que les notaires employèrent seulement à une époque postérieure. Celui qui tenait la plume était visiblement lassé ; on voit qu'il se néglige ; mais arrivé à cet endroit, soit que le modèle ait été plus mal écrit, soit que lui-même y ait mis une application moins soutenue, ayant le sentiment qu'il ne faisait qu'une ébauche et qu'il lui faudrait recommencer son travail, il écrit : « Hoc scripsit presens frat(er) Joan(nes) monachus beat(i) BERNARDI, ad Fust(eiam). Cela je l'ai écrit et j'étais présent, moi frère Jean, moine du Bienheureux BERNARD, à la Futaie. » L'abbé Angot indique que le moine oublie son rôle d'emprunt, il oublie que, pour la circonstance, il appartient à l'ordre de Saint-Benoît, il écrit sur le parchemin la formule de son Confiteor journalier, parce qu'au lieu d'être moine de Saint-Benoît à la Futaie, au XIIe siècle, il est tout simplement moine Bernardin de Savigny, au XVIIe siècle, et du coup, il canonise son Père saint Bernard dix ans avant sa canonisation officielle.
  27. Enfin, ajoute le même auteur, on a intercalé dans la liste sept noms nouveaux de personnages qui « n'ont pu faire partie que de la troisième croisade ». S'il était besoin d'une nouvelle preuve de la fausseté du fameux catalogue, on la trouverait dans cet anachronisme.
  28. Il offre pourtant deux noms de plus, et, en regard de chacun, les abréviations du titre propre au personnage, miles, armiger, puer : mls., ar., pr.
  29. a b et c La charte LXXVe du cartulaire imprimé de l'abbaye de la Couture mentionne Foulques Riboul qui, partant pour la Terre-Sainte, fait quelques libéralités aux religieux. Et l'on sait qu'un Foulques Riboul figure dans la liste des pancartes de Goué. Bien plus, au nombre des témoins de la charte LXXVe est Guillaume Epéchel qu'on trouve aussi dans la croisade mayennaise. Enfin le document est daté, par les éditeurs, de l'année 1158. Est-ce pour le coup une preuve qu'il y eut des croisés en 1158 ? — C'est une preuve du contraire. — Comment cela ? — Parce que la charte a été faussement datée, les éditeurs s'étant fondés précisément pour en fixer l'époque sur la date de la fausse croisade. — Mais la preuve ? — La preuve, c'est que l'un des témoins de Foulques Riboul est Foulques, doyen de la Couture, qui paraît seulement dans des chartes datées de 1189 à 1218. Par ailleurs, il n'y a pas à se méprendre sur l'identité du Foulques Riboul de la charte LXXVe, car il y est donné comme père d'Hubert Riboul et il reparaît de nouveau avec son fils, en 1189, dans la charte CLIIe du même cartulaire de la Couture. L'introduction dans les prétendues listes de 1158 d'un chevalier qui s'est croisé après 1189 est donc une nouvelle preuve, s'il en était besoin, de la fausseté de la croisade mayennaise. Elle montre seulement le procédé du sire de Goué, qui avait, pour équiper sa croisade, cherché des noms çà et là.
  30. Un détail a donné selon l'abbé Angot une recrue à la croisade : dans la liste, on cite un Foulque de Désertines : or qu'on cherche dans l'Epigraphie de la Mayenne à l'article Désertines (no 463), on y verra un manteau de cheminée sculptée naïvement de deux bustes, l'un d'homme et l'autre de femme. Le nom de l'homme, gravé sur la pierre, est Foulque. La sculpture est du XVIe siècle, mais peut avoir donné quand même l'idée à M. de Goué de son Foulque de Désertines. — Autre fait où le faussaire se fait prendre en défaut : il termine la liste corrigée de ses croisés par ce nom, Simon, abbé. N'étant pas sûr de son coup, il n'ajoute pas : abbé de Savigny, mais c'est bien certainement à lui qu'il pense. Or Simon, abbé de Savigny, fut abbé seulement en 1179.
  31. Cette copie est certifiée en 1663 par deux notaires et accompagnée d'un vidimus du 26 juillet 1515, donné, dit-on, par deux notaires de Chauffours, mais en réalité fabriqué dans l'officine de Goué.
  32. Titre du manuscrit, d'après le catalogue imprimé : « Bibl. Nation., Mss. fr., 32.633, Preuves de noblesse de Jean de Goué, seigneur de Goué, Fougerolles, Mayenne, etc. (Xe – XVIIe siècle). — Copies d'actes dont plusieurs sont faux, certifiées par devant notaires en 1662. — XVIIe siècle. Papier, 275 ff., 300 sur 188 millim. Rel. bas. rouge. » (Catal. des Mss. fr. par Henri Omont, 1897, p. 272). La liste des croisés de Mayenne se trouve dans ce ms., p. 38, 39, 40, 41, 42. p. 38. Voici le début, vers le milieu de cette page : « In nomine Dni Jesu Christi Salvatoris nostri Amen. 1158. Sequitur Chatalogus nobilium virorum qui Crucem dni acceperunt cum dno Gaufrido filio nobilis viri Juhelli dei gratia Meduanæ domini, etc. » [Comment la croix leur a été imposée en 1158. — La liste de leurs noms. — Trente-cinq d'entre eux revinrent le 7 novembre 1162. — Les autres étaient morts…] p. 42. Voici la formule finale : « Hoc scripsit presens et adfuit frater Joannes monachus beati benedicti Patris nostri ad fustaiam anno Dni Mil°C° LXIII° die XXa Mensis Junii. Collatio facta fuit super originale in veteri pergameno scriptum per nos notarios subscriptos et coram testibus subscriptis, 1a die Mensis Martii anno dni Mil° sexc. sex. tertio … » . Suit le vidimus du 26 juillet 1515.
  33. Sauf meilleur avis, pour l'abbé Angot, Hamon, fils de Geoffroy, n'est connu, que par la liste apocryphe comme ayant accompagné son père, et si l'on ne trouve pas une autre preuve de son existence, il faut le considérer comme une création du faussaire qui en a fait bien d'autres.
  • Charles Pointeau, Les Croisés de Mayenne en 1158, étude sur la liste donnée par Jean de la Fustaye, suivie de documents inédits, 1878, dans la Revue du Maine, et tirage à part, 1879 ;
  • Abbé Angot, Les Croisés de Mayenne en 1158. Étude critique. Goupil, 1896 [1] ;
  • Abbé Angot, Les croisés et les premiers seigneurs de Mayenne : origine de la légende. Goupil, 1897. [2] ;
  • Abbé Angot, Note sur la Croisade apocryphe de Mayenne en 1158, dans le Bulletin de la Commission historique et archéologique de la Mayenne, 1900, no 16, p. 439-441. [3] ;
  • Abbé Angot, Les deux faussaires et le pseudo-trésor de Goué (1614-1690), dans le Bulletin de la Commission historique et archéologique de la Mayenne, 1911, t. 27, p. 341-370 [4].