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Algérie française (expression)

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« Algérie française » est une expression polysémique, donc ayant plusieurs significations et une même origine : en l'occurrence, la présence française en Algérie de 1830 à 1962. Ses différentes significations vont de pair avec l'évolution de son emploi, et comme elle est susceptible d'avoir plusieurs usages ou interprétations, elle présente un caractère d'ambiguïté, pouvant être source de controverse.

Significations

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L'expression « Algérie française » peut désigner :

  • dans un sens chronologique, l'Algérie sous administration française ou l'Algérie du temps des Français, de 1830 à 1962. Cette signification est attestée dans la littérature coloniale dès le XIXe siècle, mais devient usuelle après l'indépendance de l'Algérie, en concurrence notamment avec l'expression « Algérie coloniale »[1],[2],[3], pour distinguer cette période historique du pays des autres périodes[4] (la dénomination française officiellement choisie pour qualifier le territoire était alors juste « Algérie » depuis 1839[5]) ;
  • dans un sens plus restreint, la sphère française de l'Algérie coloniale ou l'Algérie des Français, par opposition à la sphère algérienne (dite Algérie algérienne[Note 1]), l'ensemble formant l'Algérie coloniale[4] ;
  • les personnes restées favorables au maintien de la souveraineté française sur l'Algérie[6], comme dans les expressions « très Algérie française »[7], « nostalgique de l'Algérie française »[8], « partisan de l'Algérie française »[9], « irréductible de l'Algérie française »[10] ou « activiste de l'Algérie française »[11],[Note 2].
  • un slogan politique, en particulier sous une forme télégraphique — trois brèves, deux longues (concerts de casseroles, concerts de klaxon) — employé dans les dernières années de la guerre d'Algérie (1958-1962) par les opposants, notamment Pieds-noirs, à l'indépendance revendiquée par les nationalistes algériens, puis à la politique gaullienne d'autodétermination de l'Algérie[12].

« Ces casseroles, ces sifflets, ces klaxons Al-gé-rie française, ont quelque chose d'émouvant. Cela a duré deux heures sans une seconde d'interruption. Ce n'est plus de l'hystérie, mais un cri désespéré, interminable, qui remue les plus endurcis. Voilà comment on est balancé continuellement entre deux mondes qui s'entretuent, pleurent, souffrent, appellent au secours : cri dérisoire des casseroles, quête pathétique d'un impossible miracle. Cela ne me fait pas oublier les autres, les miens qui ne finissent pas de tomber, de se faire haïr et ne parviendront sans doute jamais à émouvoir leur vis-à-vis car il y a longtemps qu'on se refuse à les prendre pour des hommes. »

— Mouloud Feraoun[13] ;

L'expression est également employée dans la dénomination de plusieurs partis ou mouvements politiques, parfois clandestins, ayant milité pour le maintien d'un lien organique et politique entre la France et l'Algérie dans la période de la guerre d'Algérie, comme l'Organisation de la résistance de l'Algérie française, le Front Algérie française et le Rassemblement pour l'Algérie française.

Pierre-Louis Rey rappelle qu'avant 1954 « l’expression « Algérie française » eût paru tautologique ; elle s’imposa comme un slogan du moment où elle devint problématique »[14].

Selon l'historien Michel Winock, le fait colonial algérien a donné naissance à une fiction : celle d'une Algérie « française »[15]. Dans le contexte du processus de décolonisation de l'après-guerre, l'expression « Algérie française » est la dernière formule utilisée par la Quatrième République française pour réaffirmer et imposer l'idée d'une Algérie indissociable de la France métropolitaine[16].

À l'instar d'autres dénominations en usage à l'époque pour désigner l'Algérie (« province française » ou « départements français »), cette expression se maintient jusqu'à l'indépendance du pays. Elle est raillée par la suite, utilisée « comme une étiquette politique infamante ou comme un slogan dérisoire »[17].

Usages et ambiguïté

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L'expression « Algérie française » est ambiguë et controversée car :

  • elle renvoie, en Algérie notamment, l'idée de la « domination de la majorité algérienne par la minorité européenne »[18] ; elle est l'un des trois mots-clés qui « définissent et caractérisent la politique d'exaction à outrance, méthodiquement menée à l'encontre de la société algérienne »[19],[Note 3] ;
  • la réalité même d'une Algérie « française » est questionnée : englobée dans le « roman national français »[20], cette Algérie française est tour à tour qualifiée de « dogme national et républicain »[21], de « mythe »[22], de « décor »[22], de « chimère »[23], de « fiction »[15] ou d'« anachronisme »[24] ;
  • les deux expressions concurrentes « Algérie algérienne » et « Algérie française » constituent des armes symboliques dans les luttes d'appropriation du toponyme « Algérie »[25] ;
  • selon Sylvie Thénault, l'expression renvoie au dogme de la classe politique française qui s'est construit tout au long de la présence française en Algérie et dont la principale manifestation est la doctrine de l'« assimilation » dans sa conception coloniale (c'est-à-dire pensée uniquement pour le territoire et ses habitants européens, au détriment des autochtones algériens)[26].

L'expression « Algérie française » ne fait pas partie des différentes appellations qui ont servi à désigner l'Algérie durant sa période coloniale[27],[Note 4]. Comme le constate l'historienne Sylvie Thénault, elle ne doit être utilisée que dans un sens chronologique, pour désigner l'« Algérie du temps des Français » ou l'« Algérie sous tutelle française » ; cependant, l'expression « Algérie coloniale » doit lui être préférée, car elle désigne « à la fois la période chronologique considérée et l'état de cette Algérie »[4].

Notes et références

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Notes
  1. Cette acception d'Algérie algérienne est attestée dès 1980 : Charles-Robert Ageron, L'Algérie algérienne, de Napoléon III à de Gaulle, Paris, Sinbad, 1980.
  2. Ou encore « favorable à l'Algérie française », « défenseur de l'Algérie française », « tenant de l'Algérie française », « sympathisant de l'Algérie française », etc.
  3. Les deux autres mots-clés étant « administration directe » et « dépersonnalisation ».
  4. Dans sa période coloniale, l'Algérie est parfois confondue avec l'Afrique, et souvent englobée dans l'ensemble maghrébin sous la dénomination d'Afrique du Nord. À cette dernière est souvent accolé l'adjectif « français » qui lui donne une « connotation coloniale », perçue par les nationalistes maghrébins comme un « désir de pérenniser l'entreprise de domination » des trois pays nord-africains (Frémeaux 2002, p. 15).
Références
  1. Résultats de recherche dans des sources académiques via Google Scholar, à partir de 1963 (année qui a suivi l'indépendance) : « intitle:"Algérie française" » (consulté le ) et « intitle:"Algérie coloniale" » (consulté le ).
  2. Résultats de recherche dans des titres de publications via OpenEdition Journals : « "Algérie française" » (consulté le ) et « "Algérie coloniale" » (consulté le ).
  3. Résultats de recherche dans des titres de publications via Persée : « "Algérie française" » (consulté le ) et « "Algérie coloniale" » (consulté le ).
  4. a b et c Thénault 2008, p. 52.
  5. Farid Lekéal, « Justice et pacification : de la Régence d'Alger à l'Algérie : 1830-1839 », Histoire de la justice, vol. 16, no 1,‎ , p. 13 (ISSN 1639-4399 et 2271-7501, DOI 10.3917/rhj.016.0013, lire en ligne, consulté le )
  6. Valentine Gauchotte, Les Catholiques en Lorraine et la Guerre d'Algérie, L'Harmattan, (lire en ligne), p. 98.
  7. Vivien Vergnaud, « Front national, Marine Le Pen, Jean-Marie Le Pen, Bruno Gollnisch - leJDD.fr »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur LeJDD.fr (consulté le ).
  8. Alfonso De Toro, Translatio : transmédialité et transculturalité en littérature, peinture, photographie et au cinéma - Amériques Europe Maghreb, L'Harmattan, , 358 p. (ISBN 978-2-336-32051-9, présentation en ligne), p. 340.
  9. Sylvie Thénault, « France-Algérie : pour un traitement commun du passé de la guerre d'indépendance », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, Presses de Sciences Po, vol. 1, no 1,‎ (ISBN 2724630025, ISSN 0294-1759, DOI 10.3917/ving.085.0119, résumé, lire en ligne).
  10. Claude Ardid et Luc Davin, Ascenseur pour les fachos, Editions PleinSud, , 240 p. (ISBN 978-2-87764-432-7), p. 112.
  11. Jacques Capdevielle et René Mouriaux, Mai soixante-huit, Les Presses de Sciences Po, , 317 p. (ISBN 978-2-7246-0555-6, lire en ligne), p. 289.
  12. Jacques Delarue, « Éditorial. Quelle Algérie française ? », Matériaux pour l'histoire de notre temps « La guerre d'Algérie : Les Humiliés et les Oubliés. », no 26,‎ , p. 2-5 (lire en ligne).
  13. Mouloud Feraoun, Journal, 1955-1962, éditions du Seuil, 1962, p. 337 (26 septembre 1961).
  14. Camus l'Algérien, Pierre-Louis Rey, L'Histoire, n°349 daté janvier 2010, page 8
  15. a et b Michel Winock, « La France et l'Algérie : 130 ans d'aveuglement », dans Yves Michaud, La guerre d'Algérie (1954-1962), Odile Jacob, (ISBN 2738111904), p. 16.
  16. (en) Ian Lustick, Unsettled States, Disputed Lands : Britain and Ireland, France and Algeria, Israel and the West Bank-Gaza, Cornell University Press, , 576 p. (ISBN 978-0-8014-8088-1, présentation en ligne), p. 107.
  17. Verdès-Leroux 2001, p. 48.
  18. Achour Cheurfi, Dictionnaire de la révolution algérienne (1954-1962), Alger, Casbah Éditions, , 495 p. (ISBN 978-9961-6-4478-2, lire en ligne), p. 32.
  19. Benyoucef Benkhedda, Les origines du 1er novembre 1954, Alger, Éditions Dahleb, , p. 36.
  20. Tahar Khalfoune et Gilbert Meynier, Repenser l'Algérie dans l'histoire : Essai de réflexion, L'Harmattan, , 116 p. (ISBN 978-2-336-00261-3), p. 18.
  21. Guy Pervillé, « La guerre d'Algérie parmi les guerres françaises du XXe siècle : essai de bilan (2000) », sur guy.perville.free.fr, (consulté le ).
  22. a et b Michelle Baussant, « Exils et construction de la mémoire généalogique : l'exemple des Pieds-Noirs », Pôle Sud, vol. 24, no 24,‎ , p. 29-44 (lire en ligne).
  23. Dominique Casajus, « Baussant, Michèle, 2002, Pieds-noirs : mémoires d'exils », Journal des africanistes, vol. 79, no 1,‎ , p. 284-286 (lire en ligne).
  24. Alexander Harrison, Le Défi à De Gaulle : l'OAS et la Contre-Révolution en Algérie, 1954-1962, L'Harmattan, coll. « Histoire et perspectives méditerranéennes », 310 p. (ISBN 978-2-296-04576-7, présentation en ligne), p. 127.
  25. Paul Siblot, « Algérien dans l'imbroglio des dénominations », Mots, vol. 57, no 57,‎ , p. 7-27.
  26. Sylvie Thénault, Algérie : des « événements » à la guerre — Idées reçues sur la guerre d'indépendance algérienne, Le Cavalier Bleu, coll. « Idées reçues », (ISBN 978-2-84670-394-9), « L'Algérie, c'était la France. », p. 123-124.
  27. Frémeaux 2002, p. 14.

Articles connexes

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Bibliographie

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Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Sabrina Kassa, « Pourquoi l'Algérie française a le vent en poupe », Le Courrier de l'Atlas, no 85,‎ , p. 26-28 (lire en ligne, consulté le ).
  • Daniel Lefeuvre, « Les trois replis de l'Algérie française », dans Jean-Charles Jauffret, Des hommes et des femmes en guerre d'Algérie, Éditions Autrement, (ISBN 2746704218)

Lien externe

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